lundi, 25 février 2013

Depuis mars 2008, M. Olivier de Schutter est le rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation. Son rôle est d'analyser ce qui se passe dans le monde à ce sujet et de rédiger rapports et recommandations pour améliorer la situation. Ceux-ci sont basés sur des missions de terrain ou sur des analyses des mécanismes. Fort engagé, O. de Schutter n'hésite pas à condamner les errances d'un système en basant ses critiques sur des faits concrets. En août 2011, il a rédigé un rapport appelant à la nécessité de rendre les filières plus équitables et à encourager les modèles alternatifs favorisant le droit à l'alimentation.

 

 

 O. de Schutter part du constat que  l’un des défis principaux pour réduire la faim dans le monde est de favoriser l’accès au marché local pour les petits producteurs. Ainsi, il n’a eu de cesse d’encourager les initiatives visant à renforcer les liens entre producteurs locaux et consommateurs en appelant à mettre en place les infrastructures nécessaires à ce rapprochement, à favoriser l’information sur les prix et l’organisation des filières. Selon lui, l’Etat a un rôle central à jouer pour favoriser les petits marchés locaux et régionaux. Les Etats se doivent de créer un environnement favorable malgré les inégalités de pouvoir entre les parties (producteurs et acheteurs) et le caractère asymétrique de l’information.

Les risques de l’agriculture sous contrat

Le Rapporteur spécial constate par ailleurs une nette tendance à l’augmentation de l’agriculture «sous contrat» que ce soit au sud comme au nord. Ce type d’agriculture, visant à fournir aux producteurs un accès facilité au marché global, à des intrants, à des conseils techniques et éventuellement à des crédits peut également s’avérer être un risque puisqu’il renforce nettement la dépendance des producteurs vis-à-vis des acheteurs. C’est malheureusement souvent la «seule» alternative qui reste au producteur, les Etats ayant laissé les acheteurs se substituer à leur rôle. Dans certains pays, les acheteurs sont allés jusqu’à proposer des biens et services qui sont habituellement fournis par l’Etat (infrastructures de transport, écoles, services de vulgarisation, hôpitaux). Cette tendance est dénoncée par le Rapporteur spécial car les groupes les plus marginalisés que sont les petits producteurs se trouvent alors délaissés par l’Etat et subissent une dépendance trop grande du privé, voire sont ignorés au profit de plus grands producteurs. 

 

L’agriculture sous contrat est dans l’immense majorité des cas orientée vers une production industrielle, spécialisée, bien souvent destinée à l’exportation. Au sud cela peut être les cultures de rente comme le café, le cacao, la palme africaine et sous nos latitudes la production de volailles et de porcs. C’est pourquoi, M. Olivier de Schutter appelle à une responsabilisation des acteurs de la chaine en les incitant à inclure des mesures de diversification des productions, des formes de cultures associées, des méthodes agro-écologiques permettant de garantir le maintien d’une production vivrière trop souvent délaissée au profit des cultures de rente. Un des risques avérés de l’agriculture sous contrat est de transformer les producteurs en ouvriers agricoles salariés sur leurs propres terres sans pour autant avoir les bénéfices d’un travail salarié (salaire minimum, congé maladie et autres prestations sociales). Autre constat, les femmes sont la plupart du temps exclues de ce type d’agriculture; elles sont cantonnées à être employées gratuitement par leur propre famille, sans aucun droit sur la terre ou les éventuels bénéfices et choix de production. 

L’intégration verticale des filières et la forte dépendance aux acheteurs engendrent bien trop souvent une spirale de l’endettement des petits producteurs. Les hautes technologies, ou les intrants qui sont vendus par l’acheteur le sont souvent au dessus du prix du marché. Si le producteur est par ailleurs lié à une seule culture de rente dont le prix s’effondre pour des raisons indépendantes de sa volonté, le piège se referme sur lui. Il est alors pieds et poings liés à l’acheteur pour de longues années.

Sept bonnes pratiques à encourager

Pour Olivier de Schutter, plusieurs points devraient être améliorés :

Les contrats devraient viser une viabilité économique à long terme et ne pas prétériter l’une ou l’autre partie.

