jeudi, 27 octobre 2016

betteravesAlors que la revendication claire de 2015 des producteurs de betterave, pour un prix seuil au niveau de la frontière de 600/fr la tonne pour pouvoir garantir un niveau de prix acceptable en Suisse n'est toujours pas mise en oeuvre par le Conseil Fédéral, ce dernier a relevé ce printemps la contribution rétroactive à la surface pour les betteraves sucrières, dont le montant s'élèvera à 1'800 francs par hectare, soit une augmentation de 200 francs.

 

 

De cette manière le Conseil Fédéral entend sans doute désamorcer la motion Bourgeois qui devra être traitée prochainement au parlement et qui demande justement l’instauration d’un prix seuil de 600 Fr./t pour donner ainsi un cadre permettant de maintenir une production sucrière indigène. 

Par peur de froisser l’Union Européenne, le Conseil Fédéral se dérobe une fois de plus à sa responsabilité vis-à-vis de la production indigène et pratique la politique du sparadrap. Au lieu de mettre en oeuvre de véritables solutions - par le biais d’une taxe à la frontière pour le sucre blanc (assurant en même temps un revenu pour les caisses fédérales) et par le biais d’un cadre économique clair - il puise dans le budget agricole pour financer une prime, qui certes est bienvenue, mais qui ne résout rien.

Selon le Conseil Fédéral cette décision a également été prise dans le but de soutenir la production indigène de betteraves sucrières, dans un contexte de pression persistante sur le prix du sucre. En 2005, il a été convenu de supprimer les mesures de compensation du prix du sucre entrant dans la composition des produits agricoles transformés qui sont échangés entre l’UE et la Suisse (boissons sucrées, chocolat, produits laitiers, biscuits, etc.). Depuis lors, le prix du sucre indigène évolue de manière similaire à celui pratiqué dans l’UE, ce qui, selon le Conseil Fédéral permet à l’industrie alimentaire suisse, qui vend ses produits tant sur le marché national que sur le marché européen, de disposer de sucre à des prix concurrentiels.

Nous retrouvons ici la sempiternelle  argumentation qui permet de prendre systématiquement en otage la production suisse, que cela soit la production laitière, céréalière ou encore sucrière. C’est pour la compétitivité de l’industrie agroalimentaire suisse qu’il faut s’aligner sur les prix européens et mondiaux. Cela illustre bien les problèmes insolubles générés par une globalisation de la dérégulation des marchés voulue par des multinationales. Cette globalisation détruit la création de plus-value sur les marchés locaux au seul profit d’intérêts privés. Avec son corollaire : favoriser une agriculture industrielle, qui assure sa « compétitivité » aux dépens des ressources naturelles et sur le dos des producteurs.

Le défi posé n’est pas seulement suisse, mais également un problème européen et global. En effet,  cette décision a été prise dans la perspective catastrophique de la suppression des quotas de sucre décidée par l’UE pour fin septembre 2017, suppression engendrant une forte pression à la baisse sur les prix. 

Selon le Conseil fédéral, il est primordial d’accroître l’efficience à tous les stades de la filière pour que l’économie sucrière suisse puisse rester compétitive. Il reste alors à définir les critères d’efficience et surtout à imposer des limites à cette compétitivité qui est destructrice si elle n’est pas encadrée. L’efficience pour la culture de la betterave sucrière consiste à pouvoir intégrer cette culture dans une agriculture paysanne avec des pratiques durables.

Les défis agronomiques et économiques consistent en un désherbage, une protection des plantes, une mécanisation et une politique de transports qui respecte les ressources. Ces exigences, ainsi que les défis posés par les conséquences sanitaires d’une surconsommation de sucre, nous obligent à poser la question du prix. Produire un sucre de qualité a un prix. Les prix actuels ainsi que les prix annoncés pour 2017 (41.- Fr/t prix indicatif pour 2017) sont largement insuffisants, même en tenant compte de la contribution à la culture de 1’800.- Fr/ha. Pour que la culture de la betterave sucrière soit maintenue en Suisse, le prix doit remonter rapidement et une prime pour une qualité extenso d’au moins 15.- Fr/t devrait être payée par les acheteurs sur le marché. La question des prix insuffisants est d’ailleurs à l’origine de l’échec de la production biologique en Suisse.

Cet exemple d’une filière importante pour l’agriculture suisse, des défis et des questions qui y sont liés montre une fois de plus que notre pays a besoin d’une vision pour l’avenir de son système alimentaire. Soit nous sacrifions notre indépendance et les valeurs de nos sociétés à une idéologie d’un marché sans aucune autre règle que celle du profit, dans une fuite en avant aveugle, soit nous affirmons que nos sociétés ont le droit de décider démocratiquement de leurs politiques alimentaires. La souveraineté alimentaire apporte une réponse globale à ces questions en replaçant la question du choix de nos systèmes alimentaire au centre de nos sociétés. Il faudra nécessairement s’en inspirer dans les débats et les combats à venir.

Rudi Berli
publié dans le Journal d’Uniterre - Septembre 2016