mardi, 27 novembre 2018
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Article du journal Uniterre Novembre 2018 - Vanessa Renfer, paysanne et secrétaire à Uniterre


Produire des porcs en Suisse, ce n’est pas une sinécure, et cela depuis de trop nombreuses années. Nombre d’éleveurs se retrouvent à un tournant, car leurs écuries ne sont plus aux normes, et les prix sont au plancher. Quel avenir pour ce secteur, face aux bas prix et aux attentes sociétales ?

En Suisse, on dénombre actuellement près de 6400 fermes impliquées dans la production porcine. Le plus souvent, les différentes étapes de l’élevage sont morcelées entre les fermes, certains ne s’occupant que de la mise-bas, d’autres que de l’engraissement des porcelets après le sevrage. La moitié des porcs sont détenus dans des exploitations de plus de 200 animaux. 3 % des fermes travaillent en production biologique. Cette production indigène couvre plus de 95% de la consommation en Suisse, et la viande de porc représente le 44% de la viande consommée en Suisse. Une part non négligeable de la production est située aux abords directs des fromageries, puisque le petit-lait peut être facilement valorisé de la sorte. Ce modèle tend toutefois à disparaître car ce sont précisément ces bâtiments qui nécessitent aujourd’hui une rénovation. Or les sociétés de fromagerie ne sont plus motivées à assumer les frais qui en découleraient, alors que les prix de vente ne couvrent pas les coûts de production. Quatre cantons détiennent en Suisse la plus forte concentration de porcheries : Lucerne, Berne, Thurgovie et St-Gall. En Romandie, ce sont surtout les cantons de Vaud et de Fribourg qui comptent un nombre élevé de porcheries.

Il y a très peu d’importations dans notre pays. Les carcasses supportent mal le voyage, même si le trajet est court, et de toute façon, la production indigène est quasiment suffisante. La viande importée l’est surtout sous forme de produits prêts à la consommation.

Selon les données fournies par la faîtière SuissePorcs, l’affouragement des porcs est à 90% indigène.

Prix à la production

A côté d’un prix de base effondré, qui tourne actuellement à 3.60 frs par kg de poids mort en prix de base, (hors label), les producteurs suisses sont régulièrement confrontés au refus de chargement de la part de leurs acheteurs. Parce que l’écoulement est momentanément ralenti en magasin, les grands centres d’abattage refusent la prise en charge des porcs arrivés au poids exigé. Malheureusement, on ne peut pas mettre la croissance des animaux sur pause, et les porcs, une ou deux semaines plus tard, se retrouvent trop gras, et cela entraîne des déductions massives. Il vaudrait peut-être la peine de se poser la question de la race utilisée en engraissement. Ce sont des animaux très performants, mais exigeants, et leur engraissement est si intensif qu’une ou deux semaines de plus font une différence énorme sur la balance, et partant, sur le prix. Il pourrait dès lors être intéressant de se tourner vers des races plus rustiques, ce qui rendrait la production plus résiliente face aux besoins des acheteurs, en plus de tous les autres avantages que l’on peut y voir (moins de maladies, besoins en fourrage plus simples, moins de concentrés, croissance plus lente qui permettrait la formation d’une viande de meilleure qualité).

Ecuries en fin de vie

Les deux producteurs qui ont témoigné ont fait la même réponse : leurs écuries sont aux normes, mais si cela n’était pas le cas, aucun ne souhaiterait rénover ou construire un nouveau bâtiment, la faute à un prix insuffisant pour se mettre une telle charge sur le dos. En pays de Vaud, où l’on dénombre de nombreux engraisseurs, la diminution des unités de production a été vertigineuse, autant sinon pire que dans la production laitière. Au niveau suisse, si l’on comptait encore près de 10'000 éleveurs et engraisseurs il y a dix ans, leur nombre a diminué d’un gros tiers.

Pression sociale

Les porcheries sont régulièrement la cible de violation de domicile par des organisations de défense des animaux, qui diffusent ensuite des montages vidéo desquels il est difficile de tirer des informations objectives, mais qui exacerbent la sensibilité des consommateurs. Paysannes et paysans sont victimes de dangereux raccourcis et amalgames, alors qu’ils ne sont qu’un maillon de la chaîne et que c’est l’entier du système qui mérite une réflexion en profondeur. La viande porcine reste la plus consommée en Suisse, probablement grâce à son bas prix, mais aussi grâce aux traditions qui entourent la consommation de cette viande (célébrations de la St-Martin au Jura, diverses spécialités de saucissons d’un canton à l’autre). Comme dans d’autres domaines, il devient difficile, voire impossible, de combler les attentes légitimes des consommateurs si l’on n’agit pas maintenant pour revaloriser le travail des paysans. Rappelons à cet effet que le prix payé en 2008 était encore de 5.- frs par kilo de poids mort, contre seulement 3.60 frs actuellement. Une perte de près de 30% en 10 ans. Naturellement, il est illusoire d’escompter la même baisse en magasin ! Une fois de plus, les intermédiaires ont très bien su tirer leur épingle du jeu.

