vendredi, 09 janvier 2015

EMB Logo Web09Du 20 au 21 novembre, l'European Milk Board (EMB) a tenu son assemblée générale à Saint-Brice-en-Coglès, en plein centre de la Bretagne. L'occasion de faire le point sur la situation laitière européenne actuelle et de prévoir les activités à venir. Avec l'abandon des quotas laitiers pour 2015 et les prix en baisse, les tensions dans toute l'Europe laitière sont importantes. Compte-rendu.

 

 

AllemagnePrix catastrophiques et grosse volatilité 

Les membres d’EMB constatent qu’actuellement, partout en Europe, la situation des prix est catastrophique. Avec un volume record de production couplé à la sortie des quotas, la situation au début 2015 pourrait être pire que lors de la crise de 2009. Le prix moyen actuel est passé en dessous des 30 ct d’euro/kg. Les trésoreries sont au plus bas, les fermes laitières disparaissent à une vitesse jamais observée. 


Depuis 2007, date à laquelle l’Union européenne a choisi de déréguler le marché, la volatilité des prix s’est renforcée, avec des pics à la hausse en 2007 et une chute record en 2009, avec un prix moyen à 21 ct d’Euro/kg. En 2013, les prix remontaient mais l’Europe a introduit des mesures de « soft landing » ou atterrissage en douceur, dont une hausse de 2% des quantités à produire, ce qui a précipité la chute actuelle des prix. 

prod euopeenneEtude des coûts de production 

Les études comparées des coûts de production en Europe continuent. Le 2 décembre 2013, les premiers résultats ont été diffusés pour l’Allemagne dans un rapport fourni par le bureau d’expertise allemand BAL (Büro für Agrarsoziologie & Landwirtschaft) en partenariat avec le MEG Milch Board et l’European Milk Board. Les coûts de production moyens pour l’Allemagne étaient de 43.51 ct d’Euro/kg (4% de matière grasse et 3.4% protéines). Pour le mois d’avril 2014, les calculs prévisionnels annoncent 45.95 ct d’Euro/kg. Depuis 2009, les coûts ont augmenté de 13% selon l’étude. Depuis 2009, les prix payés n’ont jamais couverts les coûts de production. 

En France, la même expertise a été menée. Les premiers résultats montrent une assez grande disparité selon les régions. Ils vont de 34 ct d’Euro/kg dans le Grand Ouest à 49 ct d’Euro/kg dans le Sud Est. Excepté la région du Centre, qui est à 39 ct d’Euro/kg, toutes les autres régions ont des coûts supérieurs à 40 ct d’Euro/kg (Picardie 43 ct d’Euro/kg, Grand Est 41 ct d’Euro/kg, etc) 

Pour les Pays-Bas, les coûts de production moyens étaient de 44,52 ct d’Euro/ kg en 2013, avec un prix moyen de 37, 40 ct d’Euro/kg, le déficit sur l’année était de 16%. Selon l’étude présentée le 24 juin 2014, les coûts de production ont encore augmenté en 2014. 

Des études similaires pour la Belgique sont en cours. Les premiers résultats seront publiés en 2015. En Italie, au Danemark et au Luxembourg, des résultats pourraient sortir dès 2015, pour autant que le financement des études soit assuré et que les données soient disponibles. 

Rapport de la Commission européenne sur le marché laitier 

Le rapport de la Commission lait européenne a été publié le 13 juin 2014. Il a pour objectif d’analyser la situation sur le marché laitier ainsi que les effets de la mise en oeuvre du paquet lait. 

D’une manière générale, le rapport indique que les perspectives pour le marché du lait de l’UE sont bonnes à moyen terme. Cependant, il indique que la libéralisation des quotas laitiers va engendrer de fortes fluctuations des prix dans toute l’Europe. Ce qui pourrait créer, notamment de graves problèmes pour les fermes laitières. Le rapport émet de grosses réserves quant’à la capacité de l’UE, au niveau légal, à maîtriser une très forte volatilité des marchés voire une crise d’importance après la suppression des quotas. Le rapport salue le déploiement de l’Observatoire du marché (une des revendications d’EMB, reprise par Dacian Ciolos, alors ministre de l’agriculture) qui permettra de déployer les « dispositions relatives au filet de sécurité » et de réagir aux circonstances exceptionnelles. Concernant le Paquet lait (ensemble de règles qui définissent la nouvelle politique laitière européenne), le rapport fait le point sur la contractualisation. Actuellement en Europe, il y a 228 organisations de producteurs (la très grande majorité sont des OPU). Dans beaucoup de pays, la législation relative à la contractualisation n’est entrée en vigueur que récemment. Ce qui veut dire que le nombre de producteurs affiliés est encore trop faible. Pour 2013, la part du lait contractualisée en Allemagne s’élevait à 33%, en République Tchèque à 18%, en France à 11% et en Espagne à 4%. Il admet également qu’actuellement les organisations de producteurs n’ont qu’une très faible marge de manoeuvre pour négocier les conditions de prise en charge et influencer le marché européen. 

