jeudi, 06 novembre 2014

A l'invitation du réseau de Longo Mai, trois représentant-e-s du monde paysan de Colombie ont effectué ce printemps une tournée européenne pour alerter l'opinion publique des effets dévastateurs des traités de libre-échange sur la richissime biodiversité cultivée traditionnelle de ce pays. Il s'agissait de nous faire prendre conscience, en Suisse également, de la globalité du phénomène d'accaparement des semences par une poignée de sociétés transnationales ainsi que de l'urgence d'y résister.

 

Le groupe1 était constitué de Celinda qui pratique l’agro-écologie et milite sur le plan juridique en Colombie, d’Alicia qui fait partie du groupe Fondateur et coordonne le «Réseau des Gardiens de Semences de Vie» et d’Alberto, membre de la Coordination Nationale Agraire de Colombie en tant que responsable du groupe de travail «terre, territoire et développement humain».

Pouvez vous contextualiser votre combat pour les semences?

Alberto: «En Colombie, c’est dès 1990 que le processus d’ouverture économique débute. Des règles sont mises en place pour faciliter l’entrée des entreprises étrangères dans le pays; le patrimoine national est désormais mis en vente. Depuis une quarantaine d’année, la petite et moyenne agriculture n’est plus prise en compte et la violence systématique a empêché la tranquillité du monde paysan sur ses terres.

Celinda: la situation des semences a commencé à se dégrader dès 2010, à partir du moment où le décret 970 a préparé le terrain pour l’application de l’UPOV 91. Suite à la mise en oeuvre de ce décret, l’ICA (Institut Colombien Agraire) a confisqué et détruit 4’000 tonnes de semences entre 2010 et 2013; et ceci s’est passé dans un contexte qui était déjà très agité et qui s’est ajouté à des conditions naturelles difficiles dues à des inondations qui ont causé beaucoup de pertes... d’un côté le gouvernement faisait des appels de dons de nourriture et de l’autre il détruisait des aliments! Les images de cette destruction ont pu être filmées et le thème des semences a pu être diffusé par internet. Cela a accru la solidarité et le thème des semences s’est imposé dans les mobilisations paysannes lors du «paro agrario» (grève paysanne). Un des autres succès du «paro agrario» a été de congeler le décret 970... mais cela n’a été qu’une façon de gagner du temps. Car il n’est pas abandonné; ils ont simplement suspendu la saisie de semences. Actuellement, il y a un nouveau décret qui prétend remplacer le 970. Mais nous le considérons encore pire et illégitime que le premier, parce qu’il s’est fait uniquement par internet.

En quoi le nouveau décret est-il pire?

Alicia: Alors que le premier décret rendait illégales toutes les semences paysannes et natives, dans le nouveau elles peuvent seulement être données ou échangées au niveau local, mais la commercialisation en est interdite: ce qui veut dire que les entreprises transnationales participant au libre-échange peuvent vendre mais nous, paysans, ne le pouvons pas; et cela veut dire que le travail de conservation des semences paysannes est encore plus criminalisé. Ceci alors que 60% de la population est encore rurale et les petits et moyens producteurs gardent souvent leur semences d’une année à l’autre; seul les grands producteurs ne le font plus.

Comparé à la situation en Europe, où les producteurs ne font plus leurs propres semences, c’est une attaque contre une majorité de la population?

Evidemment. La situation de la Colombie est très différente de celle de l’Europe: conditions géographiques, mais aussi culturelles et agraires. Nous avons toujours beaucoup de paysans et c’est pour cela que je crois que les lois sont encore plus agressives dans nos pays. En Europe, nous voyons avec tristesse qu’il y a de moins en moins de paysans, nombre de champs sont cultivés de manière industrielle - ils sont pollués en conséquence... ce sont des champs «sans paysans» qui deviennent plus faciles à contrôler parce qu’il y a moins de personnes qui s’opposent à ce modèle agrochimique... Heureusement, en Colombie, on compte sur une «agrobiodiversité» significative... mais il est important de dire que le changement du modèle «andin» ancestral par vers la «révolution verte» a entraîné la dépendance, l’agrochimie et les semences «malades»...beaucoup de paysans ont changé de modèle. Nous devons donc récupérer une mémoire et simultanément développer une pratique de production semencière variée qui soit à même de nous fournir au niveau local.

