mardi, 24 mai 2016

P2282528sLe 27 avril dernier, le Conseil National s'est positionné favorablement à la mise en oeuvre de la motion de Leo Müller. Cette motion a pour objectif de corriger les inégalités de traitement fiscal que subit l'agriculture pour l'impôt sur les gains immobiliers, suite à un arrêt du Tribunal fédéral en 2011 qui a fait jurisprudence. Le Conseil des Etats devrait se positionner en juin.

 

 

Pour faire simple, le principal effet que cette jurisprudence, est de soumettre à l’impôt sur le revenu les plus-values effectives ou théoriques réalisées lors de la vente, respectivement du passage à la fortune privée, d’immeubles non soumis à la Loi sur le droit foncier rural (vente de terrain à bâtir, maison d’habitation des paysans retraités, etc). Jusqu’à cette jurisprudence, seules les plus-values découlant d’une vente étaient imposées au titre de gains immobiliers, soit bien souvent au taux minimal de 7%. Ce passage de la fortune commerciale à la fortune privée fait grimper ce taux à plus de 50% dans la plupart des cas. Un montant qui mettrait sur la paille de nombreuses familles paysannes et qui accélèrerait la disparition des fermes familliales.

Attaque frontale contre l’agriculture paysanne

Lors des débats au Parlement, les arguments et contre-arguments ont abordé essentiellement la situation d’un terrain cultivé vendu au prix du terrain à bâtir. Or, ce cas ne concerne de loin pas l’ensemble des paysans propriétaires fonciers. Peu de débats ont abordé la problématique de la mise en valeur d’anciens ruraux en zone village - parfois proche de la ruine - ou encore l’appartement des paysans retraités, acquis ou construit durant toute la carrière et non repris par le/la jeune paysan-ne pour différentes raisons (souvent liées à la charge financière). Si la jurisprudence était appliquée, cet appartement passerait automatiquement en fortune privée des retraités, avec une imposition insoutenable sans pour autant qu’il y ait eu gain lié à une quelconque vente.

Ce dernier point est particulièrement critique car il pourrait mettre à l’assurance sociale de nombreux paysans retraités dont les finances ne permettraient pas de conserver leur bien. Beaucoup seraient contraints de quitter et de le vendre, même si ce dernier faisait partie du corps de la ferme. Autrement dit, cette jusriprudence accélererait le démentellement des fermes familliales, au profis des celles à caractères industrielles, dont le financement n’est clairement plus famillial.

Toutes les fermes en propriété seraient donc touchées à un moment ou un autre, et notamment à chaque changement de génération, à chaque reprise de ferme. Tout le monde est donc concerné. Les jeunes paysans aussi.

L’effet rétroactif

Outre le caractère brutal et sans discussion du changement de régime qui en résulterait, cette jurisdrudence a un effet rétrocatif sur plusieurs années. Les paysans n’ont donc pas pu planifier ce changement dans leur stratégie financière, de reprise et de développpement d’entreprise. Au vu des montants en jeu, cette réforme va très certainement stopper net le développement et la capacité d’investissement des fermes. Dans le contexte de crise actuelle, cela serait dramatique.

Pas de prix, pas de moyens

Ces situations montrent la fragilité du système agricole qui doit fonctionner avec des prix très bas dans un environnement économique onéreux. Elle rappelle qu’il est impossible d’obtenir de bonnes capacités d’investissement et de payer des impôts sans avoir de revenu. Et c’est ici que se situe le noeud du problème. Aujourd’hui, avec les prix bas des céréales, du lait, de la viande, il n’est plus possible de maintenir une capacité d’investissement ni même de dégager des salaires corrects sur les fermes. Les paysannes et les paysans n’aurait-elles donc tout simplement plus les capacités de vivre dans ce pays ? Qui sont les responsables ? C’est à ces questions que devrait répondre un Parlement. Certes l’acquisition d’une entreprise à valeur de rendement ou une imposition favorable sont des particularités que d’autres professions artisanales n’ont pas. Néanmoins tout le monde en profite par l’intermédiaire du porte-monnaie au moment de remplir son assiette.

La paysannerie n’est pas contre les réformes et les changements. Il faut juste prendre le problème par le bon bout. D’abord des prix qui garantissent des conditions sociales et d’investissements corrects, une transmissibilité normale et durable de l’outil de travail aux jeunes générations et ensuite une éventuelle discussion sur la fiscalité. L’économie au service de l’homme et du bien commun, et pas l’inverse. En voilà une belle idée qu’il serait urgent d’appliquer, à gauche comme à droite du Parlement.

Nicolas Bezençon

 

Etude de deux cas : Répercussions de la jurisprudence sur la retraite d’un paysan propriétaire-exploitant d’une ferme se situant en zone agricole et en zone village

 

Données de la ferme : Reprise du domaine aux parents en 1982 avec une SAU de 27,4 ha L’achat de la ferme s’est fait à la valeur de rendement. Cette valeur est basse. Elle prétérite, en quelques sorte les parents et les frères et soeurs qui n’obtiennent pas les revenus d’une vente à valeur vénale. Estimation de la valeur de rendement, y compris les bâtiments et l’habitation: 274’000 m2 x 1,20 Frs = 328’800 Frs

  en zone
agricole
en zone
village

Le patrimoine agricole passe de la fortune commerciale à la fortune privée (valeur selon estimation fiscale 2016).

   

274’000 m2x 4 Frs

1’060’000 Frs

1’060’000 Frs

Valeur possible des bâtiments (selon estimation établie et présentée)

   

Habitation et dépendances

1’500’000 Frs

3’000’000 Frs

Total valeur calculée

2’560’000 Frs

4’060’000 Frs

Selon l’arrêt du tribunal fédéral, pour rester propriétaire de son bien-fonds et pouvoir habiter dans sa propre maison familiale le retraité doit payer:

Impôts

1’383’344 Frs

2’313’344 Frs

calculés de la manière suivante:

Valeur calculée actuelle

2’560’000 Frs

4’060’000 Frs

Déduction du prix d’achat à la valeur de rendement

-328’800 Frs

-328’800 Frs

Plus-value théorique imposable à 62% (impôts et AVS)

2’231’200 Frs

3’731’200 Frs

 

Il faut encore ajouter l’impôt sur les amortissements.
L’éventuelle dette hypothécaire n’est pas déductible de cette plus-value théorique.

 

 

Commentaires

Dans tous les cas de figure, lors d’une cessation d’activité pour raison d’âge, de maladie, de décès, la famille paysanne à l’obligation de vendre ses biens pour payer les impôts et doit s’en remettre aux services sociaux.
Lors d’une cessation tempo- raire d’activité agricole (saut d’une génération), un petit- fils ne pourra pas reprendre le domaine familial, celui-ci ayant été vendu pour payer les impôts.

Nicolas Bezençon