Pour l’EMB, le rapport est bien trop positif sur la situation du marché. L’EMB redoute également que le départ de Dacian Ciolos et l’arrivée en 2014 du libéral irlandais Phil Hogan à la tête de la Commission agricole ne modifie les axes de travail de cette dernière. Néanmoins, le rapport confirme que la Commission souhaite, pour l’instant, poursuivre la discussion sur d’autres mesures pour le secteur laitier et qu’elle étudiera des instruments supplémentaires. 

Panorama de la politique laitière européenne 

Pour l’EMB, l’embargo russe a certes des retombées négatives sur les prix du lait en Europe et en Suisse, mais il arrive à point nommé pour démontrer à tous les décideurs européens que l’UE doit se doter d’un système de régulation pour l’après 2015. Parmi les programmes proposés par l’UE pour palier aux problèmes provoqués par l’embargo, celui qui propose des aides à la constitution de stocks privés de beurre, de lait en poudre et de fromages spécifiques n’est quasi pas utilisé par les entreprises privées. Faut-il en déduire que le prix du lait aux producteurs peut être augmenté sans péjorer le marché? 

Au niveau du Conseil des ministres nationaux, il n y a toujours pas de position commune sur la politique laitière après 2015. Les ministres de l’agriculture de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays- Bas, du Danemark et de la Suède ont majoritairement une position favorable à une libéralisation du marché laitier sans outil de régulation alors que les ministres de la Pologne, de la France, de la Lituanie, de l’Espagne, du Portugal, de Finlande et de Chypre sont plutôt favorables à ce que l’UE se dote d’instruments de régulation. L’EMB va donc devoir maintenir la pression sur certains ministres pour les convaincre de mettre en place un outil de régulation. 

Au niveau du Parlement, différentes initiatives vont être votées au début de l’année 2015. Il y a d’une manière générale une assez grande divergence des mesures à prendre pour le secteur laitier. Parmi les initiatives proposées, plusieurs sont favorables à ce que l’UE se dote d’instruments de régulation. Celles qui demandent la création d’un observatoire du marché laitier et d’une gestion de l’offre sont portées par les Verts Martin Häusling et José Bové. Une coalition, menée par le membre de l’UMP Michel Dantin, propose également que l’Europe se dote d’outils de régulation. Le conservateur irlandais James Nicholson et l’allemand de la CDU Peter Jahr ont fait des propositions qui vont à l’opposé des revendications de l’EMB (cap sur les exportations, subvention à l’exportation, etc). 

Parmi les autres institutions européennes importantes, le Comité des Régions est favorable à la mise en place d’un outil de régulation supplémentaire car, selon lui, le paquet lait ne suffit pas. Il est favorable à ce que les coûts de production soient pris en compte lors des négociations sur le prix du lait. De son côté, le Comité économique et social européen critique les pratiques déloyales des grandes chaînes de distribution. 

Pour les milieux de l’industrie, la production ne va pas reculer ou très peu. De 2013 à 2014 elle a même augmenté de 5.4%. Les producteurs de lait ne travaillent que dans un esprit individuel et ne peuvent pas assumer la responsabilité du marché. Ils vont essayer, en augmentant la production, de maintenir au mieux leur flux de trésorerie. Selon les estimations d’Eurocommerce (commerce de détail), la consommation de lait ne va pas augmenter dans l’UE et de trop gros excédents poseraient beaucoup de problèmes étant donné la faible valorisation du beurre et de la poudre. Pour Eucolait (négociants, industriels), le marché est sur-approvisionné en dépit d’une bonne demande mondiale. Les producteurs doivent réagir. 

