mardi, 10 mars 2020

Projet de manifeste en cheminement réalisé par Paul Sautebin

Il est d’usage, dans le langage courant, de parler de «notre agriculture» et il est légitime de la considérer ainsi, étant donné qu’elle se pratique sur une terre commune à tou.te.s, et qu’elle est soutenue par des fonds publics à hauteur d’un peu plus de 3 milliards de francs par année. Pourtant, il n’en n’est plus rien ! L’agriculture du pays n’est plus gouvernée par les institutions politiques mais par le diktat du marché mondialisé qui détermine ce qu’on produit, où, comment et à quel prix. Ce ne sont plus les besoins alimentaires et la santé publique mais l’industrie de transformation et de commercialisation, avide de flux de matières premières, qui « gouverne » l’agriculture. Nourrir les marchés s’est substitué à nourrir« le pays ». La politique agricole de la Confédération ne fait que limiter les effets collatéraux. Les agriculteur.trice.s sont censés produire toujours plus à moindre coût et paradoxalement garantir des prestations écologiques. Durant les trente dernières années, cette politique libérale soutenue par les fonds publics n’a pas empêché l’effondrement de la biodiversité, la dégradation des sols, l’empoisonnement de la nature, de l’air et de l’eau. 30’000 exploitations ont disparu, la tutelle bancaire s’est confirmée et une néfaste spécialisation des fermes s’est installée. Mondialement et localement, l’agriculture est devenue un champde guerre économique. Le libéralisme a introduit un climat de concurrence, de lutte pour avaler les terres des voisins asphyxiés par le marché. Le bilan de cette politique est économiquement, humainement et écologiquement catastrophique. Et si des habitant.e.s de ce pays s’investissent dans le débat agricole, même si ce n’est pas toujours très adroit,c’est bien justifié. C’est bien le monde agricole qui a tort de ne pas proposer une sortie de cette dynamique productivisme mortifère.

Parler d’auto-approvisionnement est une farce. La prétendue sécurité alimentaire du pays est un leurre. Elle repose sur l’import-export de marchés agricoles eux-mêmes liés au système financier en sursis. Nous importons 50% de notre alimentation, et plus d’un million de tonnes de fourrages, alors que nous exportons l’équivalent de 20% de la surface agricole du pays sous forme de produits laitiers. Nous exportons des produits alimentaires de «luxe » alors que nous importons des produits de moindre qualité. Dans les accords de libre-échange, l’agriculture, la santé publique, l’environnement et les droits sociaux sont sacrifiés au profit d’avantages commerciaux. L’Etat promeut une agriculture de précision à coups de millions alors que paradoxalement plus du tiers des aliments sont gaspillés entre le champ et l’assiette. La plupart des déchets sont dus aux normes imposées par la grande distribution. Cette dernière façonne les papilles des consommateur.trice.s, transforme et conditionne l’alimentation dans un but purement commercial et de marketing, cela au nom de la liberté de commerce.

Il est urgent de reconnaître que le travail en agriculture ne devrait pas se limiter à mener un troupeau ou une culture mais avant tout d’entretenir et valoriser l’écosystème agricole. Les paysan.ne.s font le pays-agricole de la société alors que l’entrepreneur est un extracteur commandité sur investissement. La revitalisation des sols agricoles est primordiale à la sécurité alimentaire et au captage du CO2 atmosphérique. La fertilité naturelle retrouvée ainsi que l’immunité, tous deux refondent une agriculture exempte de l’essentiel de la chimie. L’efficience environnementale exige aussi la remise en question du dispositif agroalimentaire d’import-export actuel du pays. Elle implique une régulation des marchés agricoles afin de décider ce qu’on veut produire, où, comment, à quel prix. C’est là l’outil qui permet une gouvernance démocratique de la société en adéquation avec la liberté consentie aux paysan.ne.s.

Le réchauffement climatique vient nous assiéger. L’urgence climatique s’est imposée. Un degré en plus aujourd’hui c’est déjà grave, le prochain est déjà prévu pour 2040 !!! L’ensemble des activités économiques est appelé à venir dans le champ de la raison démocratique de la société, alors que l’Etat et les institutions dites représentatives n’entendent rien et imposent les injonctions du marchés. L’interaction et le caractère vital que représente l’agriculture entre la nature et la société fait d’elle certainement le premier champ de la lutte effective contre le changement climatique. Les régimes politiques négationnistes l’ont compris et en font un instrument de guerre de marché et de guerre militaire.

