Depuis des décennie, l'agro-industrie cherche à détourner les messages de la société civile afin d'en tirer profit. Quelque fois -avec l'appui d'ONG qui collaborent avec le secteur agroalimentaire- elles arrivent à influencer les politiques publiques. L'alliance pour le soja du Danube est une des récentes tentatives de l'industrie pour se positionner à l'aide du concept «libre d'OGM».
Créée en 2012 en Autriche (voir également journal Uniterre de février 2014 «Soja: du Parana au Danube»), cette alliance déclarait vouloir diminuer la dépendance du secteur carné et laitier européen des importations de soja provenant d’outre-mer et de réduire leur empreinte écologique. Malgré ces beaux slogans, cette proposition encourage la monoculture de soja, ouvrant les portes aux OGM, à l’accaparement des terres et à un investissement de fonds publics à destination de riches industries.
Les membres de l’alliance comprennent des grands distributeurs et des transformateurs de la chaîne agroalimentaire, des sociétés semencières, des instituts de recherche et plusieurs ONG européennes.
Un ancien directeur de Monsanto représente l’Alliance
La controverse provient notamment du fait que la branche roumaine du soja du Danube est dirigées par Dragos Dima, un ancien directeur de Monsanto. «Signer la déclaration du soja du Danube n’exclut pas d’utiliser des semences de cette compagnie (Monsanto) si son offre est compétitive» déclarait Dima dans une conférence de presse en 2013. Il a également été directeur de société telles que Limagrain, Agrana ou Harding. Si l’objectif de cette alliance est de créer plus de business pour les sociétés telles que Monsanto, au nom de l’indépendance protéique de l’Europe, alors l’argument du «sans OGM» ne tient pas la route.
La Roumanie, cible de la monoculture de soja en Europe?
Comme son nom l’indique la zone où sera produit le soja est la région du Danube. Sur la base du site officiel de l’alliance, la région du Danube comprend 12 pays (Bosnie Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Moldavie, Autriche, Roumanie, Suisse, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie, Hongrie) et une part de 4 autres pays (Allemagne, Italie, Pologne et Ukraine).
Son objectif est d’implanter des monocultures de soja dans certains pays européens, principalement la Roumanie dans le but de fournir l’industrie alimentaire et fourragère. Il semble clair que la Roumanie est le pays le plus approprié de la région pour la culture de soja; il a notamment une surface arable de plus de 10 millions d’hectares. Les trois autres pays qui pourraient jouer un rôle significatif ne sont que partiellement inclus dans le projet (Allemagne, Pologne, Italie).
La culture du soja a une longue histoire en Roumanie
Le soja OGM est un volet important de l’histoire et demeure cultivé illégalement. Avant 1989, pendant la dictature communiste, la Roumanie avait l’habitude de cultiver env. 500’000 ha de soja par an se plaçant ainsi en tête des pays producteurs européens. De plus, la Roumanie a été le premier et l’unique producteur de soja OGM dans la zone européenne. En 1998, ce pays a introduit le soja Roundup résistant de Monsanto. En 2006, la Roumanie a enregistré la production d’OGM la plus élevée en Europe avec 137’275 ha de soja OGM.
L’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007 était une mauvaise nouvelle pour l’industrie des OGM. Le processus de décision européen ne permettait pas aux pays d’autoriser une culture transgénique au niveau national. De plus, pour des raisons politiques et économiques, l’UE considérait que c’était meilleur marché d’importer du soja d’Amérique latine plutôt que de le cultiver en Europe. Cela a obligé la Roumanie à imposer un moratoire sur la culture du soja. Malheureusement, ces mesures d’interdictions ont été appliquées que superficiellement. De nombreuses ONG ont identifié ces huit dernières années du soja OGM illégal dans différentes régions (nord et sud de la Roumanie).
