Rappel et réflexion
Crise ESB en Suisse : Les responsables sont connus
La Confédération et ses services, en particulier l'Office vétérinaire fédéral, l'Office fédéral de l'agriculture, la Station fédérale de recherche en production animale de Posieux et le Secrétariat d'état à l'économie portent une lourde responsabilité dans le développement de la maladie de la vache folle en Suisse, en étant systématiquement intervenus de manière tardive et fragmentaire pour enrayer l'épizootie depuis sa découverte en Angleterre. Les conséquences économiques de l'ESB sont connues, elles se chiffrent par centaines de millions de francs de pertes pour l'agriculture.
Les conséquences pour la santé humaine sont malheureusement encore incertaines, puisque la maladie de Creuzfeldt-Jacob qui peut découler d’une contamination par les prions de l’ESB, peut mettre jusqu’à plusieurs dizaines d’années pour se déclencher. Ces conséquences sont d’autant plus difficiles à évaluer qu’elles reposent sur des contaminations qui n’existent vraisemblablement plus aujourd’hui, et dont l’ampleur à la fin des années 80 et pendant les années 90 n’est pas connue.
La Confédération n’a jamais admis à ce jour la moindre lacune, la moindre erreur de jugement, la moindre parcelle de responsabilité dans l’affaire ESB. Elle a ainsi adopté la même stratégie que les gouvernements anglais et français, dont les graves manquements n’ont pu finalement être mis en lumière qu’à l’aide d’une Commission officielle d’enquête en Angleterre et par deux Commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale en France.
Pendant de nombreuses années, Uniterre est intervenue à tous les niveaux hiérarchiques de la Confédération, la plupart du temps sans succès, pour accélérer les prises de décision qui s’imposaient et qui tardaient à venir sur l’ESB, pour que les responsables de la commercialisation de fourrages contaminés soient identifiés et poursuivis, pour que les détenteurs de bétail soient correctement indemnisés à la suite de l’effondrement des prix de la viande bovine. Force est de constater que les services de l’Administration fédérale ont dysfonctionné gravement et de manière répétée dans leur gestion du dossier ESB depuis l’apparition de cette épizootie en Angleterre en 1986:
- La Confédération a attendu plus de deux ans après l’Angleterre avant d’interdire l’utilisation de farines animales dans l’alimentation des ruminants, entre juillet 1988 et décembre 1990, permettant ainsi à l’ESB de se propager dans le pays;
- Elle n’a exigé ni le rappel ni la destruction des stocks d’aliments pour bovins existant en Suisse au moment de l’interdiction des farines animales , stocks qui ont été en conséquence commercialisés et utilisés jusqu’à leur épuisement...;
- Elle a toléré pendant 10 ans, en toute connaissance de cause, jusqu’à novembre 2000, la présence de résidus de farines animales interdites dans les aliments pour bovins, malgré les risques connus de contamination, et malgré de multiples interventions d’Uniterre pour faire respecter la tolérance zéro dans ce domaine;
- Elle n’a jamais poursuivi en Suisse ou à l’étranger les fabricants et les commerçants d’aliments contaminés et n’a a fortiori jamais prononcé de sanctions à leur encontre; les demandes de renforcement des contrôles se sont heurtées pendant très longtemps à des fins de non-recevoir, les services fédéraux se comportant plus comme un lobby des industriels concernés que comme une autorité de contrôle et de surveillance de ces mêmes industriels...;
- Elle a attendu 1998 avant d’exiger un traitement thermique approprié des graisses animales, encore incorporées sans restrictions dans l’alimentation des bovins, pour en éliminer les prions de l’ESB et il a fallu attendre jusqu’à la fin 2000 pour que certaines catégories de graisses animales soient interdites, sans saisies ni destruction des stocks existants;
- Elle a attendu 1998 pour que les aliments pour animaux de compagnie, parfois importés directement d’Angleterre, soient soumis à des exigences comparables à celles des aliments pour bovins, du point de vue de la prévention de l’ESB; il s’agit là d’un des plus graves manquements de la Confédération de tout le dossier ESB, et un de ceux qui a le moins retenu l’attention des autorités et de l’opinion publique. Une seule question suffit à résumer le problème: combien d’enfants en bas âge ont allègrement sucé les croquettes de Médor ou de Minou trouvées dans les écuelles ou dans un coin d’appartement pendant toutes ces années?
Bien sûr, les raisons de l’immobilisme affligeant de la Confédération ont probablement diverses origines. Nous avons cherché à les découvrir et à les rendre visibles tout d’abord par de nombreuses requêtes, propositions, interventions, revendications, jusqu’au Conseil fédéral et au Parlement. Ensuite au moyen d’une plainte déposée par plus de 2000 paysans déposée en 1997: nous nous sommes heurtés à une résistance farouche de la part des services fédéraux mis en cause, et à une bizarrerie juridique particulièrement croustillante: lorsqu’une plainte en dommages et intérêts est déposée contre la Confédération, c’est elle-même qui est chargée de mener l’enquête et qui doit déterminer si elle est coupable de quoique ce soit. Autrement dit, mission impossible. Le Tribunal fédéral a déjà dénoncé une première fois les graves violations de procédure employées par le Confédération , en exigeant qu’elle reprenne l’instruction de la plainte trois ans après son dépôt. Mais comment voulez vous faire la lumière sur la responsabilité des Services de la Confédération lorsqu’ils peuvent pour ainsi dire eux mêmes décider ce qu’ils vont verser au dossier de l’instruction de la plainte?
Enfin, nous avons demandé qu’une commission d’enquête parlementaire soit nommée, demande soutenue par plus de quarante Conseillers nationaux, et qui a été rejetée de justesse par le Conseil national.
Pour conclure, il est évident que la crise ESB s’inscrit dans un contexte plus général, où l’agriculture a été considérée un peu comme le dépotoir des autres activités de la société, et la grande machine à recycler les boues d’épuration, les déchets de nombreuses industries, de la restauration, des ménages urbains ...etc. Les spécialistes de la nutrition animale et les fabricants d’aliments pour animaux n’ont vu que des protéines, des glucides et des lipides à bas prix pour obtenir des rations «alimentaires» scientifiquement parfaitement dosées, en oubliant les lois de la nature, et en premier lieu que les ruminants sont des herbivores, et non pas des carnivores. Le dérapage scientifico-économique a en définitive été magnifiquement relayé par le dérapage des autorités publiques.
Uniterre, mai 2004