lundi, 25 février 2013

A quelques semaines du départ en Suisse de la caravane «souveraineté alimentaire» et alors qu'une notion au rabais de ce concept sera inscrite dans la loi sur l'agriculture, il est intéressant de dialoguer avec Paul Nicholson, paysan basque à la retraite, membre de l'organisation Ehne Biskaia (membre ECVC) et ancien délégué au Comité de coordination international de La Via Campesina.

 

 

 En 1996, La Via Campesina présente, en marge du sommet de la FAO, le concept de souveraineté alimentaire. Pourquoi à ce moment, quel était le contexte?

Il faut se rappeler qu’en 1996, le seul principe internationalement reconnu et discuté concernant l’alimentation était la « sécurité alimentaire ». Cela se résumait au droit à l’accès à la nourriture. Celle-ci devait être fournie par le marché. Pourtant les communautés de petits paysans subissaient déjà de nombreuses crises et la faim les touchait tout particulièrement. Nous constations que le problème auquel nous faisions face n’était pas seulement l’accès à la nourriture, mais surtout l’accès aux moyens permettant de la produire au plan local. 

La souveraineté alimentaire a -dans un premier temps- été pensée et développée par des paysannes, dans une perspective issue de l’agriculture familiale. Ces paysannes venaient de différents continents, elles avaient une vision éthique et non corporatiste des solutions à apporter. C’est environ six ans après que le concept a été empoigné par la société civile et est devenu populaire.

Quelles sont les idées clés de la souveraineté alimentaire?

En tout premier lieu c’est de reconnaître que l’alimentation est un droit. Et que pour garantir la sécurité alimentaire, il faut pouvoir développer une souveraineté alimentaire. Sans celle-ci, tout programme de sécurité alimentaire est voué à l’échec. Les crises alimentaires successives sont issues des politiques qui détruisent les capacités de production au niveau local. C’est un concept qui affirme le droit politique de déterminer nos propres politiques agricoles et alimentaires. Il exige une régulation des importations et des exportations et plus généralement des marchés alimentaires. Il encourage le développement de réseaux alimentaires locaux.

Deuxièmement, les biens communs (la terre, les semences, l’eau, ...) ne doivent pas être privatisés. Ils doivent être en main de celles et ceux qui produisent la nourriture. Une des raisons qui rendent très difficile l’installation de nouvelles générations de paysannes et de paysans, c’est la privatisation croissante des biens communs. 

Troisièmement, c’est le droit pour les citoyen-ne-s de savoir ce qu’ils mangent, comment, où et par qui cela a été produit. C’est un droit démocratique de contrôler la chaîne alimentaire.

Quatrièmement, La Via Campesina constate que ce sont les petites structures paysannes qui sont en mesure de nourrir la planète. 70% de la nourriture est consommée localement. Non seulement ce type de modèle à petite échelle, agroécologique, est capable de nourrir la population mondiale, mais de plus il contribue à atténuer les effets négatifs sur le climat. Alors qu’au contraire, les grandes structures agro-industrielles réchauffent la planète par l’utilisation immodérée d’intrants et de ressources énergétiques.

Qu’est ce qui est novateur dans le concept de souveraineté alimentaire et quelles ont été les méthodes utilisées par La Via Campesina pour le diffuser?

Tout d’abord, c’est la prise de conscience que l’alimentation est au coeur des préoccupations de l’ensemble de la société et non seulement des paysannes et des paysans. La Via Campesina a insisté sur le fait que l’alimentation devait être l’affaire de tout un chacun et non seulement celle du secteur agricole. En partant de ce constat, le développement de la souveraineté alimentaire devait passer par les mouvements sociaux. Le changement devait se faire du bas vers le haut, du local au global. Il nous fallait développer des alliances avec des groupes sociaux de différents secteurs, non seulement pour développer le concept en lui-même, mais surtout pour construire des alternatives concrètes sur le terrain.