Alicia, peux-tu décrire ta fonction de «gardienne des semence»?

Le problème est vaste et nous devons agir sur plusieurs fronts, avec des réponses différenciées; car si les gens ne semblent pas très intéressés à conserver leurs semences, comme cela semble être le cas en Europe, cela ne sert même pas de lutter contre des lois restrictives! C’est pour cela que notre travail est basé sur le quotidien, l’autogestion et la complémentarité: différents paysans conservent les semences créoles et natives avec des mécanismes d’échanges et de prêts. Des semences sont données pour être cultivées et multipliées pour pouvoir être transmises à d’autres personnes et ainsi de suite.

On a commencé par un exercice simple qui était le sauvetage de semences originaires que nous amenions et échangions dans nos réunions; il y avait des gens qui arrivaient sans avoir rien à échanger. Nous avons mis en place un autre système sous forme de prêts de semences et les paysans nous retournaient le double après récolte ce qui nous permettait de les distribuer à d’autres personnes. Ainsi nous sommes parvenus à créer une collection importante de semences diversifiées. Néanmoins nous nous sommes rendus compte de l’importance d’avoir une offre non seulement en diversité, mais également en quantité parce que malgré le fait que la Colombie soit un centre de biodiversité, beaucoup de semences sont importées d’autres pays. C’est donc important pour nous de  pouvoir fournir les marchés avec nos semences locales.

Nous avons dans notre organisation trois sortes de partenaires: les «gardiens de semences», qui sèment, produisent et partagent les semences; les «amis des semences» qui sont des citadins ou des personnes qui collaborent au processus de conservation, mais qui ne sèment pas; et les «semillistas» qui viennent de l’agriculture conventionnelle, mais font une transition vers le modèle agro-écologique.

Malgré que notre stratégie ait toujours été d’avancer sur un processus construit depuis la base, tout en s’appuyant sur les medias, la pratique est sans confrontation. Depuis 2010, la situation a changé. Le risque face à la nouvelle législation nous implique directement et c’est une des raisons de notre venue en Europe; malgré que nous soyons des paysans et qu’en ce moment nous devrions plutôt être en train de semer dans nos fermes! Mais il est nécessaire que l’ensemble des peuples fassent pression parce que nous traitons d’un sujet qui nous engage tous: la nourriture. Et c’est depuis l’Europe et les Etat Unis que sont promues ces normes qui affectent le reste du monde... La Colombie est le berceau de nombreuses plantes qui alimentent la planète et cette source est en danger; c’est pour cela que nous vous invitons tous à faire des actions pour protéger les semences. 

Durant cette croisade européenne pour sauver les semences vivantes, une quatrième sorte de partenariat avec les gardien-ne-s de semences colombien-ne-s s’est dessiné: le parrainage, depuis l’Europe, de leur travail de terrain. Il s’agit, pour une personne ou un groupe de soutenir depuis ici le travail de sauvetage d’une espèce cultivée déterminée tout en offrant un «accompagnement à distance» des personnes qui s’en chargent dans des conditions difficiles, voire dangereuses.

1 Prénoms d’emprunts

Propos recueillis par Alain Cassani

 

Plus d’infos : 

gardiens de semences (espagnol): 

www.colombia.redsemillas.org

documentaire «9.70» de Victoria Solano sur you tube.

Emission «Terre à Terre» de France Culture avec les trois délégués colombiens: http://www.terreaterre.ww7.be/agriculteurs-en-colombie.html

«Semences agricoles, monopole privé sur un bien public», DB, n°233, numéro spécial avril 2014 

www.ladb.ch

Campagne pour la souveraineté des semences: 

www.seed-sovereignety.org

L’Appel mondial des gardiens de semences en Inde avec Vandana Shiva: http://seedfreedom.in/

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