P1110977sStratégie de l’EMB pour 2015 

L’augmentation de la production de 7,5 millions de tonnes en une année et la baisse des prix aux producteurs sont extrêmement préoccupantes en Europe. La situation est similaire à la crise de 2009. L’Europe va abandonner les quotas dans une situation difficile. Au niveau mondial, l’offre augmente beaucoup plus vite que la demande. En une année, les Etats-Unis ont augmenté leur production de 2,5%, la Nouvelle-Zélande de 5% et l’Australie de 2,4%, ce qui provoque une surproduction mondiale et de fortes tensions sur les prix, notamment du beurre et de la poudre de lait. Les mesures de l’Union européenne ne suffisent pas à stabiliser le marché. Les allocations de crise pourraient être utilisées de manière plus efficace, notamment pour soutenir les producteurs qui renoncent à livrer et ainsi poser les premières pierres d’un système de régulation en lien avec l’observatoire du marché (Programme de responsabilisation du marché, PRM) 

Fonctionnement du programme de responsabilisation du marché 

L’observatoire du marché devrait produire un indice de l’évolution du marché. Cet indice devrait être le résultat d’une pondération de facteurs incluant les coûts de production et le prix versé aux producteurs de lait dans chaque pays européen, d’une évolution des cours des produits laitiers phares dans l’UE et au niveau international et des tendances de l’offre et de la demande, incluant la consommation en Europe. Selon le niveau de cet indice, différentes mesures devraient être prises pour stabiliser le marché et éviter les crises. Par exemple, si l’indice chutait de 7.5%, les programmes incitatifs de renforcement des ventes pourraient être activés rapidement. L’engraissement au lait pourrait être favorisé. L’UE pourrait également promouvoir la constitution de stocks privés. Ces mesures seraient maintenues tant que l’indice ne serait pas remonté à sa position initiale. Si ces mesures s’avéraient insuffisantes et que l’indice chutait alors de 15%, l’Europe serait dans un niveau de crise. Les mesures de réduction volontaire des livraisons seraient incitées pour chaque producteur (sur 5% de ses quantités). Des prélèvements seraient encaissés auprès des exploitations en surproduction, dès le premier kilo. Cet argent servirait à financer les producteurs qui décideraient de réduire leurs livraisons. En cas de chute de l’indice de 25%, une obligation de réduction pour tous les producteurs serait imposée jusqu’à la remontée de l’indice et la sortie de crise. 

Ce système a l’avantage de prévenir les crises, de maintenir les prix, d’intervenir rapidement pour stabiliser la filière et d’être nettement moins coûteux pour le contribuable. Il permet une certaine flexibilité de la production et de coller au mieux avec le marché. Cependant, pour qu’il fonctionne, ce système ne doit pas être remis en cause par des accords de libre-échange avec les Etats-Unis par exemple. C’est pourquoi l’EMB s’engage fortement contre le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement TTIP. 

L’EMB va également continuer son travail pour améliorer le positionnement des regroupements des producteurs de lait face aux règlementations européennes et fournir des arguments aux producteurs pour négocier avec les acheteurs. Pour cela l’EMB va continuer à fournir aux producteurs des informations actualisées sur les coûts de production en Europe et fournir des informations sur la situation économique des exploitations en Europe. En Allemagne, le MEG Milch Board regroupe 15’000 producteurs. Les membres sont liés ou non à des coopératives. Au Pays-Bas le Dutch Dairymen Board a été constitué pour regrouper des producteurs. Il dispose d’un mandat de négociation, mais les coopératives refusent de négocier. En Belgique la Wallonia Farmers Board a été créée le 25 juillet 2014. Elle va regrouper les producteurs de la Wallonie. En France, l’OP transversale France Milk Board a été créée récemment. Elle regroupe 900 producteurs de lait, ce qui est encore trop faible pour avoir un réel impact lors des négociations. Différentes actions sont menées pour attirer les producteurs qui sont déjà liés à leur entreprise (OPU). 

Afin de montrer la voie de la solidarité européenne des producteurs de lait, l’EMB a mis en place une commission internationale de regroupement des producteurs laitiers. Les objectifs sont multiples mais les principaux sont de pouvoir négocier en commun avec un acheteur actif dans plusieurs pays, de développer d’autres Milk Board en Europe et de les regrouper au plan européen. 

Et en Suisse ? 

La question de la participation des paysans suisses à cet ambitieux programme doit être posée et débattue. Nous pourrions en effet imaginer qu’un Swiss milk board puisse voir le jour et adhérer au programme européen. Dans notre pays, des OP transversales existent déjà, pourquoi ne participeraient-elles pas aux revendications d’EMB en Europe ? Big-M et Uniterre souhaitent réellement lancer ce débat, pour que les familles paysannes suisses puissent sortir de l’impasse et participer aux discussions européennes. 

 

Nicolas Bezençon