lundi, 11 septembre 2017
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Interview croisée entre les deux nouvelles secrétaires d’Uniterre, celles qui dorénavent défendront votre vision de l’agriculture.


Vanessa : Quel est ton lien avec le monde agricole?

Michelle : Je viens du Valais. Certains de mes oncles étaient agriculteurs, vignerons, arboriculteurs, apiculteurs, passionnés de la race d’Hérens et comme enfant, je passais les étés au mayen ou chez mon parrain.

Le lien avec l’agriculture passe aussi par les produits : le beurre d’alpage, les tommes, la viande séchée, les asperges, les abricots….On se réjouissait chaque saison de retrouver les produits, dont on connaissait la provenance et qui étaient bien évidemment les meilleurs du monde !

Le lien avec l’agriculture n’est pas que suisse, en effet j’ai travaillé longtemps pour le commerce équitable et ensuite pour Max Havelaar avec des communautés paysannes d’Amérique centrale et du sud. J’ai été témoin de la détérioration de la situation des paysans au fil des traités de libre-échange…


Michelle : Et toi, Vanessa, où as-tu grandi ?

Vanessa : Je suis née dans la banlieue de Lausanne et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 26 ans. Une vie parfaitement citadine, un père mécanicien parti bien trop vite et une mère employée de commerce. Mais j’étais tellement plus à l’aise en pleine nature, et il a suffi d’un séjour dans la ferme d’un couple d’amis pour que ma décision soit prise, à 12 ans : un jour, j’épouserai un paysan ! Ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de réaliser son rêve.

Aujourd’hui je travaille avec mon ami sur l’exploitation de sa famille, tout en élevant nos 4 enfants. Nous venons d’arrêter la production laitière pour passer aux vaches mères, et nous faisons aussi de l’avancement de poussins, et un peu de viticulture. La vente directe se développe.

Parallèlement, je suis au comité des paysannes neuchâteloises, et depuis le début de l’année, je suis également conseillère communale (= municipale) dans mon village.


Vanessa : Comment as-tu connu Uniterre?

Michelle : Lorsque je travaillais à Swissaid, nous avions eu des réunions entre les ONG romandes et Uniterre sur le thème de l’agriculture. C’est Gérard Vuffray qui venait à ces réunions. Uniterre, avec raison, voulait sensibiliser les ONG de développement sur l’agriculture suisse. C’est vrai qu’à l’époque les ONG ne faisaient pas vraiment le lien et en fait on pensait que l’agriculture suisse allait plutôt bien.

A StopOGM, j’ai côtoyé Fernand Cuche et Gérard. Puis à Agridea, j’ai travaillé avec Valentina. Enfin mon lien avec Uniterre ne date pas d’hier !


Michelle : D’où te vient ton engagement pour Uniterre ?
Et tes capacités d’écriture ?

Vanessa : Bonne question ! Quand j’ai connu mon ami, il m’a parlé des blocages au début des années 2000 avec les tracteurs devant la centrale Migros, et de son passage au tribunal pour une amende symbolique. Par la suite, il y a eu la grève du lait en 2009 et j’ai été vraiment fière de participer au mouvement général. Je m’y suis sentie juste bien, au milieu des bonnes personnes. Il m’a ensuite fallu quelques années de patience, le temps que les enfants grandissent un peu, pour pouvoir donner ma pleine mesure. Aujourd’hui, je découvre une activité vraiment passionnante, et qui me pousse à prendre contact chaque jour avec de nouvelles personnes. Je ne pensais pas le dire un jour, mais sortir de sa zone de confort, c’est très enrichissant.

De façon plus générale, j’ai toujours éprouvé un intérêt certain pour la politique, les votations, le civisme. Nous avons en Suisse un système qu’on peut qualifier de lent, de complexe, mais où nous avons la possibilité d’exprimer nos idéaux. Ne pas l’utiliser, c’est du gâchis. Même si parfois, je me dis que ma vie serait plus simple si je fermais les yeux.

