jeudi, 27 août 2015

bezencon gillesViande: «Tout le monde doit jouer le jeu, en amont comme en aval de ma ferme»

Estelle et Gilles Bezençon, travaillent le Domaine de la Marchande à Goumöens, dans le canton de Vaud. Ensemble, ils ont monté un troupeau de vaches de race Aubrac, une race recherchée pour la qualité de sa viande. Membre de Vache mère suisse, ils approuvent la stratégie de l'organisation, mais regrettent que les règles et les contraintes ne soient que pour le paysan et que les acteurs en amont et en aval ne jouent pas suffisamment la transparence. Entretien avec Gilles, à l'ombre du bouleau dans le jardin.

 

 

J’ai repris le domaine de mes parents, Evelyne et Jean-Luc Bezencon en 2010. Avant ma formation agricole, j’ai travaillé comme mécanicien sur machines agricoles. Une excellente première formation qui m’a permis de voir d’autres univers que celui de l’agriculture, sans en être trop éloigné. Mes parents ont arrêté le lait en 2004, donc bien avant que je reprenne. Lors de la reprise, j’ai eu des problèmes pour accéder aux crédits d’investissement. Je n’avais pas assez d’UMOS et un rural vide. Je me suis donc lancé dans l’élevage d’agneaux. C’était ma première expérience dans le secteur de la viande. Cela a duré quelques années, mais cela m’a permis d’avoir mes crédits et de reprendre la ferme.

Pourquoi avoir changé de secteur?

Par passion des vaches et par un concours de circonstance. J’ai rencontré de bonnes personnes au bon moment. C’est lors d’un voyage en France que j’ai découvert les vaches de race Aubrac. De retour en Suisse j’ai prospecté le marché et j’ai découvert que cette race n’était pas très présente et que la demande pourrait être bonne. Nous en avons discuté en famille et nous avons décidé, Estelle et moi, d’acheter nos premiers animaux avec nos premières économies. Heureusement ma femme travaille à l’extérieur comme enseignante. Elle a pu participer financièrement à ce projet. Seul, je pense que je n’aurais pas pu. Importer des vaches reste cher. Entre l’achat de l’animal, les frais de douane, les frais liés à la quarantaine, les services vétérinaires, les prises de sang et le transport, l’investissement par animal est proche de 5000 Frs. Je vous laisse imaginer le prix pour monter un petit troupeau de vaches mères avec un taureau reproducteur...

Au village, nous sommes encore quelques paysans. Essentiellement des jeunes. On s’entend bien et on collabore volontiers, c’est très important. J’ai deux voisins qui font de l’élevage de race à viande. Ils m’ont aussi bien aidé et m’aident encore. Je les en remercie. C’est primordial d’être coaché et de ne pas se lancer seul quand on débute dans ce type de production. On n’a pas le droit à l’erreur vu les sommes investies.

Question débouchés, comment et avec qui travaillez-vous?

Très rapidement, je suis rentré dans l’organisation «Vache mère suisse» pour me former et parce que leurs visions de la production correspondaient aux miennes. Les critères de production et de détention sont stricts, mais correspondent aux idées que je me fais d’un élevage de qualité. Je souhaite offrir le meilleur à mes clients. Néanmoins je reste critique sur d’autres aspects, notamment ceux qui sont liés au fonctionnement de la filière en amont et en aval de ma ferme et aux prix pratiqués.

En amont d’abord, nous recevons des veaux à engraisser d’autres fermes par l’intermédiaire de l’entreprise Vianco. Le prix des veaux que j’achète est parfois calculé de manière peu transparente. Le camion est pesé à vide puis à plein. La différence de poids est divisée par le nombre de bêtes puis multipliée par un prix fixe. Ce qui fait que tous les veaux que j’achète ont le même prix. Aucun critère de qualité, de santé ou de race ne sont pris en compte. Or, à la sortie de ma ferme, à l’abattoir, ces animaux sont taxés de manières très strictes selon le barème CHTAX et les règles de poids et d’âges des différents labels de l’association Vache mère suisse. De plus, les taxateurs aux abattoirs sont accrédités par Proviande mais sont payés par les abattoirs. Il est donc facile pour eux d’adapter la taxation et donc le prix aux éleveurs en fonction du marché ou de directives venant de «plus haut». Et comme les taxations se font à l’abattoir, donc souvent très loin des fermes, la majeure partie des paysans ne vient que rarement rechercher les animaux ou les carcasses qui seraient mal taxés et ne demande que rarement un réajustement de la taxation. Pour moi, il devrait y avoir une taxation paysanne sur l’exploitation et une taxation des bouchers à l’abattoir. Et les deux devraient trouver un consensus. Dans tous les cas les taxateurs devraient être bien plus indépendants. Pour moi, un changement de classe (passage de la classe C2 à C1 par exemple) peut avoir des répercussions financières très importantes (plusieurs centaines de francs en moins pour un animal qui vaut environ 3000 Frs).

De plus, je ne trouve pas correct que les abats (foie, etc) et les peaux ne nous soient pas achetés par les abattoirs alors qu’ils nous sont taxés par ces derniers s’ils ne sont pas totalement sains. Soit ces produits ont une valeur commerciale soit ils n’en ont pas.

