jeudi, 27 août 2015

charollais givrine petitLa filière viande locale, notamment bovine, pourrait avoir de beaux jours devant elle si elle se donnait les moyens de s'unir de manière interprofessionnelle. Paysans, abattoirs et artisans-bouchers d'une région pour aller à la rencontre d'une clientèle lasse des étales des supermarchés, mais pas toujours encline à se rendre directement à la ferme. Tour d'horizon.

 

 

 

nsommer moins de viande de manière globale pour réduire notre impact sur le climat. Ou alors manger plus de viande blanche. Pourtant la Suisse, avec ses herbages, se prête à l’élevage de bovins; peut-être encore plus que de la volaille dont une bonne part de l’alimentation provient pour l’heure de l’étranger (soja, céréales). Ainsi, le message devrait être «manger moins mais mieux, plus local et des espèces adaptées à nos conditions géorgraphiques». Pour saisir quelques enjeux actuels, nous donnons la parole à Charles-Bernard Bolay, Président d’Uniterre et éleveur de la vache charollaise sur la côte vaudoise. Il possède 120 UGB qui sont actuellement pour une bonne part à la Givrine. Son fils a repris l’exploitation située à Genenolier, mais Charles-Bernard y est encore actif et s’engage intensivement pour un nouveau projet d’abattoir régional pour remplacer celui de Rolle que leur coopérative exploitait jusqu’alors.

Charles Bernard, parle nous de cet abattoir et place-le dans le contexte vaudois?

Sur le canton de Vaud, il existe environ 20 abattoirs de toutes tailles. Nous estimons qu’un tiers d’entre eux pourraient fermer prochainement en raison notamment de nouvelles normes. La loi sur le contrôle des viandes, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, qui est en droite ligne des normes européennes, exige la présence d’un vétérinaire à l’arrivée des bêtes et au départ des carcasses. Avant, seul un contrôleur des viande qui avait suivi une formation spécifique suffisait. Cela renchérit le coût de l’estampille. Pour nous, nous évaluons à environ le double du prix actuel qui se situe entre 8 et 11.- suivant la bête. Le vétérinaire est payé 150.- de l’heure plus le déplacement. Nous avons beau essayer de regrouper les bêtes, nous serons obligés de reporter ces coûts supplémentaires sur les estampilles.

Qui gère cet abattoir?

Depuis bientôt 20 ans, nous sommes 150 coopérateurs qui avons un bail pour des locaux situés à Rolle. Mais le bail se termine en 2017 car la commune souhaite récupérer ses locaux pour en faire une voirie. Nous avons donc le projet de construire un abattoir sur Aubonne. Le coût serait d’environ 2.5 millions. Nous sommes en contact avec tous les services concernés à l’État de Vaud pour monter le plan financier et tenter d’obtenir des soutiens type LADE (loi sur l’appui au développement économique) et FIA (fonds d’investissement agricole). Nous nous situons dans la catégorie des abattoirs à faible capacité, qui abattent moins de 1’200 UGB par an. Cela représente un tonnage de 250 à 270 tonnes annuelles. Tout le monde peut faire abattre ses bêtes dans notre structure, bovins, ovins, caprins, porcins. Les coopérateurs bénéficient par contre d’un tarif préférentiel en fonction des parts sociales qu’ils possèdent.

Comment évalues-tu la situation des abattoirs dans le canton de Vaud?

Il faudrait tout faire pour conserver les abattoirs régionaux car ils sont un maillon indispensable pour maintenir et favoriser la vente directe et avoir des filières de proximité crédibles qui garantissent une traçabilité de bout en bout. Par exemple, dès cet automne, à Cheseaux il n’y aura plus d’abattage de porcs. Cela correspondait tout de même à 90’000 porcs par an. Ceux-ci seront acheminés vers Balsthal (Soleure) puis Oensingen. A Orbe, l’abattoir est à vendre, à Avenches il a fait peau neuve. A la Vallée de Joux un abattoir à tout son sens vu que la circulation n’est pas évidente en hiver. Pour nous, abattoirs régionaux qui ne faisons pas partie d’une grande chaîne comme Bell ou Micarna, ce n’est pas à notre niveau que nous créons de la valeur ajoutée. Et ce n’est ainsi pas évident de nous aligner sur les prix de tels concurrents. Il arrive que des bouchers soient prêts à faire quelques centaines de kilomètres de plus pour gagner quelques centimes. Par contre, la nouvelle politique de grands abattoirs comme Bell c’est qu’en dessous d’un chiffre d’affaire de 100’000 chf par an, ils ne vous prennent plus comme client. Cela pourrait peut-être devenir une opportunité pour les plus petits abattoirs de s’assurer une nouvelle clientèle de producteurs ou de bouchers.

Vous serait-il possible de mettre en place un local pour valoriser la viande?

Cela serait difficile. C’est un autre métier et il faut d’autres infrastructures qui coûtent cher; par exemple un local de fumage. Dans notre abattoir nous avons juste un local de découpe à disposition de nos clients. Nous pourrions augmenter le nombre de bêtes abattues dans notre local, mais ce qu’il faudrait parallèlement c’est augmenter le nombre d’artisans-bouchers. Nombre de bouchers ont tendance à acheter des quarts ou des demi-carcasses chez des grosses structures comme Bell de Coop, Suter à Villeneuve, Marmy à Estavayer qui collabore avec Migros etc. et à se contenter d’être de simples revendeurs de viande. Sur le district de Nyon, il reste moins de 10 artisans-bouchers pour plus de 90’000 habitants. La ville de Gland par exemple n’a plus aucune boucherie. Nous recherchons des artisans qui souhaitent valoriser la production locale et qui n’utilisent les importations que pour combler les trous et non l’inverse. C’est un état d’esprit qu’il faut retrouver.