Le champ de la citoyenneté permet de penser, de projeter et d’agir plutôt que de se morfondre et se reprocher mutuellement nos implications dans ce système destructeur. C’est l’esprit de ce manifeste en cheminement, ouvert à tous et toutes pour son élaboration.

Pistes de réflexion d’un manifeste paysan pour le climat

  1. L’agriculture qui se pratique sur le territoire commun de la société doit être libérée de la servitude de la concurrence mondialisée. Elle doit revenir sous gouvernance démocratique afin de pouvoir définir sa destinée sociale, environnementale et concélébrer les générations futures. Recouvrer l’indépendance des producteur.trice.s face aux filières de production. Renforcer la participation des associations et coopératives paysannes à l’extension de la démocratie.
  2. Produire et manger local est une attente légitime de la société tout comme des producteur.trice.s. Elle doit prévaloir sur l’import-export. Cela implique l’instauration de marchés régulés dans tous les domaines de production agricole, en rapport aux besoins alimentaire et en respectant l’écosystème, la sécurité alimentaire et la santé publique.
  3. La lutte contre le gaspillage alimentaire, qui représente plus de 30% de la production, passe par une remise en question des standards de la grande distribution et de l’industrie de transformation. Le marketing sur le dos de la nourriture doit être prohibé. La surproduction, notamment laitière, générée par les lois, doit être supprimée. Les valeurs nutritionnelles et écologiques doivent prévaloir sur la valeur marchande.
  4. Le principe de durabilité doit se départir de celui de la rentabilité pécuniaire. Au même titre, la santé publique, la justice sociale et l’égalité des droits exigent que le principe de production biologique et de conservation des sols ne devienne pas de produit de niche en rapport au revenu des consommateurs.
  5. La revitalisation de l’agriculture et des campagnes nécessite une réforme «du droit foncier rural» adaptée à cet objectif. Il doit permettre une décentralisation des terres plutôt que la centralisation. Favoriser la reprise des exploitations par des forces nouvelles
  6. La revitalisation des sols, c’est-à-dire la reconstitution de l’humus et de la fertilité organique, est essentielle et déterminante pour trouver lepotentiel de fertilité et d’immunité qui permette de systématiquement réduire les intrants chimique et l’utilisation de lourdes machines. De surcroît, il deviendrait un important puits de carbone capté dans l’atmosphère. La biomasse organique des sols doit être considérée comme un bien commun au même titre que la biodiversité, l’eau et les sous-sols, déjà inscrits comme des biens qu’on ne peut s’approprier.
  7. Une production saine nécessite de valoriser le travail vivant, de reconnaître à sa juste valeur le travail de la terre.Elle implique une revalorisation des revenus agricoles, une garantie des prix sur le marché qui devrait être assurée par la Confédération. Le droit foncier rural doit favoriser une répartition des terres et l’accès à des forces humaines nouvelles. Les salarié.e.s agricoles doivent pouvoir bénéficier d’une convention collective de travail de plein droit.
  8. Il est urgent que les fonds publics alloués à l’agriculture soient orientés pour redonner à l’agriculture locale ses missions premières: celle de nourrir la population et celle d’entretenir la pérennité de l’écosystème agricole pour les générations futures. L’agriculture et la sylviculture doivent avoir la priorité sur les dépenses militaires superflues et sur l'extension du réseau routier, ainsi que d’autres infrastructures non indispensables. Des taxes sur les négoces agroalimentaires, les fonds carbone, doivent servir cette priorité.
  9. La photosynthèse est la seul source de transformation énergétique elle doit être reconnue comme telle par l’Etat, valorisés et protégé de l’appétence infini de productivisme mercantile, bénéficier de marché régulés par des choix politique. Le travail vivant, de l’intelligence de la main doit y retrouver sa place et sa dignité. De même les animaux de ferme doivent recouvrer la dignité perdu par l’industrialisation et la standardisation ne matière première.
  10. Au présent les enjeux les plus déterminants: la signature des accords de libre-échange avec le Mercosur, l’Indonésie et les USA doivent exclure l’import-export de produits agricoles. Le projet de PA22+ doit être refusé dans sa version productiviste et libérale. Il ne fait qu’entériner la poursuite du désastre en cours sur le dos des contribuables.

Ce projet émane de réflexions entre paysans, paysannes, de jeunes de la Grève pour la Climat,du Jura et d’ailleurs.

Source : documentation OFAG

Contact possible au 032 751 26 61 ou souslesplanes@bluewin.ch