« Retenez au maximum la vente de vos bêtes, les prix sont très bas... » voici le contenu d'un SMS que de nombreux paysans ont reçu cet été. Uniterre l'a aussi diffusé. Pour Charles-Bernard Bolay, Président d'Uniterre, cette situation de crise aurait pu être moins grave avec un meilleur échelonnement des ventes durant l'été et une meilleure gestion des troupeaux en estivage. Interview :
Les prix du marché se sont effondrés, quelles en sont les raisons ?
Ce n’est pas nouveau, le prix de la viande de bovin fluctue avec les saisons. Au printemps, les vaches montent à l’alpage, le prix d’achat des animaux de boucherie augmente, car l’offre est plus faible et la consommation augmente. En fin de saison d’alpage, les vaches redescendent en plaine et de nombreux producteurs souhaitent vendre leurs vaches pour la boucherie. Il y a alors trop d’offre par rapport à une consommation en baisse. Cet été, la demande en été a été forte, et les producteurs n’ont sans doute pas pu subvenir aux demandes. McDonald’s en a profité pour importer de la viande autrichienne. Je ne soutiens pas McDo et sa philosophie de l’alimentation rapide, mais ce type de restauration à ses contraintes et notamment des flux de viande importants. Ces restaurants ne peuvent se permettre une rupture d’approvisionnement. Un paysan qui a choisi de commercialiser sa viande pour une telle filière doit le savoir et s’organiser en conséquence...ou alors il choisit d’autres formes de commercialisation.
Qu’entendez-vous pas « s’organiser différemment ? »
Il n’est pas forcément indispensable de monter tout son troupeau à l’alpage. Si l’on sait quelles seront les vaches qui seront abattues cette saison, autant les garder en plaine et les vendre quand les prix sont bons au printemps. En faisant un rapide calcul, on se rend compte que le rapport économique est bien meilleur si on abat une vache laitière quand le prix de la viande est élevé plutôt que quand il est bas, à la désalpe. La plus-value du lait ne compense de loin pas la perte de la valeur de la viande. De plus, une vache abattue avant de monter à l’alpage ne participe pas à la surproduction de lait en automne et ne coûte plus en frais d’alpage. De plus, il est également possible, techniquement, de gérer au mieux le troupeau alpé sans pour autant perdre les soutiens de la Confédération.
C’est-à-dire ?
Chaque alpage a un quota de « pâquier normal » (PN). Un pâquier normal correspond à une charge moyenne d’une unité gros bétail (UGB) pendant 100 jours. Par exemple, celui où je fais paitre mes bêtes en a 89. Pour toucher la totalité des soutiens de la Confédération, la charge de l’alpage doit se situer entre 70 et 110 % du quota PN, en fin de saison. Pour y arriver, il est donc possible de jouer sur le nombre de bêtes et le nombre de jours. Si j’ai moins d’UGB, je peux les laisser plus longtemps et inversement. Aujourd’hui, la charge en PN d’un alpage est analysée en direct via la banque de données sur le trafic des animaux (BDTA). Chaque animal alpé est entré dans le système. En se loguant sur le site, il est donc possible de connaître en permanence la charge de l’alpage. Il est donc possible d’adapter les jours d’alpage et le nombre d’UGB pour être dans le quota. Il est donc aussi possible, avec un peu d’anticipation et d’observation du marché, de vendre des bêtes durant la saison à un prix correct. Les alpages qui font du fromage ont aussi un quota de pâquier en plus du quota de fromage. Le fonctionnement est semblable. Il est donc possible de gérer les troupeaux et d’échelonner les ventes des vaches de réforme.
À vous écouter, il semble qu’il est possible de mieux faire ?
Oui, je le pense. Il faut juste être un peu attentif au marché, observer et prendre la décision au bon moment. Savoir produire ne suffit plus, il faut pouvoir vendre pour s’en sortir. C’est une des raisons pour laquelle je fais de la vente directe depuis très longtemps.
Les fluctuations de prix dans la filière porc sont encore plus incompréhensibles pour moi. Je pense qu’elles sont voulues par les quelques gros acteurs de la filière. Ce n’est pas possible autrement. Ils connaissent depuis longtemps les piques de production et de consommation et les quantités commercialisées. La filière est tellement intégrée qu’ils ont, me semble-t-il, tous les chiffres importants en main (nombre et période d’insémination, nombre de porcs en temps réel, jours d’accroissement, etc.) pour pouvoir organiser différemment le marché et maintenir les prix, mais ils ne le font pas. Ils sont donc clairement contre le fait que le paysan puisse s’en sortir convenablement. C’est une stratégie qui n’est pas nouvelle en soi. Le problème survient quand ces mêmes gros acteurs sont des coopératives agricoles. Sur le site Internet d’Anicom (groupe Fenaco), on peut y lire les choses suivantes « Anicom est l’organisation de commercialisation des agriculteurs suisses... », puis concernant les porcs « Anicom réalise ensemble avec le producteur des programmes de production et une planification des quantités satisfaisant les exigences ». On n’y trouve aucun objectif de prix ni même de plus-value et aucune définition de ce que sont ces exigences. Elles n’ont sans doute pas été définies par les producteurs eux-mêmes. Pour une coopérative agricole active dans le commerce, c’est un comble !
Partant de ce constat plutôt sombre, comment agir ?
Je pense que d’être réellement dans le commerce permet de se faire une idée des prix et des marges faites sur chaque kilo de viande. Pratiquer la vente directe à chaque fois que c’est possible permet de se faire une idée des réalités.
Ensuite je pense qu’il est urgent de remettre en question le fonctionnement de nos propres coopératives agricoles. Il ne s’agit pas de les détruire, mais d’y être plus actifs et d’y augmenter nos exigences. Nos directeurs doivent connaître nos objectifs, ceux des paysans. Cela veut dire que nos représentants paysans dans les conseils d’administration doivent aussi sentir la pression de la base. Ils ont été élus par les paysans, ils doivent en retour leur rendre des comptes. C’est la moindre des choses.
L’article 5 de l’initiative pour la souveraineté alimentaire est aussi très important. Il améliorerait très clairement la position et les revendications des familles paysannes sur le marché. C’est un article clef pour l’avenir de la profession. Il est donc très important de soutenir cette initiative et de s’engager pour la mener à son terme, à savoir l’acceptation par le peuple.
Propos recueillis par Nicolas Bezençon
Photo: Kurt Graf
publié dans le Journal d’Uniterre - Septembre 2016
Article 5 de l’initiative «Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous.»
5. Elle [La Confédération] assume notamment les tâches suivantes:
a. elle soutient la création d’organisations paysannes qui visent à assurer l’adéquation entre l’offre des paysans et les besoins de la population;
b. elle garantit la transparence sur le marché et favorise la détermination de prix équitables dans chaque filière;
c. elle renforce les échanges commerciaux directs entre paysans et consommateurs ainsi que les structures de transformation, de stockage et de commercialisation régionales.