Du 6 au 13 juin se tenait la 6e conférence internationale de La Via Campesina (LVC) à Jakarta. Cette rencontre était capitale. Elle a permis de mettre des visages sur ces paysans qui mènent des luttes pour la souveraineté alimentaire. Y ont été tissés des liens qui font de LVC une organisation vivante.
LVC a également placé l’agroécologie au centre de sa philosophie et de son plan d’action. Les paysans de LVC partagent un ensemble de convictions sur les méfaits de l’agriculture industrielle. Selon eux, il faut limiter ou éliminer l’usage d’agrotoxiques, se défaire de la dépendance aux intrants industriels, lutter contre la confiscation des semences par une poignée de multinationales.
Mais l’agroécologie prônée par LVC ne se limite pas à un ensemble de méthodes culturales. Ce n’est pas un musée de vieilles pratiques paysannes, doublé d’un salon d’inventions écologiques. L’agroécologie va bien plus loin. Elle implique la lutte pour un démantèlement de l’agro-industrie et des rapports sociaux qui vont avec, bien au-delà de nos champs et de nos villages. C’est une révolution sociale qui remet les paysans au centre du processus productif, en se basant sur des relations de confiance entre la population et les producteurs.
L’agroécologie ne peut être décrétée par les programmes onusiens ou par des gouvernements, aussi progressistes soient-ils. La planification doit partir du bas et privilégier les relations directes entre les producteurs et leurs moyens de production, entre le champ et l’assiette.
Les paysans reprennent alors leur place au sein de territoires, qu’ils interprètent et transforment en permanence, apprenant autant de leur expérience directe que des échanges d’expériences qu’ils ont avec leurs voisins, mais grâce aussi aux relations de solidarité et à la dynamique de construction sociale au niveau régional, continental et mondial.
A Jakarta, il y avait unanimité sur cette question d’agroécologie. Que cette nouvelle dynamique entre dans le discours des paysans de La Via Campesina a son importance, mais quelle en est la répercussion concrète? Dans les environs de Jakarta, plusieurs expériences agroécologiques s’inscrivent dans le quotidien des paysans. On y trouve une agriculture forestière associant des plantes couvrant le sol, des plantes intermédiaires et des arbres; des techniques intégrant dans le cycle de production les déchets des cultures, le bétail et les plantations; une distribution se passant de plus en plus des intermédiaires ; une multiplication locale des semences et des échanges entre paysans. Ces principes agroécologiques sont enseignés chaque année aux futurs paysans.
Quelles actions concrètes peuvent être envisagées en Suisse? Au niveau de la distribution, il est important de développer les circuits courts. Ce n’est pas suffisant, il faut aussi lutter pour confronter cette grande distribution. Chaque exploitation paysanne devrait prendre part à la reproduction de semences pour pourvoir, collectivement avec les autres producteurs de la région, aux besoins locaux. C’est une des tâches prioritaires face à la menace pesant sur les écosystèmes paysans. Refuser certains types de semences et la dépendance reliée est un premier pas, mais le danger restera tant que le cycle de reproduction et d’adaptation des semences n’est pas repris en main.
Une nouvelle attitude, respectueuse non seulement de notre environnement mais de nous-mêmes en tant que producteurs et consommateurs, ne peut émerger au sein de cette concurrence. Elle nécessite une action concertée de nombreux acteurs, producteurs et consommateurs, engagés dans une même dynamique de transformation de nos habitudes sociales, culturelles, économiques et politiques.
Joël Mützenberg, délégué Uniterre à la sixième Conférence Internationale de La Via Campesina
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LVC a 20 ans et déménage
Le secrétariat opérationnel international de LVC, installé en Asie durant les 8 dernières années, déménagera au Zimbabwe. Elizabeth Mpofu, nouvelle coordinatrice LVC qui hébergera le siège international l’année prochaine, a laissé entendre que l’accent sera mis sur la consolidation de la campagne contre la violence envers les femmes, sur un espace plus vaste réservé aux jeunes et aussi pour la promotion d’une campagne internationale des semences locales.
Depuis sa fondation, LVC ne cesse de grandir. Elle développe un discours toujours aussi radical, refusant hiérarchie interne. Elle n’a pas peur de préciser où elle va. Tournant le dos à l’agriculture industrielle, elle fait confiance aux pratiques paysannes.
En 1993, la mondialisation des politiques agricoles et de l’industrie agroalimentaire entraient dans une phase d’accélération. L’industrialisation capitaliste des campagnes et la Révolution verte avaient déjà poussé des centaines de millions de paysans vers les villes. La voie paysanne qui, dans toutes ses variantes locales, parvenait à adapter ses pratiques culturales aux milieux naturels et à résister même dans les pires contextes politiques, a été atteinte.
Le projet de La Via Campesina (LVC), c’était ça: en s’unissant, les petits producteurs pourraient développer une vision commune et lutter pour la défendre. Les organisations paysannes voulaient participer directement aux décisions qui affectaient leur quotidien.
Aujourd’hui, LVC est un mouvement paysan international qui rassemble plus de 200 millions de paysans au sein de 183 organisations dans 88 pays. Plus que jamais elle en appelle à toutes les organisations rurales et urbaines et aux mouvements sociaux à construire une nouvelle société fondée sur la souveraineté alimentaire et la justice.
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Droits des paysans sur la bonne voie
La première session du Groupe de travail intergouvernemental du Conseil des droits de l’homme, chargé d’élaborer une Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans des zones rurales, s’est tenue à Genève du 15 au 19 juillet. Les droits paysans sont sur la bonne voie, malgré l’opposition des États-Unis et de l’Union européenne.
Ces États s’y sont opposé en avançant surtout des arguments procéduraux et en déclarant qu’ils sont contre l’adoption de nouveaux droits. Tout en faisant des commentaires généraux, ils ont refusé de participer aux négociations sur la Déclaration au risque de ne pas voir y figurer les préoccupations spécifiques de leur paysannerie.Les débats portant sur le droit à la terre, la notion de souveraineté alimentaire et la propriété intellectuelle (sur les semences entre autres) sont le fruit de plusieurs années de travail de La Vía Campesina, du CETIM et de FIAN Suisse.
Pour LVC, les paysans ne résoudront aucun de leurs problèmes s’ils ne sont rejoints dans leur lutte par de multiples autres mouvements populaires. D’autre part, aucune transformation sociale conséquente ne pourra se faire sans le mouvement paysan.