Uniterre était partenaire du colloque à Zurich le 23 mai et organisateur de la Table Ronde à Neuchâtel le 24 mai sur «l'économie verte», formule magique sur toutes les lèvres des politiciens, entreprises privées et organismes internationaux à la veille du Sommet mondial Rio+20. A force d'être déclinée à toutes les sauces, son contenu devient indigeste et sa couleur verte laisse un arrière-goût amer... Décryptage.
Carlos Marentes, représentant de La Via Campesina Mexique-USA engagé dans les droits civiques et droits humains qui se rendra à Rio en juin au sein du Sommet parallèle des Peuples, était un invité de marque des deux événements et a donné le ton: «Le document officiel de préparation du sommet de Rio ne reconnaît pas les causes réelles de la crise multidimensionnelle que nous vivons, crises alimentaire, climatique, énergétique, économique et politique qui s’alimentent mutuellement. Le concept d’économie verte proposée n’est rien d’autre que la continuation de la marchandisation de la Nature».
Alessandra Silauri, représentante de l’OFAG, était également intervenante aux deux événements; elle a participé pour la délégation suisse aux négociations du texte qui sera proposé à Rio. Elle souhaite réconcilier l’agriculture durable avec l’économie verte pour atteindre les objectifs de sécurité alimentaire: «l’économie privée doit aussi être moteur de développement durable. La Suisse défendra les aspects sociaux et économiques de l’agriculture -premier fournisseur d’emplois au niveau mondial- afin que ces aspects ne soient pas occultés derrière les critères environnementaux». Elle rappelle en effet que 90% des délégations officielles seront composées de représentants des ministères de l’environnement.
Un débat d’experts
Carlos Marentes a montré comment l’agriculture soi-disant «intelligente» proposée au sein de l’économie verte, écarte toujours davantage les paysans du système de décision, car tout est pensé pour eux par les entreprises agroalimentaires. «Il est important que les citoyens et les migrants (il y a plus de 50 millions de réfugiés climatiques) fassent partie du débat et comprennent l’urgence d’une action commune» a-til souligné.
Philippe Reichenbach, paysan bio d’Uniterre a quant à lui richement ramené le débat à l’échelon local lors de la Table Ronde à Neuchâtel: «la Suisse n’est pas un modèle, les mesures proposées par la politique agricole ont au contraire démantelé les structures de base d’un système alimentaire durable». Il ajoute que les consommateurs ont une fausse image d’une agriculture bio locale et sociale». Dans l’auditoire comble de l’EPF de Zurich, on avait effectivement un peu eu le sentiment que la Suisse se félicitait de son avance par rapport à d’autres pays, se reposant sur son oreiller de paresse.
Ménager la chèvre et le chou
Aussi bien l’OFAG, la DDC que l’EPFZ ont réaffirmé la nécessité d’un changement de paradigme au sein de l’agriculture avec la nécessité de se tourner vers les petits paysans, fournisseurs de 70% de notre alimentation mondiale, mais ont également soutenu fermement les partenariats public-privé avec les multinationales installées sur notre territoire1 : une certaine schizophrénie fait rage...
Un réel danger
Les acteurs de l’économie privée savent exactement où ils veulent aller, nous avons l’exemple de la révolution verte des années 1960, de la tentative d’humanisation de la mondialisation dans les années 1990, avec les résultats que l’on connaît. Il est dangereux de croire au discours de bonne volonté.
L’économie verte se base sur la soi-disant nécessité d’une augmentation de 60% de la productivité pour nourrir 9 milliards d’êtres humains, selon le prolongement linéaire de notre modèle économique actuel. Ce constat, d’ailleurs partagé par l’OFAG dans sa vision agricole suisse, ne tient pas la route car il fait fi d’un modèle qui sera confronté d’ici 2030 à l’épuisement de la majorité des ressources minières nécessaire à l’extension de ce même modèle. Il ne tient pas non plus compte de l’énorme gaspillage de l’alimentation de notre système actuel de production et de consommation (proportion de la suralimentation, pertes aux champs, dans les industries, dans les ménages) ni de la sur consommation de viande (7-16 calories végétales étant nécessaires à la production d’une calorie animale, ¾ des terres agricoles servent à produire de l’alimentation animale, sur ce modèle, on atteindrait 36 milliards d’animaux d’élevage en 2050-il y en avait 7 milliard en 1960), encore moins de la production possible sur les surfaces actuellement utilisées pour la production d’agrocarburants2.
