A partir de fin 2018 les 95 millions versés par la Confédération à l’industrie agroalimentaire en contrepartie de la prise en charge de 50’000 t de céréales et de 210’280 t de lait suisses ne seront plus attribués sous la forme actuelle de loi « chocolatière ».
C’est la conséquence des accords de l’OMC que la Suisse a signée à Nairobi en 2015. Cette manne financière revenait pour près de 75 % à quatre entreprises : Nestlé, Mondelez, Hochdorf et Lindt&Sprüngli (70 Mio). Par ailleurs, les bénéfices de ces deux premières multinationales se chiffrent à des dizaines de milliards… cherchez l’erreur.
Au niveau de la production suisse les quantités concernées représentent 6 % du lait et 11 % du blé. Il faut rappeler que pour le lait nous avons toujours une production excédentaire en Suisse d’environ 15 %, alors que pour les céréales panifiables la production indigène n’est que de 85 %. La Suisse importe actuellement 100’000 t de céréales panifiables, et environ 130’000 t de produits boulangers industriels transformés. Ces importations sont détaxées, suite à l’adoption du « prinicipe de Cassis de Djion ». Tant le prix du lait que celui du blé et des céréales fourragères sont couplés indirectement aux prix européens (prix seuil pour les céréales / prix indicatif pour le lait), avec un « bonus swissness » d’environ 15 cts. Les deux prix ne rémunèrent pas de manière équitable le travail paysan. Les quantités de céréales fourragères importées sont en augmentation, rien que pour le soja elles approchent 285’000 t. Cette situation est grave et ne permet pas de garantir durablement l’approvisionnement du pays. Cette année, il y aura un déclassement de près de 100’000 t de céréales panifiables qui exercera une pression supplémentaire sur les prix. Comme dans le secteur laitier il faudrait avoir des contrats d’achat qui définissent une quantité, une qualité, un prix et un échelonnement pour le paiement des acomptes.
Au niveau suisse une bataille âpre est menée au parlement pour maintenir ce soutien à l’exportation.
Le parlement propose de verser une prime aux producteurs de 56 millions (Fr. 120.-/ ha) qui sera ensuite prélevée aux producteurs, en faveur de l’industrie… Pour rappel, la loi chocolatière avait pour but de baisser le prix de la « matière première » suisse au prix européen, par le biais d’un paiement, avec l’intention de soutenir les transformateurs exportateurs. Les industries exportatrices et l’administration envisagent en cas de suppression de cette subvention de faciliter les importations sans taxation par le moyen du trafic de perfectionnement actif qui permet d’importer une partie d’un produit transformé en Suisse mais destiné à l’exportation. La partie générale de l’article 12 de la loi sur les douanes stipule que des intérêts publics prépondérants peuvent être invoqués pour interdire ce trafic de perfectionnement. La loi autorise l’importation de biens agricoles si le désavantage du prix de matière première ne peut pas être compensé (al3). Il est évident que de telles importations menacent toute la filière de production et de transformation locale, régionale, indigène. L’industrie agro-alimentaire participe très activement à la pression générale exercée par l’administration et le Conseil Fédéral contre la régulation douanière. Nous avons besoin d’une industrie agro-alimentaire en Suisse qui participe à l’approvisionnement de notre pays avec des produits transformés. Ce secteur fait lui-même l’objet d’un processus de concentration très important. Cette concentration a plusieurs effets négatifs : elle se fait au détriment des économies locales et de l’emploi, elle standardise notre alimentation, elle génère un déséquilibre des pouvoirs sur le marché et exerce une pression sur les prix à la production. La situation des entreprises artisanales de transformation n’a rien à envier à la situation de l’agriculture paysanne. Au contraire sa destruction est déjà plus avancée. Il existe dans quelques régions des initiatives précurseurs qui relocalisent les filières de production, transformation et distribution transparentes, tout en créant une plus-value pour tous les échelons. (Genève, Pain Tournerêve, et GRTA).
Il y a dans cette situation quatre pistes importantes à défendre au niveau des organisations paysannes et à faire valoir dans les institutions politiques et sur les marchés :
- Des prix couvrant les coûts de production et permettant de rémunérer équitablement le travail
- Donner la priorité à l’approvisionnement du marché indigène, revaloriser la production fourragère indigène. Défendre une régulation douanière flexible qui favorise l’approvisionnement et la transformation indigène. Taxer les fourrages commerciaux pour soutenir la production. Taxer les produits boulangers importés.
- Soutenir la transformation locale et régionale en favorisant une économie circulaire et en garantissant la transparence (labels, accès au crédit, promotion)
- Exporter des produits qui conquièrent des marchés par leur qualité et non par un alignement sur les bas prix d’une production agro-industrielle
Tous ces points et préoccupations sont repris dans l’initiative pour la souveraineté alimentaire qui devra enfin contraindre le Conseil Fédéral à soutenir et développer l’agriculture paysanne, comme il aurait dû le faire depuis bien longtemps au regard des lois déjà existantes.
Rudi Berli