mardi, 19 février 2013

Du 3 au 10 février une délégation du syndicat andalou des ouvriers et ouvrières agricoles SOC a séjourné en Suisse. Lors de soirées d'information à Genève et Zurich et d'une rencontre avec des paysannes à Kirchlindach, la délégation  a informé des conditions de travail précaires dans la production et la transformation de fruits et légumes dans la mer de plastique d'Almeria. La rencontre la plus importante a eu lieu le 7 février à Berne lors de la  journée de réflexion „les conséquences sociales de l'industrialisation de l'agriculture“ à laquelle une centaine de personnes a participé. Les organisations suivantes étaient à l'initiative de ce  séminaire: Forum Civique Européen, Uniterre, Solifonds, Plateforme pour une agriculture socialement durable, Coopérative Longo maï, l'autre syndicat, Bio Forum Suisse, Unia et Sit.

 

 

Lors de cette journée les personnes directement concernées par l’industrialisation de la chaîne alimentaire ont pris la parole. Hafida Mounjid a décrit les conditions de travail dans l’entreprise de conditionnement Biosol Portocarrero à Almeria en Andalousie qui livre également des légumes bio hors-saison aux grands distributeurs suisses. Depuis plus de deux ans, elle s’engage avec un groupe de femmes marocaines et avec l’aide du SOC pour une amélioration de leurs conditions de travail. En juin de l’année passée, elles ont pu fêter un succès partiel: elles ont obtenu que leurs heures supplémentaires soient payées, que des licenciements soient annulées et que quelques unes d’entre elles obtiennent des contrats fixes. Mais la direction continue à exercer une pression constante et à prononcer des punitions arbitraires. Parmi les ouvrières de cette entreprise, sept personnes sur quatre-vingt seulement bénéficient de contrats fixes, les autres sont temporaires ou travaillent sur appel.

En Suisse, nous trouvons dans l’industrie de conditionnement des situations toutes aussi précaires. Fatou N’Dir, une ancienne employée dans le conditionnement de la viande, a présenté les conditions inacceptables dans une entreprise suisse et des situations d’harcèlement qu’elle a vécues. L’entreprise n’a pas hésité à profiter de façon abusive du statut de séjour précaire de cette femme originaire du Sénégal. C’est grâce au soutien de l’autre syndicat qu’elle a obtenu devant le tribunal le paiement des heures supplémentaires effectuées. 

« Les conditions de travail dans la production intensive de légumes sous les serres de la mer de plastique d’Almeria sont toujours aussi scandaleuses », commentait Federico Pacheco. Il rendait attentif aux salaires misérables, à l’absence de contrats de travail et aux conditions de logement catastrophiques, dans lesquelles vivent une partie des migrant-e-s qui y travaillent. En Suisse, les ouvrièr-er-s agricoles sont souvent confronté-e-s à des conditions de travail inacceptables. Hassan Hassan, originaire de l’Irak, détaillait à son tour les conditions de vie lorsqu’il était embauché dans les travaux de la vigne. Philipp Sauvin, de la Plateforme pour une agriculture socialement durable complétait son récit en rappelant que « selon des estimations officielles entre 5000 et 8000 Sans-Papiers travaillent dans l’agriculture suisse sans contrat ».

Plusieurs paysannes et paysans ont pris la parole au cours de cette journée. Ils ont critiqué les changements récurrents de la politique agricole qui les soumet à une pression croissante, au stress, aux difficultés économiques et engendre des risques psychosociaux importants. Par exemple, Eric Ramseyer, un paysan producteur de lait en Suisse romande, a expliqué comment les agrandissements constants de sa ferme, encouragés par la politique agricole actuelle, l’ont mené dans l’impasse. Aujourd’hui, il s’interroge sur la voie qu’il a choisie il y a 10 ans. Si c’était à refaire, il renoncerait à se spécialiser dans une seule production, synonyme de trop forte dépendance économique. D’autres interventions passionnées du public ont fustigé la nature destructrice de l’agriculture industrielle qui méprise la condition humaine et qui consomme bien plus de calories qu’elle n’en produit.

D’autres participant-e-s voulaient savoir à qui profite l’industrialisation de l’agriculture et comment se répartit le prix de vente des fruits et légumes. Dans la mer de plastique d’Almeria pullulent les multinationales spécialisées dans les équipements pour serres, dans la production de plastique, d’engrais et de pesticides. Celles-ci font partie des gagnants de cette évolution tout autant que les grands distributeurs européens.  Ces derniers refusent systématiquement de communiquer les noms de leurs fournisseurs. C’est donc un travail de recherche pénible de reconstituer le cheminement des fruits et légumes, de la récolte jusqu’aux étals des supermarchés et de savoir qui prend des bénéfices au passage.

Un constat a pu être confirmé lors de cette journée: l’industrialisation de l’agriculture a de graves conséquences pour les ouvrières et ouvriers agricoles, les paysannes, les paysans et un grand nombre de travailleurs/ses de la filière agroalimentaire. Ils sont les éléments les plus fragiles de la production alimentaire et sont souvent livrés sans protection à la pression du marché dont dépend leur salaire. La course à industrialisation de la chaîne de production alimentaire doit être arrêtée (encadré 1). A cet effet, il faut un changement radical de la politique agricole en faveur d’une agriculture sociale et écologique portée par les consommateurs/trices et les producteurs/trices. Dans l’intérêt général, nous devons affronter ce grand défi, il en va de la sécurité alimentaire et de la préservation de la planète. 