Témoignages de deux producteurs

Jonas et Martina Strähl travaillent sur leur ferme d’une trentaine d’hectares dans le canton de Soleure, à Matzendorf. Ils sont en reconversion à la culture biologique, et en parallèle de la production laitière, ils engraissent annuellement environ 150 cochons, dont une partie est vendue à une boucherie locale, et le reste à un grand distributeur, en l’occurrence la Coop, par l’intermédiaire de son entreprise Bell. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne sont pas les Strähl qui fixent leur prix de vente. Ils se plient à la décision de leur acheteur, ce dernier se basant sur les tabelles publiées de façon hebdomadaire par Proviande. Le prix est actuellement insuffisant, en particulier avec Bell. Ils n’ont pas été pénalisés par des refus de chargement et des déductions pour poids excessif, car ils passent par un marchand qui a toujours pu écouler leurs bêtes. Il est cependant probable qu’en production biologique, le risque de voir le marché saturé soit moins élevé. Leur bâtiment correspond aux normes actuelles en matière de détention ; cependant, si cela ne devait plus être le cas, ils n’envisageraient pas la construction d’un nouveau bâtiment.

Martin Häberli, de Rosshäusern dans le canton de Berne, engraisse quant à lui 650 à 750 cochons pour la grande distribution. Parce que son bâtiment date de 2003 et qu’il a fini de le payer, il estime que ses frais de production sont intégralement couverts, d’une part par le prix de vente, d’autre part par les paiements directs. Comme il travaille selon le cahier des charges IP Suisse, il reçoit une prime de quelques 30 centimes/kilo, en plus du prix annoncé par Proviande. Son bâtiment est aux normes, mais nécessite tout de même un entretien régulier et quelques réparations. A la même question de savoir s’il se lancerait dans la construction d’une nouvelle écurie si cela était nécessaire, il répond qu’au vu du marché actuel, il se poserait vraiment la question. Il a vécu cette année des périodes où ses cochons n’ont pas été pris en charge, et a dû subir les déductions qui s’en sont suivies, pour une situation dont il n’est absolument pas responsable.

Le marché du porc en Suisse est à l’image de toutes les productions industrielles. Il fonctionne selon un modèle dépassé qui montre toutes ses failles. Les prix insuffisants ne permettent pas aux familles paysannes d’investir dans des bâtiments qui répondraient mieux aux attentes des consommateurs. Les prix sont fixés semaine après semaine par un accord entre Suisseporcs, Proviande et les acheteurs (un marché dominé à plus de 80% par Bell et Micarna, autrement dit Coop et Migros). Comment dès lors planifier son travail et ses investissements ? De même que dans le lait, un effort doit être consenti en faveur des producteurs. Pour que nous puissions durablement consommer de la viande de porc suisse à l’avenir, les familles paysannes doivent pouvoir travailler dans des conditions dignes, avec un revenu équitable.

Et si on faisait autrement ?

Il existe de nombreux exemples de paysannes et paysans qui ont fait le choix de n’élever que quelques porcs, souvent avec des races plus rustiques, et de les commercialiser en vente directe. C’est une alternative qui mérite vraiment d’être valorisée. Voici donc le témoignage d’un troisième producteur, qui a décidé de ne fonctionner qu’avec la vente directe :

Joan et Joana Studer sont agriculteurs en Ajoie à la ferme de Mont-Lucelle. Leur ferme est bien diversifiée et propose en vente directe de la viande de porcs basques. Jusqu’à l’année passée, ils élevaient annuellement une petite centaine de têtes dans un espace totalement libre. Les bêtes avaient la possibilité de vaquer constamment à leurs occupations sur de vastes terrains offrant une grande variété de structures (pâturages, haies et bosquets, vergers…). Cette variété offrait non seulement beaucoup d’espace à chaque porc, mais favorisait aussi une alimentation variée et produite presque exclusivement sur la ferme, une alimentation qui correspond parfaitement à l’omnivorisme de ces animaux. Le couple a dû néanmoins fortement réduire son troupeau et changer un peu sa façon de travailler, puisqu’il détenait jusque-là des porcs portant une boucle nasale, et que cela est interdit par la Loi sur la protection des animaux. Les Studer notent toutefois que la demande pour de la viande issue de leur production est très très bonne, et que cela leur permet de fixer des prix justes à la fois pour eux et pour leur clientèle. A l’exception de la problématique de la boucle nasale, leur système de détention offre aux porcs un cadre de vie qui est largement supérieur aux normes requises par l’OPAn.

Plus globalement, les Studer remarquent que les porcs sont largement oubliés dans l’évolution vers des conditions de détentions plus éthiques. En Suisse, ils restent des animaux destinés à l’élevage industriel, comme l’explique Joan : « Il est parfaitement affligeant de savoir qu’en Suisse on a tout à fait le droit de détenir plus de 1.1 tonnes de porc sur 10 mètres carrés de béton dans un bâtiment sans accès direct aux rayons du soleil, en bafouant complètement leur régime alimentaire et en ayant un âge d’abattage entre 5 et 6 mois et que dans le même temps, il soit interdit de mettre une boucle nasale sous anesthésie à des porcs de races rustiques en échange d’une vie longue de plus de 18 mois en véritable plein air, ayant une multitude d’activité et de milieux naturels à disposition, le tout sans n’être jamais malade et donc sans avoir besoin d’avoir recours à des antibiotiques ! ».

Le lecteur désireux d’en savoir plus pourra visiter le site web consacré au combat des Studer pour leur élevage et leur manière de travailler : www.porclibre.ch.

Sources :

Office fédéral de la statistique : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home.html

Union suisse des paysans : www.usp-sbv.ch

Faitière Suisseporcs : www.suisseporcs.ch

24 Heures, article du 17.09.2016, Pascale Burnier :

https://www.24heures.ch/vaud-regions/filiere-cochon-industriel/story/19351554