lundi, 06 juillet 2015

Des larmes de crocodile

Le lobby paysan est-il si puissant?

Depuis quelques semaines, plusieurs médias relatent la déception profonde ressentie par M. Jacques Bourgeois, Directeur de l'Union Suisse des Paysans et Conseiller national PLR, au sujet du Cassis de Dijon. Auteur en 2010 d'une initiative parlementaire visant à exclure les denrées alimentaires du principe du Cassis de Dijon, il n'a pas réussi à convaincre la Chambre des États.

 

Pour rappel, le Cassis de Dijon, fer de lance de la campagne de Doris Leuthard en 2006-2007 pour abolir «l’îlot de cherté Suisse» reconnaît que les produits légalement mis sur le marché dans la CE ou l’EEE doivent en principe également pouvoir circuler librement en Suisse. Cela concerne des produits européens, mais aussi des produits de pays tiers ayant obtenu une autorisation dans l’UE. Résultat, quelques produits tels que le sirop avec un taux de fruits bien inférieur aux normes suisses, un jambon gorgé d’eau, du riz bourré de pesticides etc. Pour éviter une discrimination trop importante, la loi suisse autorise de surcroît des entreprises suisses à produire selon les normes européennes pour autant qu’une part importante de leur production soit exportée. De quoi y perdre son latin et créer un écran de fumée sur l’étiquetage. Ce que Jacques Bourgeois a la délicatesse d’omettre dans ses récentes plaintes, c’est qu’il a tout fait lors du débat parlementaire de 2009 pour obtenir tous les compromis agricoles possibles pour faire passer un texte de loi que son parti voulait voir entériner et éviter à tout prix un référendum. En refusant que l’USP s’y associe, il torpille le référendum contre le Cassis de Dijon (qui échoue à moins de 3’000 signatures) lancé par Willy Cretegny, vigneron genevois, appuyé notamment par Uniterre, les Verts et en partie l’UDC. Même Prométerre, chambre vaudoise d’agriculture a été rappelée à l’ordre par sa faîtière nationale alors qu’elle battait intelligemment campagne, avec force d’arguments, contre ce Cassis de pigeon. Ce n’est qu’après, fin 2010, à la veille d’une campagne électorale le concernant que le directeur de l’USP lance son initiative parlementaire. Malaise.

A l’heure où la presse alémanique et ses lecteurs se déchaînent contre ce «trop puissant» lobby paysan, cette petite histoire remet quelque peu en doute la fameuse efficacité et toute puissance de notre lobby paysan qui jongle difficilement entre défense professionnelle agricole, allégeance au parti et carrière. D’ailleurs, s’il était si efficace, cela se saurait. Il n’y aurait probablement pas 1’000 exploitations qui disparaîtraient du paysage agricole par année, pas de prix du lait si bas, pas d’importations si massives de vins, pas une part si élevée de paysans classés parmi les «working poor». Cette presse alémanique, dont l’écho commence à passer la barrière de rösti, s’érige en chevalier blanc contre ces paysans qui feraient la pluie et le beau temps au Parlement. Elle serait bien inspirée de fouiner parmi le lobby des assurances maladies qui elles ne semblent pas vivre des temps aussi sombres que les paysans et dont bon nombre de parlementaires sont dans leurs conseils d’administration. Pour celles et ceux qui l’auraient oublié, nous sommes bien en année électorale...

Comme quoi, un crocodile ça pleure mais ça ne mord pas si fort...