mercredi, 25 février 2015

article de Marianne Ebel - paru dans SolidaritéS n°263

Des femmes luttent dans le monde entier pour que la souveraineté alimentaire soit reconnue et instaurée partout comme un droit fondamental. Dans le cadre de sa 4e action planétaire, La Marche mondiale des femmes en a fait un thème central dans plus de 60 pays, situés sur tous les continents.

 

A l’origine, cette revendication de la souveraineté alimentaire a été formulée à l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation en 1996 par Via Campesina, qui coordonne au niveau international des organisations de petits et moyens paysans, de travailleurs agricoles, de femmes rurales et de communautés indigènes. La Marche mondiale des femmes est alliée à ce mouvement. Comme Via Campesina, elle s’engage pour une redistribution des terres et des conditions de production égale entre femmes et hommes. La souveraineté alimentaire présente une solution de rechange aux politiques agricoles néo-libérales: elle donne la priorité à la production agricole locale pour nourrir la population, défend l’eau comme un bien public et le libre accès aux semences. 

La souveraineté alimentaire pour transformer le rapport à la vie

Qu’elles soient paysannes ou non, les femmes sont intéressées au premier chef par le contrôle des conditions de travail, de production et de distribution des aliments; la proximité est pour elles une garantie de stabilité et de qualité. Pouvoir connaître comment est produite la nourriture que nous consommons intéresse bien sûr tout le monde, mais la contribution des femmes à l’alimentation est majeure : de l’agriculture à la préparation des repas, dans les cantines, scolaires ou autres, mais aussi dans les familles, ce sont principalement elles qui sont à l’oeuvre. Le fait est bien connu : si l’on compte aussi bien le travail non rémunéré que le travail rémunéré, les femmes et les jeunes filles travaillent partout dans le monde nettement plus que les hommes. Dans les villes comme dans les campagnes, elles sont souvent les premières levées et les dernières couchées. 

Quand les femmes bougent, le monde bouge!

Comme le soulignait Miriam Nobre en 2007 dans un éditorial de Nyéléni qu’elle signait alors comme coordinatrice du Secrétariat international de la MMF : « Parvenir à la souveraineté alimentaire implique non seulement de changer le modèle de production des aliments, mais aussi leur consommation. Cela veut dire prendre le temps de préparer le repas, de manger, de partager, mais aussi d’avoir du temps [...]. Ce changement ne peut pas se baser sur l’augmentation du travail des femmes. Pour avoir plus de temps, nous n’avons besoin ni de fast-food ni de conserves; nous avons besoin de politiques publiques soutenant la reproduction, comme l’alimentation dans les écoles et les restaurants populaires et surtout... il faut répartir le travail équitablement entre tous et toutes ! »(Bulletin Nyéléni no 6 - « Femmes et souveraineté alimentaire », 2007). 

S’engager pour le principe de la souveraineté alimentaire implique un autre rapport au temps, mais aussi un réel partage des tâches domestiques et éducatives entre femmes et hommes. C’est une base pour un autre monde. L’énergie nécessaire pour la mise en oeuvre de ce droit fondamental - porteur d’espoir - se trouve et se puise dans la solidarité. 

Les femmes se mobilisent aussi en Suisse

Elles s’engagent activement dans la récolte des signatures de l’initiative fédérale « Pour la souveraineté alimentaire », à la campagne comme à la ville. C’est l’occasion pour elles de lutter ensemble pour de meilleures conditions de vie et de travail, de parler de tout ce qui ne va pas, mais aussi de leurs espoirs. Les paysannes revendiquent comme toutes les autres femmes l’égalité avec les hommes. Ce droit constitutionnel, loin d’être réalisé dans le monde paysan, est d’autant plus important que le travail de la terre est devenu précaire et incertain.  

Des actions de sensibilisation et d’éducation populaire sont organisées dans différentes régions de Suisse pour montrer l’importance du droit de disposer librement des semences locales et mettre en évidence les problèmes causés dans le monde entier par les multinationales de l’agrobusiness. Conférences publiques, forums, films-débats ont lieu dans plusieurs villes et régions. A la demande de la MMF, les villes de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel ont déjà mis à disposition des emplacements en plein centre pour y semer dès le 8 mars du blé et des fleurs des champs. D’autres villes et villages seront sollicités, et cha­cun·e est invité à semer du blé dans un coin de jardin, sur son balcon... L’idée est de favoriser une prise de conscience générale sur l’importance de lutter pour sortir l’alimentation et l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce et des accords de libre-échange et de signer l’initiative d’Uniterre. Le but est de montrer que cette revendication de la souveraineté alimentaire, loin d’impliquer une vie de repli ou en autarcie, appelle de nouvelles solidarités entre les villes et les campagnes, entre les pays du Sud et du Nord, une nouvelle façon de penser et de vivre notre rapport au temps, à la nourriture et au monde, en rupture avec les logiques d’exploitation capitaliste et patriarcale. 

Marianne Ebel - SolidaritéS n°263