mardi, 31 mars 2015

Lorsque nous sommes affublés de cornes...

La nouvelle campagne publicitaire pour les paysans suisses figurant des têtes d'animaux placées sur des personnes portant la chemise Edelweiss est l'exemple typique de ce qui peut naître dans la tête d'une agence publicitaire. Comment doit-on le comprendre? Que l'Homme est aussi un animal ou l'inverse? Quel est le message à communiquer? Comme les montages photos ne parlent pas d'eux-mêmes, il faut y ajouter une légende. Mais que dit-elle? Rien de nouveau.

 

Nous sommes quotidiennement abreuvés de publicités illustrant la nature romantique, au point d’en être écoeurés. On cherche à jouer sur la corde sensible de chacun d’entre nous. Nous avons du plaisir à regarder des vaches à cornes sur les alpages, des papillons sur les fleurs multicolores, des poules heureuses qui peuvent farfouiller dans le fumier et des hommes forts luttant dans la sciure. Nous aspirons tous à un petit coin de monde parfait, au moins pour nous en Suisse. Cette imagerie d’un monde idyllique est largement exploitée par des sociétés. Parmi les spécialistes nous pouvons citer Coop, Migros, Bio Suisse, l’USP, Tourisme Suisse; tous accompagnés de leurs agences de communication.

Il en est de même pour la fête de lutte ou les Désalpes qui exploitent commercialement  nos sentiments et besoins d’intégrité, de force et d’équité. Au préalable nous sommes inondés de messages correspondant comme („méchant garçon, gentil géant“, „Swissness pur“), afin d’éveiller nos souhaits de beaux paysages, de culture et de traditions. Chaque lutteur donne le meilleur de lui-même, il n’y a aucune raison d’en douter. Mais: nombre de citadin-ne-s ne souhaitent pas vivre dans les alpages ou en montagne, ils ne veulent pas épouser des paysannes ou des paysans de montagne, ils veulent vivre proches d’un shop et en aucun cas ils ne veulent sentir le fumier après une dure journée de labeur. Mais ils s’attendent à trouver une nature propre et intacte lorsqu’ils s’en vont en vacances ou souhaitent se reposer un week-end. Ils veulent profiter du paysage et de la vue magnifique, de l’air frais et relaxant au spa. Ces besoins sont légitimes.

Nous paysannes et paysans répondons à ces besoins: 1er août à la ferme, fête des Alpages, combat de reines, petit-déjeuner paysan, salon des Goûts et Terroirs, Comptoir, etc sont autant d’occasions de présenter nos produits et nous devons en prendre soin. Mais cela mérite néanmoins de nous poser la question de savoir jusqu’à quel point nous véhiculons une propagande romantique qui éveille de fausses représentations de notre monde. Quelles images et espoirs secrets servons-nous lorsque nous participons à cette romantique à la Heidi, fortement influencée par d’autres, par des professionnels de la publicité qui jouent dans une toute autre ligue que la notre et qui récupère la majeur part du bénéfice? Que se passerait-il si, en marge d’une fête de lutte dans le Berner Oberland ou d’un combat des reines en Valais, nous présentions aussi nos revendications? Peut-être pourraient-ils très bien le comprendre. Un message simple: „Un prix du lait équitable se situe à 1.- pour le paysan!“. 

Que pouvons-nous tirer de la Suisse? Nous n’avons quasi pas de matières premières; ainsi la nature comme les Hommes qui y vivent sont exploités. Nous entretenons une nature qui mérite d’être protégée, mais notre économie laitière est au tapis car nous ne pouvons concurrencer le prix mondial. Les organisations qui promeuvent une agriculture écologique sans s’engager pour des conditions et des contrats de travail justes et par la même pour des prix équitables ont la langue fourchue et trahissent les attentes de l’agriculture. Les organisations qui ne se battent pas avec véhémence contre les accords agricoles de libre-échange ne nous représentent pas. Elles doivent se demander pour qui elles sont les porteuses d’eau. Et nous, nous devons nous déterminer à qui nous octroyons notre confiance. Nous devons également avoir un regard critique sur les sponsors d’événements à consonance paysanne, car ils n’apportent jamais leur soutien gratuitement, ils font partie des plus gros profiteurs du système. Par dessus tout: nous devons en aucun cas nous faire confisquer nos fêtes car nous festoyons avec plaisir, sans retenue et avec joie.