jeudi, 26 mars 2015

Mpofu petitElizabeth Mpofu, paysanne zimbabwéenne, est la coordinatrice internationale de La Via Campesina depuis janvier 2014. Elle était de passage à Genève début mars. Une occasion pour Uniterre de faire sa connaissance et d'organiser une soirée publique.

 

 

Le secrétariat international de La Via Campesina est hébergé par une des organisations membres pendant 4 à 8 ans. Après la Belgique, le Honduras et l’Indonésie, c’est le Zimbabwe qui accomplit cette tâche. Au coeur de l’Afrique australe, sur le continent où La Via Campesina observe son plus grand développement, l’organisation Zimsoff (Forum zimbabwéen des petits producteurs bio) coordonne -avec l’appui d’une équipe internationale- les activités de La Via Campesina jusqu’à la prochaine conférence quadriennale. Zimsoff compte environ 19’000 membres et a été constituée en 2003 avec la volonté de pouvoir développer sa propre dynamique et de parler en son propre nom. Elle a souhaité soutenir les personnes les plus vulnérables qui avaient pour objectif de développer une agriculture paysanne. Il existe bien sûr d’autres organisations paysannes au Zimbabwe mais elles ne promouvaient pas les mêmes objectifs. Pendant longtemps, Zimsoff a fonctionné sans secrétariat rendant difficile la communication et la mobilisation entre les différentes régions du pays. Depuis quelques années, elle est dotée d’un secrétariat national qui facilite aussi la recherche de financement. 

Elizabeth, peux-tu te présenter?

Je suis paysanne et cultive 5 des 10 ha que je possède avec des céréales locales comme le millet, le sorgho, le mil, l’éleusine et du maïs non hybride. Je produis également des haricots, des arachides, et autres protéines. Je jongle avec 80 variétés. J’ai quelques vaches, des chèvres, des moutons et des poules indigènes. Je n’utilise aucun produit chimique, et ceci depuis très longtemps. En gros, un régime équilibré pour obtenir une assiette bien pleine pour ma famille, mes voisins, ma nation. A côté de mon exploitation, je suis la Présidente du Zimsoff et je suis membre du comité directeur de l’AFSA (alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique).

Quels sont les thèmes sur lesquels vous êtes particulièrement actifs?

Sans hésitation, je cite les semences. C’est un sujet qui a toujours été au coeur de nos échanges au sein de notre mouvement paysan. Nous avons des variétés indigènes extrêmement intéressantes et diverses. Actuellement, dans notre sous-région, une politique semencière est en élaboration en vue d’une homogénéisation des semences. Elle nous inquiète évidemment puisqu’elle fait le jeu des grandes sociétés transnationales et risque d’appauvrir massivement les échanges locaux de semences. C’est également une porte d’entrée pour les OGM dans notre région. Ceci alors que notre pays a jusqu’alors été peu affecté si ce n’est par le biais de l’aide alimentaire. Nous organisons régulièrement de grandes rencontres autour des semences indigènes ou des ateliers thématiques auxquels nous invitons des membres des ministères pour les sensibiliser à ces enjeux.

L’autre question, qui est intrinsèquement liée à l’histoire du Zimbabwe, c’est la réforme agraire. Elle a eu lieu au début des années 2000. De nombreux paysans ont obtenu des terres. Parmi ceux-ci, 20% sont des femmes. J’ai moi-même pu en bénéficier et obtenu 10 hectares de terres que je cultive avec mon mari. La réforme n’est pas véritablement achevée puisque nous savons que certains possèdent encore plus d’une ferme. Aujourd’hui, le gouvernement tente d’appliquer la règle suivante: une personne, une ferme. Les terres vous sont octroyées sous forme d’un droit de superficie pour 99 ans. Tant que vous cultivez la terre, vous pouvez la conserver et la transmettre à vos enfants, mais vous ne pouvez pas la vendre. Si vous la laisser en jachère, elle vous est confisquée et redistribuée.

Enfin, au niveau des réformes politiques, nous devons faire notre place. C’est un gros défi car d’autres organisations paysannes sont très proches du gouvernement et l’influencent. Nous devons  réussir à faire entendre notre propre plaidoyer. Cela n’empêche pas que nous cherchons à créer des alliances durables ou ponctuelles avec certaines de ces organisations.

 

En tant que femme, leader d’un mouvement paysan, rencontrez-vous des difficultés?

