vendredi, 30 mars 2012

agroecology-schemaLors de son passage en Suisse en février 2012, Silvia Pérez-Vitoria, socio-économiste française, nous a également parlé de l'agroécologie, une approche sur laquelle elle a publié plusieurs articles. Elle a aussi coordonné  un ouvrage en 2008 intitulé «Petit précis d'agroécologie», à l'occasion de l'organisation d'un colloque international sur l'agroécologie qui s'est tenu à Albi -(France) Entretien.

 

Silvia, en Suisse, nous avons déjà beaucoup de définitions comme la multifonctionnalité, la production intégrée, le bio qui prennent en compte l’environnement. Qu’est-ce que l’agroécologie apporte de plus?

Le terme d’agroécologie a été évoqué pour la première fois en 1930 par l’agronome russe Basil Bensin. Mais c’est surtout dans les années 70 que le concept a pris son envol, notamment en Amérique latine. Il s’agissait de réagir au développement ravageur de l’agriculture industrielle. Ce qui est intéressant, c’est que ce concept n’est pas la réserve gardée des agronomes; il a bénéficié d’apports précieux d’écologistes, de géographes, de socio-économistes, d’historiens ou d’ethnobotanistes afin d’atteindre cette vision multidimensionnelle. Une définition simple serait que l’agroécologie est une approche globale de l’agriculture qui intègre les dimensions sociales, économiques et politiques. Son unité de référence est l’agro-écosystème. L’être humain y a ainsi une place importante puisque à travers ses pratiques, il a façonné les écosystèmes. Il y a une co-évolution entre les êtres humains et leur environnement. Quelque fois, son impact sur l’environnement est négatif, d’autres fois son intervention a été écologiquement correcte. C’est sur ces dernières expériences que l’agroécologie se développe.

Agir au plus près de l’environnement?

En quelque sorte, il faut atteindre une efficacité écologique que l’on pourrait définir par «la capacité d’un système à obtenir un rendement maximum moyennant un coût en énergie et en matière minimum et à perdurer sans bouleverser la stabilité des écosystèmes».  C’est la définition agronomique, étroite, de l’agroécologie.

Sur quelles connaissances scientifiques se base l’agroécologie?

Ce qui est intéressant, c’est qu’elle s’affranchit d’un savoir agronomique à vocation universelle qui serait applicable partout, quelque soit la situation économique, sociale, politique, culturelle ou environnementale en présence. Elle s’appuie fortement sur les savoirs paysans qui se sont adaptés au fil des ans aux réalités vécues. Il est frappant de constater que la biodiversité et la diversité culturelle sont corrélées. Par exemple, c’est dans les pays qui conservent une multitude de langues locales que la diversité semencière est la plus grande. Les savoirs sont donc diversifiés, en fonction des besoins. L’agroécologie se base sur le postulat que les connaissances les plus pertinentes pour  valoriser les agro-écosystèmes s’obtiennent en étudiant la manière dont l’agriculture traditionnelle a travaillé les écosystèmes. Ce positionnement est révolutionnaire car il reconnaît les savoirs et savoirs-faire paysans qui n’ont cessé d’être dévalorisés au cours de l’histoire.

Nous avons parlé de l’environnement. Le bien-être social est aussi pris en compte?

Oui et c’est un des aspects novateurs de cette notion. La durabilité d’un agro-écosystème doit également s’appuyer sur la vie sociale, culturelle et politique des personnes qui y travaillent. Le fait de passer de l’agriculture conventionnelle au bio ne suffit pas pour parler d’agroécologie. En étudiant le système, il faut interroger l’histoire agronomique, la mémoire des savoirs, la propriété foncière, les sols, la biodiversité, les modes d’échanges économiques, la formation des prix, les politiques agricoles, les pouvoirs en place, les mouvements sociaux. C’est complexe car il s’agit, de manière participative, d’associer sciences dures, sciences sociales et savoirs traditionnels. Une vraie révolution pour les scientifiques. Il n’y a pas de catalogue de techniques agronomiques à appliquer. Il n’existe pas de recette miracle universelle. Mais il est possible de s’appuyer sur quelques principes.

