vendredi, 31 janvier 2014

2014: année de l'agriculture familiale

L'ONU a proclamé 2014 comme l'année internationale de l'agriculture familiale. Dans de nombreux pays des comités ad hoc avec une composition plus ou moins improbable se sont mis en place. En Suisse, c'est l'Union Suisse des Paysans, Swissaid, Helvetas, le Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB) et d'autres qui mènent le bal.

 

Un site internet, une page facebook, des événements régionaux, une conférence nationale sont prévus pour aborder le sujet sous toutes les coutures. Si ce thème est crucial et nous concerne, il soulève un certain nombre de questions qui nous accompagneront ces 12 prochains mois et probablement au-delà. 

Où poser la limite entre agriculture familiale et industrielle? S’il est vrai que la taille de l’exploitation ne suffit pas à poser les frontières entre les deux modèles, elle demeure une donnée importante. Une exploitation en main d’une famille, mais qui emploie un grand nombre d’employés et fait de la production hors sol à grande échelle est-elle encore familiale? Difficile d’y répondre simplement. Elle satisfait à une série de critères définissant l’agriculture familiale* comme la prise de risques, le centre de décision, la propriété des terres et du capital et le revenu issu essentiellement de cette activité. Mais cela suffit-il à classifier ces exploitations hors industrie?

Si il est essentiel de parler d’agriculture familiale, que faire des autres formes d’agriculture qui n’entrent pas dans ce moule? Que doit-on mettre en avant? L’agriculture familiale ou plutôt l’agriculture dite paysanne, portée par des familles, mais aussi par des coopératives, des collectifs d’exploitants qui, bien que n’ayant pas forcément de liens familiaux, pratiquent également une agriculture rémunératrice et écologique tournée vers les besoins des populations locales? 

L’agriculture familiale est-elle la panacée comme le laisse entendre l’USP qui la définit comme le modèle idéal dans son rapport de situation 2013? Uniterre se demande ce qu’implique le fait que l’essentiel du travail est fourni par les membres de la famille? Que l’homme s’y active à 100% et y retire l’essentiel de son revenu, que la conjointe s’occupe des enfants, ait des activités proches de l’agriculture voire un petit revenu annexe, que le fils soit présent avec un salaire d’apprenti et le papa payé par l’AVS? Est-ce durable économiquement... et socialement? Ose-t-on se poser la question ou cela est-il tabou car glorifier le modèle de l’agriculture familiale est si précieux pour l’imaginaire collectif?

Peut être que cette année devrait être utilisée à justement réfléchir à ces questions et à les aborder sans tabou. 

A se demander si la politique agricole actuelle est bien favorable à l’agriculture familiale. Si les femmes ont le statut qu’elles méritent au vu de l’investissement humain et financier qu’elles apportent aux exploitations. Si le calcul des unités de main d’oeuvre standard (UMOS) prend bien en compte l’ensemble du travail fourni par la famille. Si, au vu de l’évolution des marchés et des structures, il ne serait pas nécessaire de faire une place à d’autres formes de modèles tout aussi valables que l’entité familiale pour pratiquer une agriculture paysanne. Si le modèle familial est par définition durable du fait que le patrimoine est transmis à la génération future ou si c’est un peu plus subtile... Si les compétences de décision sont encore en main des familles paysannes ou si celles-ci n’ont pas été transférées vers les acheteurs. 

Le rapport agricole mondial, le forum rural mondial, le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation évoquent un certain nombre de défis pour faire vivre l’agriculture familiale: la nécessité de mieux se regrouper pour peser sur les marchés, l’amélioration des revenus et de la valeur ajoutée au niveau des fermes se situent en bonne place. Néanmoins au vu de la pression croissante sur les revenus, chaque famille paysanne cherche, non sans raison, des solutions individuelles et souvent gourmandes en temps pour s’en sortir. Cette compartimentation des solutions prétérite la recherche de voies communes et solidaires. Elle rend plus difficile la consolidation des organisations paysannes pour rassembler les producteurs et atteindre une masse critique nécessaire aux négociations. Cette constatation, qui ne comporte aucun jugement, nous amène à tenter d’y réfléchir collectivement pour esquisser des solutions. Si une part de ce défi doit être relevé par les paysannes et paysans, l’Etat ne doit pas oublier que les instances citées plus haut l’appellent à apporter sa contribution.

*www.familyfarming.ch