L’économie verte se base sur la notion de sécurité alimentaire, qui fait référence à la disponibilité et à l’accès à la nourriture en quantité et qualité suffisante. Or cette notion se base sur un commerce international globalisé et dérèglementé, qui est justement une des causes majeures de la crise multidimensionnelle actuelle.
La composante sociale est complètement absente du concept de l’économie verte. On constate à quel point la notion de développement durable a été galvaudée, malmenée, si bien que tout un pans disparaît incognito...
En repensant en profondeur notre système agricole et alimentaire actuel pour le rendre moins dépendant des énergies et minerais fossiles, pour ne plus le découpler des besoins des populations, nous n’avons pas besoin d’augmenter la production mondiale avec son cortège technologique intimement associé, rentable uniquement pour quelques multinationales. Pour cela, il faut non plus se baser sur la sécurité alimentaire, mais sur la souveraineté alimentaire. C’est la seule solution pour recréer des agroécosystèmes résilients, capables d’absorber les chocs au lieu de les amplifier, capables de se régénérer, donc d’utiliser au mieux l’énergie solaire et biologique fournie gratuitement par la Nature3.
Les enjeux à Rio
Pour Hans-Herren, président de Biovision, vice président du rapport mondial sur l’agriculture de 2008 (rapport IAASTD) et coordinateur du chapitre sur l’agriculture du PNUE sur l’économie verte, Rio+20 sera une occasion importance de faire ressortir ce fameux rapport que de nombreux gouvernements tentaient de faire enterrer.
L’Assemblée parallèle des peuples revêtira une importance particulière pour mettre au grand jour la fausse route empruntée par la Conférence officielle. Jusqu’à aujourd’hui, aucune avancée positive est à noter dans le processus de négociation au sein de la conférence officielle: on ne parle ni du bilan des accords conclus à Rio 92, ni des moyens pour agir sur les causes de la crise. Les discussions se focalisent sur l’économie verte et l’instauration d’un nouveau système de gouvernance environnementale international, qui faciliterait leur mise en place. Pire, le rapport de l’IAASTD ne figure plus à l’ordre du jour.
l’Assemblée des peuples, au sein de laquelle La Via Campesina occupe une position centrale, se focalisera quant à elle sur:
- les causes structurelles des crises et des injustices sociales et environnementales, les - fausses solutions, et les nouvelles formes d’accumulation du capital sur les peuples et les territoires
- les solutions réelles et les nouveaux paradigmes des peuples que nous mettons en pratique et déclinons en propositions
la construction collective des agendas, campagnes et mobilisations communes qui nous rassemblent dans l’après Rio+20.
La délégation suisse à Rio
Alessandra Silauri rappelle que la Suisse défendra le rôle du Comité de Sécurité Alimentaire de la FAO comme plateforme internationale et intergouvernementale pour la mise en place des décisions prises à Rio+20. La Suisse mettra l’accent sur les pratiques d’agriculture durable «dans le but de renforcer la résilience des agro-écosystèmes» et organisera un «side-event» sur l’accès à la terre.
Uniterre espère vivement que Mesdames Widmer-Schlumpf et Leuthard ne feront pas le grand écart comme pour les droits des paysans à l’ONU et refuseront l’économie verte, qui ne permettra pas de renforcer la résilience des agroécosystèmes et auront le courage politique de soutenir la vraie solution: celle de l’agroécologie, basée sur la souveraineté alimentaire.
Anne Gueye-Girardet