Quels autres risques pourrais-tu identifier?

Indéniablement le phénomène d’aspiration des clients de Coop ou Migros. Il est tout à fait envisageable que celui-ci augmente. Il est déjà arrivé que des entreprises qui sont clientes chez Coop ou Migros soient fortement encouragées à délaisser les abattoirs régionaux pour aller abattre leurs bêtes dans les structures appartenant aux grands distributeurs.

Comment perçois-tu le marché actuellement?

Je pense qu’il est porteur. Même à l’étranger ils ne trouvent pas de viande en suffisance. Il ne faut pas croire que les producteurs de lait qui cessent l’activité inondent forcément le marché. Car il y en a plus qui arrêtent toute activité d’élevage que ceux qui prennent des vaches allaitantes... Et l’un dans l’autre, le taux de renouvellement du troupeau est proche, entre 25 et 30%. Donc en ce qui concerne les bovins, le marché est plutôt preneur. D’ailleurs, une étude récente effectuée sur la filière carnée dans le Grand Genève1 (Vaud-Genève-Ain-Haute Savoie) démontre que nous ne couvrons de loin pas les besoins en viande locale. Les besoins en viande et produits carnés de la population résidente du Grand Genève sont en effet immenses: selon l’étude il faudrait 376’000 porcins, 82’000 bovins et 111’000 ovins par an. Or, les cheptels de porcins, bovins et ovins et les potentiels d’abattages par an sont faibles: 5’200 porcins par an (env. 450 tonnes), 14’300 bovins par an (env. 3’200 tonnes) et 5’700 ovins par an (env. 115 tonnes). Ainsi pour combler ce déficit, nous avons des flux de viande provenant de Suisse comme de l’étranger. Il y a donc de la marge pour valoriser notre production. D’autant que selon une étude d’Agridea2 datant de 2009, le consommateur est disposé à acquérir nos produits:

«- à prix égal, la préférence est très forte pour les viandes de proximité. Les raisons de cette préférence sont autant «ethno-centrées» (soutenir les paysans, soutenir l’économie locale, transports courts) que égocentrées (meilleure traçabilité, meilleure qualité). Les scandales alimentaires renforcent cette préférence.

- une part élevée des consommateurs est prête à payer plus cher; même dans un contexte de crise économique, ces consommateurs préfèrent manger moins de viande mais mieux.

- le consentement à payer augmente quand la qualité de la viande (texture, goût, tendreté) est élevée».

Alors il y aurait de quoi se réjouir?

En effet, mais pour autant que nous soyons en mesure de nous serrer les coudes au niveau de la filière et que nous ayons un coup de pouce de l’Etat. Par exemple sous forme d’aide à fonds perdus ou crédits remboursables à long terme. Un autre frein provient du fait que nous devons installer les abattoirs en zone industrielle et non plus en zone agricole. Cela renchérit considérablement les projets de construction en raison du coût du terrain. Enfin, si des contrôles et des normes sont nécessaires, elles ne doivent pas être poussées à l’extrême car elles deviennent alors des obstacles insurmontables et ne font que favoriser la filière industrielle. Les abattoirs bien qu’à faible valeur ajoutée, restent un maillon indispensable de la filière. Et ceci, le canton qui promeut l’agriculture locale doit le comprendre et en tirer un certain nombre de conclusions. Dans un canton comme le notre, nous avons tout pour renforcer ces filières locales, dans les produits carnés comme dans les autres secteurs. Mais pour ce faire nous avons besoin de filières fortes où chaque acteur tire à la même corde. Nous devons redonner envie aux artisans bouchers de faire plus que d’être des vendeurs de viande. Être à nouveaux les artisans qui innovent, qui valorisent chaque morceau et qui occupent la place entre ce que propose le grand distributeur et le paysan. Les grands distributeurs assurent toujours une part prépondérante des ventes (env. 60% du marché). Pourtant ils ne sont pas particulièrement bon marché (dû à leurs marges importantes) et la qualité est souvent moindre qu’en vente directe ou chez l’artisan boucher. Cela est dû à la chaîne industrielle d’abattage et de transformation de la viande où la durée de rassissement de la viande est réduite à son strict minimum (2 à 5 jours) alors qu’elle est de 10 à 15 jours dans la filière artisanale. Certes, vous perdez environ 2-5% du poids de votre carcasse mais la qualité est largement supérieure. A côté de la grande distribution, 20% du marché est détenu par des commerce des entreprises de commerce de viande indépendantes qui approvisionnent la restauration collective et certains bouchers indépendants. Les artisans-bouchers, à la baisse, ne représentent plus que 15% des parts de marchés et la vente directe, en hausse, 5%. C’est ces deux derniers acteurs que nous devrions à tout prix encourager.

 

Propos recueillis par Valentina Hemmeler Maïga

 1«Les besoins régionaux dans le Grand Genève en matière d’abattoirs», Grand Genève agglomération franco-valdo-genevoise. Auteur: Agridea, et les chambres d’agriculture du Grand Genève, (décembre 2014).

 2L. Bardet et S. Réviron (2009), «Qualité de la viande et provenance régionale», fiche thématique AGRIDEA.