Après un succès... une grande farce judiciaire

Le règne par la terreur est le gouvernement des faibles.

Notre premier numéro a connu un succès inespéré, puisque nous avons dû procéder à un tirage complémentaire et que l'abondance des matières reçues, pour cette deuxième parution, nous oblige à tirer, exceptionnellement, sur six page eu lieu et place de quatre.

Dans l'impossibilité de répondre à tous les témoignages de sympathie qui nous sont parvenus, nous adressons un merci collectif aux nombreuses personnes qui nous ont encouragé à poursuivre notre but, suit en nous écrivant, soit en nous faisant parvenir le montant de leur abonnement et même en y ajoutant une contribution volontaire.

Quant au seul et unique citoyen qui nous a fait tenir une lettre anonyme, il ne nous est évidemment pas possible de lui donner signe de vie, puisqu'une indécrotable frousse, alliée à un crétinisme et à une lâcheté évidente, l'empêchent d'apposer son seing sur son boueux message.

Une fois pour toutes, nous précisons que notre organe ne fera jamais état des missives anonymes qu'il recevra. Nous méprisons trop les lâches pour donner de l'importance à leurs vulgaires ragots ou pour nous vautrer avec eux dans leur puante gadoue.

Dans un tout autre ordre d'idées, nous remercions chaleureusement et par anticipation, toutes les courageuses personnes qui nous adresseront, à l'avenir, des articles ayant trait à la vraie défense de la cause agricole. D'ores et déjà nous assurons à nos correspondants la discrétion le plus absolue.

Enfin, nous prions lecteurs et mais de réserver bon accueil au bulletin de versement qui se trouve encarté dans le présent numéro. Le coût d'un abonnement au Paysan enchaîné, jusqu'à fin 1948, est de 1.50 fr. Bien que notre œuvre soit désintéressée, elle ne comporte pas moins d'inévitables frais que nous espérons couvrir, non pas avec des subsides comme font certaines organisations, mais à l'aide de versements, modestes ou importants, qui seront effectués sur notre compte de chèques No II. 15 015.

Pour avoir voulu une amélioration de la vie du campagnard et agir en conséquence, les membres du comité de l'URA se voient intenter une action pénale par le Conseil fédéral.

L'automne dernier, malgré l'avis unanime de l'Union suisse des paysans et l'Union centrale des producteurs de lait réclamant une augmentation absolument justifiée de six centimes du prix du lait, M. Stampfli n'octroyait qu'un relèvement insuffisant et humiliant de quatre centimes. C'est cette iniquité, et pas autre chose, qui fut la source de la grève du lait des 1er et 5 septembre 1947.

Les producteur qui furent, par l'action injuste du Conseil fédéral, lésés, frustrés et bafoués, seraient en droit d'intenter une action pénale à l'ancien conseiller fédéral Stampfli. Or, c'est Mr. Rubattel qui nous attaque. Quelle grande farce! Quelle fameuse comédie!

Ainsi, le Conseil fédéral va faire entrer dans la danse sa justice. Les chefs grévistes, ces citoyens à l'âme ardente, ces résistants glorieux, pour n'avoir pas voulu se soumettre docilement au marchandage fédéral, seront impitoyablement condamnés. Un dossier volumineux garnit les coffres de l'économie de guerre. Toutes les ordonnances de l'O.G.A., tous les arrêtés fédéraux, telle une "tête de Méduse" sont brandis sur nous afin de pétrifier "les perturbateurs de l'économie laitière".

On est accusé, ou inculpé d'avoir décidé, préparé, organisé et exécuté la "grève du lait". Par notre instigation au refus des livraisons de lait, 60000 litres furent soustraits. C'est nous qui avons fait ce mal. On ne raisonne pas plus finement en haut lieu. N'a-t-on pas le droit de s'assembler pour discuter du produit de nos fermes? N'ose-t-on pas formuler des réclamations nettes et positives? Enfin, ne peut-on pas protester et dire à ces messieurs: "mettez ces six centimes et tout ira bien, sinon on cessera d'être les mulets du Conseil fédéral et, alors, vous verrez ce que vous verrez".

