lundi, 10 décembre 2012

L'an passé, l'Union suisse des paysans (USP) publiait un rapport sur la problématique des concentrés et la nécessité d'augmenter de 15% notre taux d'auto-approvisionnement. Au printemps 2012, c'était Gallo Suisse qui, comme premier pas, proposait que les aliments composés soient au moins élaborés en Suisse (ce qui n'empêchait pas la matière première d'être importée). En novembre 2012, l'Association Vache mère Suisse prend la décision courageuse de renoncer à l'utilisation de soja. Quant à la FSPC et Swissgranum, ils s'alarment à juste titre de l'érosion du nombre d'hectares de fourragères en Suisse. Le Parlement Suisse sera-t-il en mesure d'apporter sa contribution à l'amélioration de la situation? Relancer la production fourragère locale afin de réduire notre dépendance aux importations... Rien n'est encore sûr puisque les deux chambres ne sont pas du même avis!

 

Le rapport de l’USP de 2011 permet d’identifier quelques tendances: l’utilisation de concentrés chez les vaches laitières augmente, les concentrés énergétiques diminuent et les protéiques augmentent.. Depuis 1990, l’importation des concentrés est passée de 300 à 600’000 tonnes et notre taux d’auto-approvisionnement de 70 à 50%. L’USP estime qu’il serait nécessaire d’augmenter de 15’000 ha les cultures protéagineuses pour atteindre l’objectif de 65% d’auto-approvisionnement. Quant aux solutions pour y arriver, elles sont diverses et varient d’une organisation à une autre. Voici notre point de vue:

Dans l’élevage, nous pouvons clairement distinguer d’une part les ruminants comme les bovins, ovins et caprins et d’autre part les porcins et la volaille. La première catégorie devrait assez facilement trouver son «bonheur» en Suisse. Il s’agit d’agir à plusieurs niveaux:

• Réorienter la sélection animale pour favoriser l’émergence de bêtes en mesure de valoriser au mieux le fourrage grossier.

• S’orienter autant que possible dans l’affouragement à base d’herbe qui par ailleurs sera spécifiquement soutenu par la politique agricole dès 2014. C’est le choix de Vache mère Suisse.

• Relancer des programmes de recherche agronomique sur les protéagineuses indigènes et impliquer dès le début des éleveurs (extensifs et intensifs dans leur mode d’élevage et d’affouragement pour la viande ou le lait).

• Développer et améliorer les prairies artificielles riches en protéines.

• Développer des réseaux de formations paysans à paysans s’appuyant sur les succès et potentialités de l’affouragement local (production de viande, de lait, ...).

• Mener des études objectives pour examiner les potentialités de la culture extenso  pour les fourragères, y compris le maïs, et leur qualité fourragère. Des organisations telles qu’IP Suisse pourraient promouvoir des filières carnées complètes du champ à l’assiette. Ces systèmes de production pourraient aussi bénéficier de l’appui de la politique agricole 2014. 

• Octroyer des soutiens spécifiques via les paiements directs pour les protéagineuses, oléagineuses et céréales fourragères locales.

Pour les porcins et la volaille, il se peut que pour l’heure, les fourrages indigènes ne soient pas suffisants. Mais des seuils minimaux d’affouragement indigène pourraient être introduits. Un vrai Swissness pourrait alors émerger dans l’intérêt des filières et des consommateurs. De notre point de vue, il y a de fortes potentialités à moyen terme de convaincre les consommateurs de mieux consommer: moins de viande dans l’absolu, mais plus de viande suisse, un peu plus chère mais de meilleure qualité. L’exemple de la filière porcine démontre que miser sur la quantité n’est pas porteur pour les paysans.

Il faudrait réinterroger la pertinence de la fin de l’alimentation avec les lavures depuis le 1er juillet 2011.

Coup d’oeil sur nos capacités et importations

Le rapport d’activité de la Fédération Suisse des Producteurs de Céréales (FSCP) apporte un éclairage intéressant sur l’aspect critique de notre balance import/export: 

• Entre 1990 et 2012, le nombre d’hectares consacrés aux céréales fourragères et passé de 108’500 à 64’500, soit une baisse de 40%.