Les liens entre le gouvernement roumain et Monsanto sont bien documentés. Deux anciens ministres de l’agriculture roumains ont travaillé pour Monsanto dans le passé, Valeriu Tabara (ministre de l’agriculture entre 1994 et 1996 et entre 2010-2012) a travaillé dans des projets de recherche financés par Monsanto; Stelian Fuia (ministre de l’agriculture en 2012) était un directeur marketing pour Monsanto Europe pendant la même période où Dragos Dima (représentant de l’alliance pour le soja du Danube) travaillait également pour Monsanto.
Le moratoire de la culture de soja transgénique en 2007 a modifié la stratégie de Monsanto. Le nouveau discours relayé par des faiseurs d’opinion revendique le fait que la Roumanie peut bénéficier d’une croissance de la production de soja et que l’exportation de ce soja vers d’autres pays européens pourrait être une vraie opportunité pour le pays.
«La Roumanie importe chaque année 500’000 tonnes de soja du Brésil, des USA et d’autres pays, du soja biotech. La Roumanie pourrait produire 2 millions de tonnes de soja et pourrait être l’unique pays européen à être en mesure de le produire de manière industrielle; les produits biotech sont 40-60% moins chers que d’autres» affirmait Valeriu Tabara en avril 2011.
Le soja du Danube, un compromis temporaire avant les OGM
En 2013, le nouveau ministre de l’agriculture, Daniel Constantin a signé la déclaration du Danube en ajoutant, dans une communiqué de presse officiel que la Roumanie ne se sentait pas tenue de produire exclusivement du soja sans OGM : «Signer la déclaration du soja du Danube ne lie en aucune manière la Roumanie quant à des décisions futures concernant la production de soja».
Nous pouvons compléter par la déclaration de Achim Irimescu, secrétaire d’Etat au Ministère roumain de l’agriculture en novembre 2013: «Aussi longtemps qu’au niveau européen aucune décision n’est prise quant à un nouveau soja OGM nous empruntons le chemin promu par le soja du Danube. Nous discutons aussi de la possibilité de bénéficier du cadre de la PAC afin de stimuler financièrement la production de soja sans OGM».
Les standards de l’alliance pour le soja du Danube pour un soja sans OGM ne peuvent garantir une politique sans OGM de la Roumanie, particulièrement car leur principal argument «réduire la dépendance au soja d’outre-mer (principalement Amérique latine) des secteurs carné et laitier européens» fait écho à l’agenda de Monsanto.
Le soja ne fait pas partie de l’agriculture paysanne
La Roumanie conserve la zone rurale la plus vivante de l’UE. Avec 46% de la population vivant en zone rurale et 4.7 millions de paysans actifs, l’agriculture paysanne est encore bien en vie, nourrissant une bonne part de la population. Le soja n’a jamais fait partie des plantes cultivées par les paysans ni utilisé comme fourrage dans ces fermes. Ainsi, la proposition de l’alliance pour un soja du Danube ne répond aucunement aux besoins des paysans roumains qui représentent à eux seuls, près de 50% des paysans de l’UE!
A travers la Roumanie, nous assistons à de nombreux accaparement de terres. Le modèle que propose l’alliance pour le soja du Danube va encourager de grands investisseurs à accaparer et transformer l’usage de la terre de millions de paysans avec des conséquences profondes. Ce processus va affaiblir l’économie rurale et empêcher le développement d’un secteur rural dynamique. Comme l’alliance l’a déjà annoncé, elle prévoit d’utiliser des fonds de la PAC pour promouvoir ce projet de soja industriel. Les petits paysans n’ont pas besoin d’un nouveau schéma industriel qui va les rendre dépendant du marché et des politiques publiques.
Eco Ruralis (membre ECVC)
Eco Ruralis est une association roumaine de petits paysans. Sa mission est de soutenir l’agroécologie et l’agriculture paysanne comme méthode dominante. Elle souhaite soutenir la capacité des paysans à se défendre collectivement contre des actions inéquitables prises par des sociétés ou gouvernements. Elle encourage activement les mouvements des jeunes à préserver les pratiques traditionnelles d’agriculture et à conserver leur contrôle sur la production alimentaire et la terre. Elle soutient une société durable sur le plan environnemental, équitable économiquement et socialement juste où les paysans demeurent au centre du système alimentaire.
www.ecoruralis.ro