mercredi, 12 novembre 2014

Approvisionnement sans frontière

Fin octobre, le Conseil fédéral faisait le point sur la politique agricole actuelle et les perspectives futures. Lors de cette séance, il a annoncé qu'il lancerait un contre-projet direct à l'initiative de l'Union Suisse des Paysans «sécurité alimentaire». Le texte de l'USP, rédigée en «termes généraux» a permis à Schneider Ammann de s'engouffrer dans la brèche.

 

Car si l’USP souhaite encourager la production locale pour approvisionner la population sans aborder le commerce international, Schneider Ammann -en grand gourou du libre échange- envisage d’utiliser le marché mondial comme s’il se trouvait dans un grand magasin avec un méga caddie. Il ne suggère pas moins que de faire un rating afin de «trier sur le volet» les pays dignes de nous alimenter. Ainsi il renforce la tendance actuelle des échanges commerciaux internationaux: une croissance nette confirmée par le rapport agricole 2014. Les importations ont augmenté de 37% en 10 ans et les exportations de 53%. Et à qui bénéficie ce chassé-croisé de camions, de cargos, de trains ou d’avions? A vous, familles paysannes? Aux consommateurs? A l’environnement? L’augmentation des exportations est due pour près de 40% au café et pour 30% aux limonades sucrées... Si les exportations de fromages ont augmenté de 20%, les importations de ce produit ont cru de 40%. Le reste de l’augmentation des importations est dû au vin, aux produits de boulangerie et au café.

Evidemment, personne n’imagine, que ce soit l’Union Suisse des Paysans, Uniterre ou le Conseil fédéral, que la Suisse est en mesure de vivre en autarcie. Personne n’a cet objectif en tête. Mais il serait tout de même bon d’essayer d’inverser la tendance et de faire bien, mieux et plus chez nous avant de commencer par faire un casting des pays potentiellement acceptables pour nos papilles. 

Voilà pourquoi l’initiative d’Uniterre est indispensable. Pour celles et ceux qui pensaient que le tour de chauffe de l’USP serait suffisant pour réorienter la politique agricole suisse et ouvrir les yeux du Conseil fédéral, la réponse est donc tombée. A nous de nous retrousser les manches, à mobiliser collègues et amis au delà du cercle d’Uniterre pour remettre une couche avec notre initiative. Elle a le mérite d’aller au delà de celle de l’USP et de faire pencher la balance «en faveur d’une agriculture de proximité, rémunératrice, respectueuse de l’environnement et proche des attentes de la population». D’ailleurs elle répond à une part des critiques du Conseil fédéral quant à l’initiative de l’USP. Nous parlons de la préservation des ressources naturelles et donc d’une agriculture adaptée au site, de la qualité des sols, de la création de valeur ajoutée pour le secteur primaire, du soutien au secteur en aval de la production dans les régions, de la valorisation des fourrages locaux etc. Là où nous divergeons complètement c’est sur cette vision «compétitive» (évidemment que sur le plan économique) de l’agriculture. Nous sommes également convaincus, contrairement au Conseil fédéral que les frontières doivent demeurer un instrument régulateur, ici comme ailleurs et ne pas disparaître des outils à disposition des Etats pour maintenir et développer l’agriculture locale. 

Si nous ajoutons à cela les propos lénifiant de l’OFAG lors de la présentation du rapport agricole et sa fierté d’annoncer, selon ses estimations, une évolution positive du revenu du secteur agricole pour la 3ème année consécutive, la coupe est pleine. Notre office de tutelle est-il suffisamment honnête pour prévenir que, depuis le relevé de statistiques, le prix du porc crève le plancher, que celui du lait a déjà entamé sa descente vertigineuse qui ne fera que s’accentuer avec l’abandon des quotas laitiers dans une Europe en totale surproduction? Ou que le prix des céréales subit les conséquences croisées d’une paiement à la qualité et de la pression des importations exigées par les meuniers?

Notre initiative demande à l’Etat de créer les conditions cadres à la réalisation de prix équitables dans les filières. C’est la condition sine qua non d’une agriculture porteuse d’avenir pour les générations futures. Le projet agricole que nous présente l’OFAG sur un plateau est mort né! Parce que la résistance s’organise, ici comme ailleurs, comme le démontre les soutiens internationaux apportés à notre initiative.