• Quant aux protéagineux et oléagineux, si la tendance n’est pas à la baisse, la production ne suffit pas à répondre aux besoins fourragers car elle demeure très marginale.

• Les importations globales de tonnes de céréales fourragères ont augmenté de 138%. Parmi celles-ci, l’importation de blé fourrager a augmenté de 130% en 11 ans et celle de l’orge de 44%. Quant à celle du maïs grain elle a augmenté de 720% durant la même période ou, depuis 2006, de 165%. A ce propos il faut rappeler le «rôle» que joue la protection douanière pour le maïs. Il est aussi intéressant de tenter le parallèle entre l’augmentation des importations de maïs et la sortie anticipée des quotas laitiers. 

• Quant aux tourteaux (essentiellement soja, colza et tournesol), la hausse représente 194% en 10 ans; le soja remportant la palme en terme de quantités.

Transformations relocalisées

Pendant plusieurs années, nous avons assisté à une concentration/rationnalisation des unités de transformation (huilerie, moulins etc.). Si cette orientation peut s’avérer utile pour les «grandes filières», elle n’est pas adaptée à certaines attentes de traçabilité locale; ces unités sont trop grandes, trop éloignées des lieux de production. En parallèle à ces structures, il faut réfléchir à la possibilité de remettre sur pied des unités plus petite de stockage et de transformation: pour éviter les destockages d’urgence avant récoltes qui font pression sur les prix et permettre de développer le travail à façon de concentrés. Des synergies peuvent être encouragées entre producteurs et éleveurs locaux.

Perspectives d’avenir: des assises nationales!

En 2010, Uniterre avait fait un appel aux organisations telles que la FSCP, IP Suisse, PSL, Suisseporcs et l’USP pour évaluer l’intérêt de trouver des financements conséquents pour encourager la production et la consommation de fourragères indigènes. Actuellement, en comparaison avec d’autres cultures telles que le colza ou le blé, le soja n’est financièrement pas intéressant; son prix devrait augmenter de 40 à 50% pour atteindre la même marge brute comparable. Le lupin, les pois protéagineux ou la féverole sont encore moins bien positionnés. Il est indispensable de trouver des solutions pour que ces cultures demeurent rentables pour les producteurs tout en étant attractives pour les éleveurs. C’est pourquoi, au-delà de paiements directs spécifiques pour ces cultures, la réflexion d’une redistribution d’une taxe perçue sur l’ensemble du fourrage commercialisé (importé et indigène) auprès des utilisateurs de fourrages indigènes est une piste à creuser. Il y a deux ans, cette idée avait trouvé peu d’écho auprès desdites organisations. Néanmoins, nous sommes convaincus que cette option devrait être étudiée de plus près, adaptée, reformulée, en fonction des résultats obtenus. Nous pensons que l’USP, ou l’OFAG mandatée par les organisations professionnelles, pourraient creuser différentes variantes. Il ne faut pas craindre de sortir des sentiers battus. Une réflexion dans ce sens permettrait de développer un projet pour et par la profession. Il faut briser les tabous, chercher des solutions ensemble qui permettent aux familles paysannes de travailler main dans la main. Il faut cesser d’opposer prix des fourragères et coûts de production de la filière carnée. Dans la même veine, comme nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises dans ce journal, délocaliser notre production fourragères outre-mer se fait au détriment des familles paysannes de ces contrées qui subissent les assauts brutaux de l’agroindustrie d’exportation; éthiquement ce n’est pas défendable.

Autre point sur lequel de nombreuses organisations de producteurs peuvent également trouver un accord: celui de maintenir voire de renforcer le droit de se protéger des importations à trop bas prix. La souveraineté alimentaire le reconnaît. Le démantèlement systématique des protections à la frontière pour les fourragères a influencé notablement l’attractivité de la production indigène. Et comme dit précédemment, ces taxes pourraient participer au financement de la relance fourragère suisse. 

Un appel aux organisations professionnelles suisses est donc lancé: des assises suisses sur la production et la consommation fourragères seraient les bienvenues en 2013; en prenant en compte les changements annoncés dans la politique agricole.

Valentina Hemmeler Maïga