Une délégation de La Via Campesina, réunissant des représentant-e-s d'Europe, d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie était présente à Genève pour participer activement à la seconde session du groupe intergouvernemental du Conseil des Droits de l'Homme visant à rédiger une déclaration internationale sur les droits des paysans et autres personnes travaillant en milieu rural. Elle était renforcée par la présence d'alliés tels que les représentants des pêcheurs, peuples nomades et indigènes et les travailleurs agricoles.
Ce processus visant à obtenir une déclaration promouvant et protégeant les droits des paysans ne date pas d’hier. Il a démarré dans les années 2003-2004 au sein de La Via Campesina. Il a pénétré les arcanes du Conseil des Droits de l’Homme en 2008, via le Comité consultatif qui a été chargé de mener plusieurs études pour démontrer l’utilité ou non d’une telle déclaration. C’est en 2012 que l’Assemblée du Conseil des Droits de l’Homme a chargé la Bolivie de mettre sur pied un groupe de travail intergouvernemental qui avait pour tâche d’élaborer une déclaration internationale sur la base des documents existants. Depuis, le travail va bon train malgré les réticences plus ou moins marquées de certains États dont l’Europe et les USA.
2014, l’Europe en ligne de mire
Dès 2014, la Coordination européenne Via Campesina a mis ce dossier en tête du plaidoyer européen et national. S’en sont suivis des séminaires de formation, des plaidoyers auprès des capitales, la construction d’alliances au niveau national, un lobby serré auprès des délégations des États lors des sessions du Conseil des Droits de l’Homme. Avec pour résultat, en juin 2014, de briser le bloc européen et de le pousser à s’abstenir plutôt que de s’opposer à la poursuite du processus.
Une déclaration renforcée
Dans le second semestre, La Via Campesina s’est préparée à des consultations informelles menées par la Bolivie et à sa participation à la seconde session du groupe intergouvernemental. Elle a notamment renforcé son argumentaire pour défendre le maintien dans la Déclaration de droits spécifiques tels que l’accès à la terre, aux semences, à la biodiversité, à des prix et salaires équitables, ou à la souveraineté alimentaire. Elle a également réaffirmé l’identité paysanne, souhaitant conserver une définition inclusive et dynamique du terme paysan. Enfin, elle a souhaité renforcer la déclaration avec de nouveaux articles ayant trait à la sécurité sociale, la santé, l’égalité homme-femme et la liberté syndicale. Dans cette optique, elle n’a pas hésité à argumenter en présentant de nombreux exemples, au nord comme au sud, où ces droits étaient bafoués. Elle a pu s’exprimer oralement lors de la consultation informelle et a fourni un rapport écrit à la Bolivie chargée de rédiger le nouveau texte.
Les Etats débattent
Début février 2015, la seconde session du groupe intergouvernementale s’est tenue à Genève au Conseil des Droits de l’Homme. Le nouveau projet de Déclaration a été transmis par la Bolivie à la fin janvier. Deux jours de travail intenses ont été nécessaires à la délégation de La Via Campesina et à ses alliés pour discuter, analyser et faire des propositions d’améliorations sur les 28 articles en anglais qui composaient le nouveau texte. Exercice complexe pour une délégation réunissant des délégués de 3 langues différentes et provenant de plus de 11 pays différents (Suisse, France, Allemagne, Espagne, Indonésie, Pakistan, Mongolie, Afrique du Sud, Sénégal, Argentine et Nicaragua). Cela a été possible grâce à la volonté de toutes et tous d’y parvenir et avec l’appui précieux d’interprètes bénévoles de La Via Campesina. Exercice que l’Union européenne, elle, ne semble pas avoir réussi ou voulu accomplir. Ainsi, lors de l’ouverture de la session, plusieurs États ont regretté l’arrivée tardive du nouveau texte rendant l’exercice difficile puisque les Délégations basées à Genève n’avaient pas reçu de directives de leurs capitales. Néanmoins, tout en y mettant les formes du type «se sont nos commentaires préliminaires», plusieurs États se sont pliés avec fair-play à l’exercice: les pays latino-américains, les pays asiatiques, les États-Unis, la Suisse, l’Afrique du nord et l’Afrique australe. Une fois de plus, l’Union européenne a plus que traîné les pieds et profité de ces délais serrés pour se défiler.
Une société civile engagée
Il n’en reste pas moins que la société civile n’a pas hésité à prendre la parole. Article par article, elle a argumenté sur les raisons de maintenir ou renforcer le texte. Elle a par exemple soulevé le fait que certains passages de la Déclaration avaient été affaiblis par la volonté d’utiliser un langage «agréé» au sein des Nations Unies. C’était clairement le cas pour l’accès à la terre, la liberté syndicale ou le droit à un revenu digne. Elle a fait des propositions très concrètes. Elle a pu donner des exemples permettant d’imager ses propos. L’Europe qui a toujours beau dos de dire qu’elle soutient des projets de coopération internationale pour soutenir les droits des paysans au sud s’est faite rappeler à l’ordre par des situations frappantes venant de France ou d’Allemagne: par exemple le fait qu’en France, de nombreuses familles paysannes font appel à l’aide alimentaire ou se nourrissent dans les Restaurants du Coeur en raison d’un système économique alimentaire qui les a dépossédés de leur droit de produire leur propre alimentation. Ou qu’en Allemagne, des paysans soient criminalisés dans leur luttes pour conserver leurs semences paysannes. Ainsi, si des exemples marquant nous sont parvenus d’Afrique, d’Amérique centrale, ou d’Asie, notre Vieux Continent ne pouvait se dédouaner de ses responsabilités.
Des alliés solides
La Via Campesina a vu le front souhaitant une Déclaration se renforcer par la participation active de représentant-e-s des pêcheurs, des nomades, des peuples indigènes ou des travailleurs agricoles. Chacun d’entre eux a pu amener sa pierre à l’édifice en explicitant sa spécificité: par exemple droit à la mobilité pour les peuples nomades, le droit à la reconnaissance des savoirs traditionnels ou encore l’accès à l’eau, la fin de l’accaparement des mers, la sécurité sociale ou le droit à l’organisation syndicale dans les plantations. Assurément, nous sommes sur la bonne voie. Mais le processus est lent et le diable se cache dans les détails. Même les pays favorables à une Déclaration chercheront à affaiblir les passages qui peuvent les déranger dans leurs réalités nationales. Ainsi, nous devons nous battre pour l’existence d’une telle déclaration, mais aussi et surtout pour un contenu solide qui protège nos droits!