Les grandes surfaces ne jouent pas assez le jeu de la qualité et du prix. Nous, éleveurs de Vache mère suisse, devons respecter des critères stricts de production, d’alimentation, de santé, de certification, etc... Le cahier des charges fait 8 pages. Nous sommes taxés fortement si l’animal est trop lourd ou trop léger, selon la couverture musculaire ou graisseuse, selon les aplombs...Bref tout doit être au mieux pour éviter les déductions de prix. Du côté de la distribution, les critères sont, me semble-t-il, bien plus légers et le prix de vente de la viande aux consommateurs n’est pas lié au prix d’achat des animaux. La transparence des marges s’arrête à l’entrée des abattoirs. C’est un fait qui n’est pas nouveau mais qui devrait être mis à nouveau sur le devant de la scène. Aussi pour les produits labellisés. Ce d’autant plus que le prix moyen payé aux producteurs reste à mon avis trop faible par rapport au prix de vente aux consommateurs. C’est le cas aussi dans les différents programmes de Vache mère suisse, même si le prix est tout de même meilleur. Par rapport à la qualité, il faut souligner que le programme Natura-Beef, propriété de Vache mère suisse, oblige un rassissement des morceaux nobles de 14 jours au minimum. C’est bien, mais cela devrait être le cas pour l’ensemble de la viande produite et consommée en Suisse. Or les grandes enseignes ne racissent pas toujours la viande. Elle perd donc beaucoup d’eau à la cuisson et perd énomément de ses qualités gustatives. Sans parler que cette eau a été préalablement vendue au prix de la viande... Je ressens cela comme un manque de reconnaissance du travail du paysan. 

Si les pratiques des grandes surfaces vous exaspèrent, développez-vous d’autres canaux de distribution?

Les grandes surfaces commercialisent une grande partie de ma production! Elles jouent un rôle important pour ma ferme. C’est important de le souligner. Mais elles doivent aussi faire des efforts, c’est important pour notre image et pour nos clients. La restauration est aussi un canal important. Sur les 80 à 90 taureaux que je commercialise annuellement, 14 à 17 sont vendus en vente directe. C’est un bon débouché qui certes, demande un peu plus de travail, mais ce surplus est totalement compensé par la grande satisfaction des clients. Le prix est meilleur pour lui comme pour moi. Jusqu’à maintenant nous faisions abattre nos bêtes à l’abattoir de Cheseaux-sur-Lausanne. Mais comme il va fermer nous allons devoir trouver d’autres solutions. Il y en a un à Clarens et un autre à Avenches. C’est nettement plus loin et ce surcoût pourrait être reporté chez les clients, ce qui n’est pas le but. Alors je cherche plus proche. Il y en a un à Echallens, mais il coûte un peu plus cher car il faut louer les locaux et embaucher un boucher, ce dernier n’étant pas payé par l’abattoir. Je suis de près également le projet d’abattoir d’Aubonne (cf article pages 3-4) car cela pourrait nous intéresser.

Après rassissement, nos carcasses sont découpées par les excellents artisans de la boucherie Peguiron à Fey. Les consommateurs font eux-mêmes, avec le boucher, la répartition des différents morceaux. Nous proposons des lots jusqu’au 8ème de taureau. Cela veut dire qu’il faut trouver suffisamment de personnes avant de tuer la bête. Ce n’est pas si facile et tout le monde n’a pas les installations de réfrigération adéquates à la maison.

Pourquoi ne pas installer et louer des congélateurs particuliers directement sur votre exploitation? Cela permettrait de palier à ce problème et de faire venir vos clients régulièrement sur votre exploitation? Serait-ce une solution?

L’idée n’est pas mauvaise en effet (sourire). Cela permettrait de recréer les congélateurs communaux, comme à l’époque! Il existe effectivement des armoires de congélation avec boxes individuels relativement performantes aujourd’hui. Cela permettrait de cibler les habitants proches de la ferme et de les faire venir souvent ici. Je vais faire une étude de marché (rires).

Comment imaginez-vous l’avenir pour votre ferme?

Je pense développer la vente directe de viande, mais également de bois de feu et de jus de pommes. Il faudra pour cela que j’améliore la communication axée vers le client. C’est un travail qui demande des qualités particulières que je n’ai pas forcément. Il faudra donc que je me forme à cela. Je souhaite également profiler la race Aubrac et ses multiples qualités. Je vais aussi rechercher une plus grande autonomie dans l’alimentation de mes bovins. Je projette également la création d’une chambre froide pour pouvoir stocker mes produits frais.

Nous réfléchissons également  au mode de production. Le bio pourrait être une alternative que nous pourrions envisager mais il est important de bien peser les avantages et les inconvénients. Mais c’est une demande des clients. 

Au niveau du village, je pense qu’il y a encore de la place pour améliorer la collaboration entre paysans, notamment dans la mécanisation. Je pense que c’est important que nous gardions nos structures, nos fermes aussi diverses soient-elles. Cela évite de gros investissements et donc des dettes trop importantes. Aujourd’hui, de grandes structures se sont développées, de nombreux paysans se sont associés pour construire de grosses fermes et constituer d’importants troupeaux. Je ne suis pas certain que ce modèle soit la solution pour tous. 

Moi je préfère avoir ma ferme que j’arrive à gérer, ne pas trop faire de dettes, travailler sur la vente et la valeur ajoutée de mes produits et faire des transformations à moindre coût en faisant beaucoup moi-même ou avec l’aide d’autres paysans. Je souhaite progresser sans être victime de mon développement

Propos recueillis par 

Nicolas Bezençon

Pour contacter Gilles Bezençon: 0787888510 / gillesbezencon@yahoo.fr