vendredi, 26 juin 2015

ECVC onu ROPC'est par ces mots forts qu'Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation et co-Président du nouveau «panel international d'experts pour des systèmes alimentaires durables» qualifie le processus de négociation entourant les accords de libre-échange entre l'UE et les USA. Pour lui comme pour ses pairs ou la société civile, il est impossible de faire une étude d'impact «droits humains» sur ces accords puisque nous n'avons rien sous la main à étudier. Et de lancer à la salle de l'Uni de Genève: «s'ils ont si peur de la démocratie, qu'ils le disent». Cela se passait à l'occasion d'une conférence organisée par FIAN Suisse et intitulée «Cohérence des politiques publiques au service du droit à l'alimentation».

 

 

Pour introduire son propos, M. De Schutter est revenu sur les années soixante, période où la crainte de ne pouvoir nourrir le monde prévalait. A cette époque, la croissance démographique était particulièrement soutenue. Il fallait donc accroître drastiquement la production agricole. Et cela a réussi au-delà de toute espérance puisque elle a surpassé la croissance démographique. L’augmentation de la production a été accompagnée d’une baisse constante des prix agricoles. La révolution verte est passée par là avec tout son attirail technologique. C’est l’avènement d’un «système alimentaire low cost». Le crédo de l’industrie alimentaire était et demeure «augmenter la production pour réduire le coûts des aliments». Les pertes de revenus pour les paysans sont alors compensées partiellement par des subsides ce qui permet d’avoir des liquidités pour acheter des intrants tout en maintenant les salaires bas. Une prime au système.

 

Évidement ce système a ses impacts négatifs: augmentation des émissions de gaz à effet de serre, dégradation des sols et de l’agrobiodiversité, impacts sociaux sur les paysans, disparitions des fermes, faible pouvoir de négociation des paysans et une santé publique qui récolte les fruits de la consommation excessive de calories bon marché (obésité, diabète etc.). De plus, notre soif du productivisme a entraîné les pays du sud dans cette course. Ils ont investi essentiellement dans l’agriculture exportatrice plutôt que dans la production pour la consommation locale et exacerbé la concurrence entre agriculture locale et exportatrice entraînant migrations vers les villes ou vers l’Europe tout en important les produits alimentaires transformés en Europe. 

«La faim est le résultat d’un choix politique!»

C’est pour cette raison qu’Olivier De Schutter plaide pour un changement de cap de nos politiques agricoles, alimentaires voire économiques. Il faut développer une cohérence trans-sectorielle. Un des aspects est de faire des choix ici qui n’impactent pas négativement le sud. Il privilégie la mise en place de mécanismes permettant de dénoncer les impacts des politiques européennes sur les communautés et de renforcer les obligations extra territoriales des sociétés. Il souhaite que des études d’impacts sur les droits humains soient menées dans le cadre des négociations d’accords de libre échange et renforcer de manière conséquente la consultation de la société civile.

Un système alimentaire verrouillé

Olivier De Schutter estime qu’une des solutions pour pratiquer un changement dans nos politiques alimentaires est de reconstituer des systèmes agro-alimentaires locaux. Car à ce jour, le système est grippé par des verrous qui se soutiennent mutuellement.

  • Le premier verrou est socio-technique: ce sont les infrastructures et la technologie dans lesquelles nous avons fortement investi pour faire tourner le système.
  • Le second est socio-économique: c’est la croyance en l’efficacité des économies d’échelle. La politique encourage l’industrialisation et la transformation en orientant ses subsides en faveur de ce modèle. Mais les coûts sociaux et environnementaux sont largement sous-évalués par les autorités.
  • Le troisième niveau est socio-politique: il est représenté par le véto constant des grands acteurs à tout changement d’orientation. Le système est ainsi défini en fonction de la demande. 

Enfin, le dernier échelon est socio-culturel: c’est celui des consommateurs encouragés par la publicité à consommer. Ils sont formatés par l’offre et par leur perte de culture alimentaire et de savoirs culinaires. 

Vers une relocalisation

Selon lui, les systèmes agroalimentaires locaux pourraient permettre au citoyen de récupérer sa responsabilité au quotidien. Nous devrions nous sentir comme des «résistants». Le système agro-alimentaire particulièrement pervers -comme tant d’autres systèmes politiques ou économiques dans l’histoire- poursuivra sa course tant qu’individuellement, nous ne sommes pas prêts à faire le pas de résister et continuons d’agir comme complices passifs. C’est pourquoi il apprécie la foison de modes de vie alternatifs. Les initiatives locales démontrent leur persistance dans le temps et leur plus grande efficacité. Elles permettent de recréer des liens sociaux, de faire des ponts entre différents secteurs et de redonner un rôle à la démocratie locale.

Trois transitions incontournables:

Pour y parvenir, Olivier De Schutter esquisse 3 voies à emprunter:

  • Quitter le système des subsides qui appuient les monocultures à fort usage d’intrants externes sur de grandes surfaces et se diriger vers des politiques agricoles soutenant des méthodes de production diversifiées, à petite échelle, avec une faible dépendance d’intrants.
  • Tourner le dos à une économie alimentaire low-cost assurant l’accès à l’alimentation par des prix artificiellement bas et développer des politiques sociales redistributives garantissant l’accès l’alimentation aux ménages à faibles revenus.
  • Refuser les choix orientés par le commerce international et l’impératif de compétitivité sur les marchés mondiaux et donner la priorité à la satisfaction des besoins locaux et le rôle subsidiaire du commerce international.

Pour Olivier De Schutter, la souveraineté alimentaire est un contre-programme au libre échange, une véritable expérience de démocratie alimentaire qui voit émerger des «conseils de politique alimentaire» dans différents coins du monde. C’est un levier indéniable pour déverrouiller le système en «pilotage automatique» dans lequel nous sommes encore captifs. Son activité comme rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation l’a amené à effectuer de nombreuses missions sur le terrain où il a pu constater la vivacité des mouvements sociaux. 

Une société civile fertile

Les rencontres avec la société civile ont été les souvenirs les plus inspirant de ses mandats. Car pour comprendre quelles solutions il faut mettre en place dans le système international il faut écouter les personnes qui sont atteintes dans leur droit à l’alimentation. D’où son intérêt croissant pour l’agroécologie, une manière de concevoir l’agronomie en se mettant au service de la nature et à son écoute et voir dans le travail du paysan un bio mimétisme. Alors, pour conclure «à quand l’agroécologie des Droits Humains?» suggère-t-il.

 

Valentina Hemmeler Maïga