Les paysans devraient être soutenus dans la négociation par l’Etat ou des organisations agricoles solides. Les relations étant souvent asymétriques et les producteurs se retrouvant dans une position de faiblesse, le regroupement de leurs intérêts est un critère capital.

Si c’est la femme qui effectue la plus grande part du travail, les contrats devraient être rédigé à son nom et non pas automatiquement à celui de l’homme par le simple fait qu’il soit considéré comme chef de famille ou propriétaire de la terre.

Les mécanismes de prix devraient être clairs et transparents et indiquer comment les prix incorporent les coûts de production, les risques et les retours sur investissement. Le producteur devrait recevoir la garantie d’obtenir un prix fixe minimum couvrant les coûts et permettant d’assurer un salaire minimum pour tous les travailleurs agricoles y compris les membres de sa famille (modèle du commerce équitable); et le prix devrait être plus élevé en cas d’augmentation des prix du marché. Ces mécanismes de fixation des prix devraient être soumis à un organisme indépendant d’arbitrage.

L’agriculture sous contrat devrait tendre à plus d’écologie, réduire l’utilisation d’intrants tels qu’engrais, pesticides, herbicides ou hautes technologies coûteuses.

Un organisme de médiation devrait être mis sur pied afin d’encourager un dialogue serein entre toutes les parties.

Les normes de qualité devraient être claires; elles ne devraient pas servir d’outil pour manipuler les producteurs.

A la recherche d’alternatives

Comme dit en introduction, Olivier de Schutter estime que des modèles alternatifs doivent être explorés car «l’objectif de l’agriculture sous contrat est d’organiser une division du travail entre l’acheteur et le vendeur qui reste confiné dans la production brute de matières premières. Les décisions stratégiques -choix et méthodes de cultures, choix du marché visé- sont du ressort de l’acheteur. Le producteur n’en est que l’exécutant».

Parmi ces modèles alternatifs, il évoque l’agriculture bénéficiant du soutien de la communauté (CSA) dans les pays anglophones, Association pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) en France ou Agriculture contractuelle de proximité (ACP) en Suisse. Par exemple, aux Etats Unis, ce type de production a doublé ses ventes en 10 ans. Dans la même pérdiode, les marchés paysans sont passés de 2’700 à 5’300 unités. Les projets de proximité de 2 à 1’400 en 20 ans... En 2007, selon les autorités américaines, près de 137’000 exploitations vendaient leurs produits directement aux consommateurs! Une petite révolution pour une agriculture bien souvent présentée comme ne vivant que par les grandes filières de commercialisation.

Convaincu de la nécessité d’inciter les Etats à s’engager dans cette voie, le rapporteur spécial a plus particulièrement observé deux projets qui impliquent paysans et collectivités locales. Au Brésil, à Belo Horizonte, un arrêté municipal a fondé un cadre politique basé sur la souveraineté alimentaire. Afin de garantir une nourriture saine à un prix abordable aux communautés les plus défavorisées, la municipalité a mis en place des services mobiles de distribution alimentaire. L’agriculture familiale est appuyée par le gouvernement par l’achat des récoltes et par une série de mesures accordant la priorité aux producteurs locaux. Le système d’alimentation a été repensé pour s’adapter à une logistique favorisant l’approvisionnement local. En Afrique du Sud, une des municipalités de Durban, comptant 4 millions d’habitants, vise à appuyer les jardins potagers et les mini-fermes communautaires comme les fermes commerciales en émergence. Elle a identifié 26 associations d’agriculteurs et 800 potagers communautaires et tend à améliorer le contact entre les marchés et les urbains. Sous réserve d’un appui de qualité, ces potagers pourraient générer 60’000 emplois... Au programme, centre de formation en agroécologie, banque de semences, appui au conditionnement et à la commercialisation.

Dans ses recommandations, le rapporteur appelle de plus les Gouvernements à faire en sorte de garantir un niveau de concurrence suffisant entre acheteurs pour éviter d’enfermer les producteurs dans une position d’échange inégal avec un acheteur particulier. Il demande également que des systèmes soient mis en place pour permettre aux agriculteurs de récupérer de la valeur ajoutée dans la chaine alimentaire en déterminant au niveau local des partenariats durables entre production, conditionnement, transformation et commerce de détail.

Valentina Hemmeler Maïga