En 2008, lors de la conférence internationale de La Via Campesina à Maputo, nous avons identifié l’aspect systémique des crises successives (financière, économique, énergétique, climatique, alimentaire,...) et ne pouvions que constater que la souveraineté alimentaire était l’alternative à ces crises. Elle doit être comprise comme une transformation sociale profonde, par la mise en place de nouvelles politiques et de nouvelles attitudes face à l’alimentation, l’environnement, le climat, les productions, les citoyen-ne-s. Ces nouveaux comportements se concrétisent au nord comme au sud par des millions de projets alternatifs qui émergent au plan local; ils sont le socle sur lequel construire notre futur.

Comment peut-on expliquer l’intérêt porté par le monde non paysan à ce concept?

Pour nous, la souveraineté alimentaire est celle des peuples. Les alliances mises en place par la Via Campesina sont ainsi fondamentales. Le renforcement des relations entre les villes et les campagnes sont indispensables. Un des leaders de La Via Campesina, Joao Pedro Stedile, du Mouvement des Sans Terre au Brésil disait à l’époque: «Nous pouvons gagner nos batailles dans les villages, mais la guerre elle, se gagnera dans les villes!». Il est par ailleurs essentiel pour notre mouvement de convaincre les paysannes et les paysans qu’au delà de l’importance de produire, il faut surtout se questionner sur le destinataire de nos productions. Nous ne voulons pas produire pour les grandes transnationales, mais pour nos populations locales. La production est un enjeu pour les paysans comme pour les consommateurs urbains ; il ne faut pas sous-estimer leur appui à la paysannerie. C’est une alliance plus forte qu’on ne le croit. Le succès de la souveraineté alimentaire est probablement dû à notre capacité de créer ces alliances; c’est sa force car elle est basée sur une lutte commune.

Souvent nous entendons la critique que la souveraineté alimentaire n’a pas une définition établie qui puisse se vérifier dans un règlement international, une loi ou un dictionnaire. Que répond La Via Campesina à ces remarques?

La souveraineté alimentaire n’est pas une loi dogmatique et statique! Elle est dynamique, elle vit avec son temps et s’enrichit des expériences de celles et ceux qui la construisent. Elle est reliée à des actions concrètes; elle peut être perçue sous différents angles en fonction de nos origines. Elle n’est pas détenue ou brevetée par une quelconque organisation. Elle appartient aux peuples. Le danger est bien sûr que des politiciens s’en emparent à des fins purement politiques, qu’ils la déforment ou ne la comprennent pas. Des tentatives de co-optations existent de la part de certains politiciens, de multinationales, d’ONG ou d’organisations paysannes qui l’utilisent comme paravent tout en ne remettent absolument pas en cause le modèle productiviste et néolibéral actuel. Il faut être attentif à cela; seules des actions locales peuvent contrer cette tendance à la récupération car elles permettent de transformer notre société en profondeur. 

Néanmoins, il y a tout de même des points clés qui nous permettent de préciser notre pensée: la souveraineté alimentaire ce n’est pas l’autosuffisance alimentaire, ce n’est pas le marché, c’est un principe de solidarité qui défend le droit à une protection mutuelle. Elle rejette le dumping social et environnemental définit comme le fait de vendre sur le marché indigène ou international des produits en dessous de leurs coûts de production réels.

Selon nous, institutionnaliser le concept serait une erreur. C’est pourquoi La Via Campesina estime qu’il faut maintenir le cap de le faire évoluer par la mise en mouvement de la société. C’est là que se trouve la clé du succès. La mise en place de larges plateformes autour de la souveraineté alimentaire dans différents pays le prouve. Pour obtenir des décisions favorables au niveau global nous ne pouvons que passer par un renforcement local; une transformation nette de nos sociétés. Si nous prenons comme exemple la lutte contre l’OMC, elle a été possible car dans nos différentes communautés, nous avons compris que notre salut ne passait pas par ce type de système néolibéral qui mettait les paysannes et paysans en concurrence. Il ne suffisait pas de le déclamer, il fallait le démontrer, que les acteurs le vivent.