Et en quoi consiste cette grille d’analyse?

• Se baser sur l’intégralité de la démarche. Si le point de départ est l’agriculture, l’élevage ou la sylviculture, tous les domaines d’une zone rurale qui peuvent assurer le bien-être doivent être pris en compte et valorisés.

• Atteindre l’équilibre avec la nature et dans les relations sociales.

• Tendre vers une autonomie des habitants dans la gestion et le contrôle de leur territoire.

• Minimiser les externalités négatives de la production en développant des réseaux locaux d’intrants comme de commercialisation des productions.

• Valoriser les circuits courts.

• Utiliser les savoirs locaux notamment dans la gestion des ressources naturelles.

• Encourager la pluriactivité et la complémentarité dans les sources de  revenus quitte à récupérer des activités abandonnées (par exemple paysans-boulangers).

• Soutenir la recherche-action participative prenant en considération les savoirs et savoirs-faire paysans en les intégrant pleinement au processus.

• Développer des politiques agricoles se basant sur la souveraineté alimentaire.

Est-ce que le mouvement pour l’agriculture contractuelle de proximité participe ainsi à cette démarche?

C’est sûr. Puisque cela favorise les circuits courts et rapproche paysans et consommateurs. L’intérêt des consommateurs urbains est toujours plus fort pour ce type de démarche qui questionne ce que sont devenus nos territoires. Ainsi, en France, la région de la Beauce a largement été abandonnée à la monoculture et à l’agrobusiness. Il reste peu de place pour les relations sociales entre paysans et consommateurs. Que faut-il faire? Est-ce normal de laisser ces terres à des destructeurs en puissance? Ne faut-il pas enclencher une réforme agraire qui, soit dit en passant, n’est pas réservée aux pays du sud. C’est une vraie question de société. Après avoir été surtout sensibles aux questions écologiques et de santé, les citadins se rendent compte aussi que la disparition de la paysannerie est une menace pour la population. D’autant plus que le système agroindustriel est fragile. Il dépend à outrance des marchés globalisés, des intrants et des subventions. Il suffit qu’un de ces trois paramètres manque à l’appel pour que le système s’effondre. 

L’agroécologie ouvre de nouveaux horizons comme savoir utiliser intelligemment le gratuit, ce que nous offre la nature, notamment pour s’affranchir des intrants industriels. En cherchant à être plus autonome, il est possible de récupérer de la valeur ajoutée. De créer de l’emploi. Autant de questions importantes pour l’avenir de nos sociétés.

Un retour en arrière?

Je ne le pense pas. Il s’agit de voir les choses différemment et de reconstruire sur de nouvelles bases, mais en gardant le lien avec l’histoire de l’agriculture traditionnelle. Cette notion nous permet de nous interroger sur les fondamentaux de nos sociétés dont l’agriculture fait partie. Cette remise en question est vitale!

Où se vit l’agroécologie?

Sur le plan pratique, des expériences sont menées un peu partout dans le monde. L’Amérique latine est précurseur en la matière. Au niveau de la recherche, il y des pôles forts aux Etats Unis (Californie et Vermont) et en Espagne à l’Université de Cordoue à l’Institut de sociologie et d’études paysannes.

L’agroécologie est selon moi le seul système qui permette tout à la fois de préserver et d’enrichir la biodiversité, de fournir du travail, d’assurer une nourriture de qualité et de diminuer les problèmes de santé. Une des conditions de base pour mettre en place une approche agroécologique est de redonner à la paysannerie toute sa place dans nos sociétés. C’est pourquoi j’estime que les pays du sud, qui ont encore une forte paysannerie, auront plus de facilité à mettre en oeuvre une telle démarche. Mais ici aussi elle a tout son sens.

 

Propos recueillis par V. Hemmeler M.