Les hommes contrôlent tout. Ils acceptent donc difficilement que des femmes dirigent un mouvement. Pour mon mari aussi ce n’était pas évident au début. J’ai fait appel à la médiation d’un chef traditionnel, ami de mon mari et membre de notre mouvement, pour le sensibiliser. Sans lui, peut-être serions-nous aujourd’hui séparés ou je ne serais pas impliquée au niveau international... alors que maintenant, lorsque je suis absente pour des meetings nationaux ou internationaux, c’est mon mari qui gère la ferme et tout se passe bien. Au plan plus global, les politiques publiques sont élaborées sans la voix des femmes. Nous sommes marginalisées, négligées. Le seul moment où les politiciens s’intéressent à nous c’est lors des élections. Au quotidien, nous restons invisibles alors que nous effectuons 70% du travail; il n’y a pas de reconnaissance. C’est pourquoi nous essayons de nous coordonner pour nous faire entendre. Car personne ne se lèvera pour nous, c’est à nous d’agir. Le travail au sein de La Via Campesina nous aide beaucoup. Nous parlons ensemble des problématiques genre et de la violence envers les femmes. Nous organisons des formations, partages de savoirs sur le leadership, sur l’expression en public etc. Nous faisons aussi face à des problèmes de violence ou de précarité quant à l’accès à la terre qui fait que lorsque votre mari meurt, il n’est pas rare que votre belle famille vous chasse de la ferme.

 

Quel est le développement de La Via Campesina en Afrique?

Nous avons deux régions organisées. Dans la région 1 (Mozambique, République démocratique du Congo, Madagascar, Angola, Tanzanie, Zimbabwe et Afrique du Sud), où se situe mon pays, nous travaillons surtout sur les semences et le droit à la terre. Entre la problématique foncière issue de l’histoire de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe et le nouveau phénomène de l’accaparement des terres qui touche dramatiquement le Mozambique, l’Ouganda ou la Tanzanie, nous avons de quoi faire. Au niveau des semences, comme je l’ai dit précédemment, nous luttons contre cette nouvelle loi d’homogénéisation avec l’appui d’une ONG sud africaine (African center for biosafety). Ce pays est une tête de pont pour les OGM en Afrique. D’ailleurs le Zimbabwe subit régulièrement des importations illégales par notre frontière commune.

La région Afrique 2 est composée essentiellement de pays francophones: Mali, Niger, Sénégal, Togo, Congo Brazaville, puis de la Guinée Bissau, du Ghana et de la Gambie. Cette région travaille également sur la problématique foncière. Ils subissent de plein fouet l’arrivée de gros projets miniers qui accaparent leurs terres et leurs ressources naturelles. Les multinationales ont pris le continent africain pour cible car il est si riche: or, diamant, uranium, manganèse, etc. et certaines régions se «prêtent» bien à la production d’agrocarburants. Nous devons nous battre contre de telles «fausses solutions» au changement climatique véhiculées par les multinationales. Elles développent des programmes ou des technologies inutiles qui les renforcent et les enrichissent et marginalisent les paysans. Nos gouvernements doivent prendre leurs responsabilités. Dans certaines régions comme l’Ouganda ou la Tanzanie la situation est alarmante.

Le continent compte 15 organisations membres. Actuellement il y a de nouvelles demandes provenant de l’Ouganda, du Kenya et du Lesotho. Elles seront validées lors de la prochaine conférence quadriennale qui se tiendra au Pays Basque en 2017. Le fait que le secrétariat international soit en Afrique facilite la dynamique continentale. Par ailleurs de nombreuses réunions de dimension internationale ont eu lieu comme au Mali sur l’accaparement des terres, les semences ou tout récemment sur l’agro-écologie. Nous avons pour objectif de renforcer le mouvement citoyen en Afrique pour faire face à l’appétit des multinationales. Cela passe par exemple par des alliances avec les consommateurs, surtout urbains. Nous devons faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils ne cèdent pas. Pour qu’ils nous soumettent les projets de loi en amont pour que nous puissions réagir et non seulement déplorer les conséquences négatives quand la loi a été votée. L’UNAC, organisation du Mozambique, a par exemple réussi à organiser un workshop régional sur les transnationales et a invité des membres du gouvernement qui sont venus. Nous devons avoir une vision à long terme. Les multinationales promettent monts et merveilles, exploitent les ressources, et quand elles ont tout asséché elles s’en vont. Cela ne peut plus durer. Par ailleurs nous souhaitons renforcer les formations de paysan à paysan. Les 4 écoles d’agroécologie que nous avons mises sur pied sont un exemple.

 

Comment perçois-tu ton rôle de coordinatrice?

Il me plait, j’ai du plaisir bien qu’il m’éloigne trop souvent de ma ferme. Il y a énormément de demandes. C’est un rôle important et très intéressant. J’apprends également beaucoup au contact d’autres paysans. C’est complètement nouveau. Avant cet engagement, nous au Zimbabwe, avions très peu d’échanges avec nos collègues d’autres régions. Au niveau du comité de coordination internationale (formé d’une femme et d’un homme pour chacune des 9 régions de La Via Campesina), nous essayons de décentraliser au maximum en formant des petits groupes de responsabilité (par exemple terres, changement climatique, agroécologie, commerce, etc.) afin que ce ne soit pas toujours les mêmes qui se déplacent ou représentent le mouvement. Chaque membre à son rôle pour réaliser une dynamique aussi horizontale que possible et pour que personne ne soit «indispensable».