Nous devons aussi être plus actifs sur le plan politique. Dans ce cadre, le séminaire a permis de formuler un catalogue de revendications (voir encadré 2) à l’intention du Conseil fédéral et du Parlement. Ces revendications ont également été remises aux organisations agricoles, syndicales, politiques et aux associations de consommateurs. Ces revendications ont pour but de mettre un frein aux conditions de travail inacceptables. D’autres rencontres auront pour thème l’élaboration de propositions alternatives en matière de politique agricole et alimentaire.

Le syndicat andalou des ouvriers et ouvrières agricoles SOC a toujours besoin d’un large soutien pour continuer son travail. C’est pourquoi des délégations sont attendues en Autriche du 13 -18 avril et en  Allemagne du 19 - 24 avril. Vous trouverez un calendrier précis sur www.forumcivique.org

 

Un scandale en cache un autre

Ces dernières semaines les médias ont rapporté en grands titres et abondamment le „scandale de la viande de cheval“  et ont montré combien la filière des ressources alimentaires jusqu’aux étals des supermarchés est opaque. Soit plusieurs milliers de kilomètres en chassé-croisé à travers l’Europe et ceci seulement pour augmenter les profits grâce aux écarts de prix et de salaires entre différentes régions et pays.

Le scandale permanent de la destruction de l’agriculture paysanne et de la précarisation des emplois par l’agriculture industrielle n’est évoqué que très rarement. Celle-ci fonctionne selon les méthodes des cultures coloniales, qui, dans l’histoire, ont toujours été associées à l’esclavage. Les bases de notre alimentation  mises en place au cours des derniers siècles sont soumises à des considérations de profits à court terme. Il est urgent d’arrêter cette évolution.

L’initiative populaire „Pas de spéculation sur les denrées alimentaires“ pour laquelle des signatures sont récoltées actuellement, est un pas dans cette direction.

 

Revendications par rapport aux conséquences sociales de l’industrialisation de l’agriculture

A l’occasion de la journée de réflexion du 7 février 2013 à Berne, les participant-e-s ont analysé les différents secteurs de l’agriculture et ont formulé des revendications pour protéger les personnes concernées et améliorer leurs conditions de travail.

Les femmes sont particulièrement touchées par l’industrialisation de l’agriculture. C’est pourquoi nous exigeons:

L’égalité des droits et la cogestion des femmes dans l’agriculture et leur extension dans tous les domaines.

Ceci signifie concrètement:

Les ouvrières agricoles doivent bénéficier des mêmes conditions d’embauche que leurs collègues masculins.

Les paysannes doivent obtenir les compétences de décision, la même part équitable du revenu et l’égalité des droits juridiques en ce qui concerne la propriété foncière.

Les conditions de travail des ouvrières et ouvriers agricoles et des personnes travaillant dans les industries de transformation des produits agricoles sont insoutenables. C’est pourquoi nous exigeons:

Les conditions de travail des employé-e-s agricoles doivent être améliorées par la ratification et l’application des conventions internationales* les concernant.

En Suisse, l’agriculture doit être soumise à la Loi sur le Travail ; de plus un contrat type national contraignant pour les employé-e-s agricoles correspondant aux conditions de travail des autres secteurs économiques doit être édicté.

Les migrantes et migrants sont exploité-e-s dans l’agriculture industrielle. C’est pourquoi nous exigeons:

Les conventions internationales pour la protection des migrant-e-s et de leurs familles doivent être signées, ratifiées et appliquées.

Les personnes sans-papiers employées dans l’agriculture doivent être régularisées.

L’industrialisation de l’agriculture menace l’existence de nombreuses paysannes et paysans. C’est pourquoi nous exigeons:

Une politique agricole à long terme doit être mise en place pour restaurer la confiance des paysannes/paysans et des consommateurs/trices.

L’agriculture paysanne doit être soutenue par la mise en place et l’application de critères de commerce et prix équitables pour les produits issus de l’agriculture et la plus-value dans toute la chaine de production doit être équitablement repartie.

Des incitations doivent être créées pour que plus de jeunes puissent se lancer dans l’agriculture.

Des offres de soutien et de conseil dans le domaine socio-psychologique pour les exploitations agricoles doivent être créées.

Des instances de contrôle doivent être mises en place dans le but d’empêcher le dumping des grands distributeurs.

Les grands distributeurs commercialisent des fruits et légumes qui ont été produits dans des conditions sociales inacceptables. C’est pourquoi nous exigeons: 

Des standards sociaux minimaux doivent être fixés dans la production de biens agricoles.

En cas de violation évidente des standards sociaux les grands distributeurs doivent être responsabilisés.

* notamment  la Convention no  184 du BIT (2001) concernant la sécurité et la santé dans l’agriculture