A vrai dire, la grève, n'es déplaise au conseiller fédéral Rubattel, ne fut pas ordonnée par les membres du comité. Elle fut agitée, discutée, proposée et approuvée par l'assemblée générale. Le conseiller fédéral précité devrait pourtant savoir que lorsque l'Assemblée fédérale prend des décision, c'est elle qui en est responsable et non le Conseil fédéral. En outre, ce ne furent pas 60000 litres qui furent détournés, car la plus grande partie des grévistes, s'ils ont durant deux jours retenus leur lait, ont eu soin de le conserver au frais pour le consommer par la suite. Ainsi faisant, les premiers jours qui suivirent la grève, ils ont pu porter la totalité de leur production à la laiterie, gardant pour le ravitaillement direct du ménage le lait de grève.

D'autre part, en face de cette accusation de notre Conseil fédéral, on pourrait lui rétorquer qu'en nous refusant durant les années de guerre un prix équitable du lait, il a contribué à priver le pays de bien des fois 60000 litres. Sait-on, en effet, que beaucoup de producteurs firent du lait à contre-coeur et au compte-goutte. Sait-on encore que des villages montagnards orientèrent leur production laitière sur une autre voie. De ravitailleurs qu'ils étaient avant la guerre, ils devinrent des ravitaillés durant celle-ci.

Si le gouvernement avait pratiqué, à notre égard, une politique franche et loyale, le pays aurait eu de plus belles rations de lait, de beurre et de fromage.

En outre, on nous accuse d'avoir commis des infractions à l'arrêté du Conseil fédéral du 17 octobre 1939 tendant à assurer l'approvisionnement du pays en denrées alimentaires et fourragères, art.5.

Mais, là encore, les paysans ont fait tout leur devoir. Ils ont été fidèles, obéissants, empressé et soumis autant qu'il fut possible d'être. De cet arrêté découlait, pour le Conseil fédéral, le devoir d'accorder des prix couvrant les frais de production. Dans ce domaine, l'autorité suprême a énormément fauté. Mr. Stampfli, en baissant le prix du lait d'un centime, en été 1945, nous a fait un tort incalculable. De même, l'automne dernier, alors que par suite de la grande sécheresse l'agriculture suisse accumulait un passif de plus de cent millions de francs, le Conseil fédéral devait se faire un devoir d'accorder les 6 centimes réclamés. On peut donc, en toute objectivité, accorder à notre Conseil fédéral la paternité officielle et légitime de la grève du lait de novembre 1947. Faites les poursuites! Tous les arrêtés, toutes les procédures et les pires condamnation ne pourront rien contre cet état de fait.

La paysannerie suisse, ainsi que tous les esprits droits, éclairés et généreux n'ignorent pas que le plus grand responsable fut le Conseil fédéral.

Un fait, une preuve certaine demeurent. Durant la première guerre mondiale, il fut possible, aux agriculteurs heureux, de s'enrichir. Au cours de cette dernière guerre le paysan, malgré tous ses efforts, s'est appauvri.

Le pic-noir.


soyons toujours joyeux

Fichu métier que celui de paysan durant les années 47 et 48. L'an passé, dans nos campagnes couleur cheveux du diable, tout était rôti et, cette année, il faut, entre les averses, voler à Dame Nature nos belles récoltes et en mendier ensuite le prix à maman Confédération.

Cependant, ne nous plaignons pas. Ça pourrait être pire et, malgré la dureté du temps, malgré l'incompréhension, parfois trop marquée de nos gouvernants et dirigeants, malgré le spectre hideux de la baisse de nos produits, partant de notre salaire, maintenons haut et bon notre moral et montrons-nous dignes de notre tâche. Ce sera notre premier tour de force car;

"Soyez gais et contents, ô paysans moroses. Sans toujours critiquer, regardez donc les choses. A voir partout le mal, ne perdez pas de temps. A côté des chardons, il est aussi des roses, Que vous pourrez cueillir en étant indulgents. Aimez pour être aimé. Soyez gais et contents." Ce couplet est de mon ami Paulon.


Gugu.