L’écriture, cela me vient en partie de ma scolarité faite dans une section littéraire (latin-anglais) jusqu’à la maturité fédérale. Forcément, on y développe certaines capacités. Mais surtout, je lis énormément. Je dévore. Et quand on aime écrire, tout est plus facile. Quand on apprend que ses textes plaisent et correspondent aux attentes, on est d’autant plus motivé. Par contre, je découvre qu’écrire, et tout spécialement pour Uniterre, me rend très visible, et c’est aussi quelque chose qu’il faut apprendre à gérer.


Vanessa : Pourquoi as-tu décidé de postuler à Uniterre?

Michelle : Durant les 15 années à Agridea, j’ai pu constater combien les familles paysannes étaient inventives et créatives pour se diversifier, pour maintenir leur exploitation. Cela au prix d’un immense travail et d’un cumul de plusieurs métiers : paysan-ne, fromager/ère ou boucher/ère, commerçant-e, comptable, etc.

Et durant ces années, j’ai suivi le travail d’Uniterre en gardant le contact avec Valentina et Nicolas. Je pense qu’Uniterre, par son indépendance, joue un rôle-clé dans le paysage suisse : précurseur et pionnier, critique éclairé et compétent, enraciné et visionnaire. En fait, j’ai souvent dit que j’aimerais travailler à Uniterre !

Et puis il me semble que la souveraineté alimentaire détient un immense potentiel : celui de créer un large et réel débat sur ce que pourrait / devrait être l’agriculture de demain.


Michelle : Quel est ton souhait pour les familles paysannes ?

Vanessa : Que toutes les petites initiatives qu’on voit fleurir ici et là prennent tellement d’importance qu’elles finissent par retourner complètement la situation et rendent les industries agro-alimentaires complètement obsolètes. Et que l’agriculture reprenne la place qu’elle mérite dans la grande pyramide des besoins humains.


Vanessa : Qu’est-ce que tu as envie d’accomplir?

Michelle : Je veux contribuer, avec mes collègues, au renforcement de l’association, c’est-à-dire d’une part, répondre au mieux aux attentes des membres actuels, approcher les jeunes actifs dans l’agriculture et des consommatrices et consommateurs. Je voudrais qu’Uniterre soit une association portée par ses membres.


Michelle : Que veux-tu réaliser au sein d’Uniterre ?

Vanessa : Je voudrais aider à faire briller à nouveau l’étincelle qui pousse les paysans à sortir de chez eux pour défendre leurs droits. Je voudrais que ce que j’écris soit suffisamment motivant pour qu’ils se disent : « Tiens, si on allait écouter ce qui se dit à cette assemblée, ils ont de bonnes idées ».


Vanessa : En ce qui concerne l’agriculture, quel est actuellement ton plus gros coup de gueule?

Michelle : En fait c’est un coup de gueule permanent contre un pragmatisme dominant qui fait croire que « ma foi on ne peut pas faire autrement », un aveuglement qui maintien des systèmes dont on connaît depuis des décennies les faiblesses et où tous les maillons de la chaîne s’acharnent à assurer leur survie (sachant que la position la plus précaire se situe en début de chaîne !).

Je m’insurge contre le fait que la matière première (qui est la base de l’alimentation et le fonds de commerce de tous les business de l’agroalimentaire) ne soit pas honorée, c’est-à-dire payée à un prix correspondant à sa valeur… Combien d’emplois sont-ils générés grâce aux paysans (en amont et en aval de la production)?


Vanessa : et ton plus beau coup de cœur?

Michelle : Le rapprochement producteurs – consommateurs. Toutes les initiatives qui démontrent qu’autrement c’est (aussi) possible !


Michelle : Que devrait-on changer en priorité ?

Vanessa : La confiance des paysans dans leur propre valeur. Nous l’oublions, à force de travailler, de faire des choses pas toujours très gratifiantes, et avec la misère qui est versée pour notre travail. Mais nous devrions être les rois du pétrole, puisqu’entre nos mains sont concentrés les terres, le savoir-faire et la passion. Prendre pleinement conscience de cela permet de s’ouvrir toutes les portes, faire tomber les barrières et reprendre la main sur un système qui nous a totalement échappé.