lundi, 21 décembre 2015

bresil petitLe Brésil a une place dominante dans l'agrobusiness mondial. C'est le plus grand exportateur de plusieurs produits agricoles. Cette place, il la doit à son secteur agricole moderne et hautement productif. Mais le Brésil, c'est aussi le pays, où 84 % des fermes familiales nourrissent 70 % de la population avec seulement 24 % des terres fertiles et un minimum de soutien technologique. Jovelina Alves Azevedo Machado est une paysanne du village Grota do Porto dans la commune de Veredinha dans la vallée de Jequitinhonha. Elle nous offre un aperçu d'une autre réalité - peu connue - de l'agriculture  brésilienne.

 

 

Jovelina, tu veux bien nous présenter ta ferme ? Quelles sont vos activités agricoles principales ? Combien de terrain avez-vous ?

Avec mon mari Lídio et notre fille Ynná, nous avons environ 1,5 hectare. 90 % sont des cultures, surtout du manioc, mais aussi du maïs et des cacahouètes. Avec le manioc, nous faisons de la farine. Environ 10 % sont des légumes. Des carottes pour la vente, le reste, c’est pour nous. Nous avons évidemment aussi quelques arbres fruitiers : manguiers, orangers, bananiers, corossols et mombins rouges (prunier d’Espagne).  La surface totale de la ferme est d’environ 6 hectares, le reste étant de la forêt. Pour nous, il est très important de protéger cette forêt, car notre source d’eau s’y trouve.

Comment travaillez-vous ? Avec quels outils, quelles machines ?

Presque tous les travaux sont manuels. Nos outils principaux, c’est d’abord la houe, puis la faucille. La seule machine qu’on utilise, c’est la râpe pour la fabrication de la farine. Mais l’épluchage, le pressage et la torréfaction sur le feu sont faits à la main.

Est-ce que cela correspond à la réalité d’une majorité des familles paysannes dans ta région ?

Oui, chez nous, c’est l’agriculture familiale qui prédomine et elle est largement non mécanisée. Par contre, sur nos hauts plateaux étendus, qu’on utilisait autrefois comme pâturages, il y a maintenant les grandes plantations d’eucalyptus. Les entreprises qui travaillent là-bas utilisent des machines modernes.

Comment fonctionne la commercialisation dans votre région, quels canaux utilisez-vous pour la vente ?

Le principal canal de vente, ce sont les marchés paysans traditionnels. Ils ont lieu tous les samedis dans le chef-lieu d’une municipalité. Les familles paysannes y vendent leurs produits directement aux consommateurs. Ceux qui ont déjà une structure de production un peu plus grande et planifiée, ils livrent aux supermarchés locaux. Un autre canal de vente est la livraison chez des amis en ville. Mais la plupart des produits sont vendus à l’intérieur de la municipalité. Il n’y a que très peu de familles qui produisent assez pour vendre dans d’autres municipalités, voire au-delà.

Quelles sont les difficultés principales des paysannes et des paysans de votre région lors de la production et la commercialisation ?

Au cours des dernières décennies, notre région a vécu des changements profonds, en commençant par le climat. Il y a moins de pluie, la sécheresse prend de l’ampleur, le manque d’eau s’aggrave. De plus, nos sols sont surexploités. Nous ne pouvons plus utiliser les formes traditionnelles de production. Nous devons nous adapter, faire évoluer notre façon de cultiver. Pendant longtemps, nous n’avions pas le savoir-faire nécessaire. Nous étions dépendants des semences du commerce, des engrais chimiques et des phytosanitaires.

Beaucoup d’entre nous n’ont pas été à l’école. Nous avons donc surtout besoin de formation, de vulgarisation. Mais l’institution étatique responsable ne rejoint pas les familles paysannes. Les lignes de crédit, introduites au cours des dernières années pour l’agriculture paysanne, nous permettent d’investir, mais sans soutien ciblé de la production, les familles n’arrivent pas à rembourser ces crédits.

Le faible degré de mécanisation est aussi un défi, bien entendu. Le travail du sol en est un exemple. En juillet et en août, nous pouvons emprunter un tracteur à l’administration municipale pour faire le hersage. Mais pour nous, ce n’est pas la bonne saison. Alors, nous préparons le sol avec la houe. Comme beaucoup d’autres familles, nous voudrions bien investir davantage dans la production de légumes, mais c’est très exigeant en  travail. Les familles qui ne veulent pas seulement vendre leurs produits au marché, mais aussi aux supermarchés, par exemple, doivent avoir une production régulière. Pour la plupart d’entre nous, c’est très difficile. En outre, la planification globale de la production doit s’améliorer, parce qu’il y a des excédents pour certains produits. Dans ce cas, on ne trouve plus d’acheteurs à proximité.

Ce qui a également beaucoup changé, c’est le commerce. Autrefois, nous avons troqué les produits. Aujourd’hui, en ville, on peut acheter des produits agricoles provenant de l’autre côté du Brésil. Pour accéder à ce marché, nous manquons de connaissance et d’organisation. Je crois que le problème principal des familles qui ont accès à l’eau, ce n’est pas la production, mais la vente, en commençant par le transport des produits en ville. Par exemple, les municipalités envoient des bus dans les villages le samedi pour nous permettre de transporter les produits au marché. Mais nous, comme nous vendons aussi des produits au supermarché, il faut les livrer le mardi ou le mercredi. C’est très limitant, car nous n’avons pas de voiture et mon mari doit tout livrer avec la moto. De plus, l’état des routes est lamentable. En fait, nous pourrions produire plus de ce que nous pouvons transporter.

Mais dans notre région, c’est quand même le manque d’eau qui pousse le plus grand nombre de paysans à l’abandon. Ils partent en ville ou pour aller travailler en tant que saisonniers dans le sud du pays.

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Comment gérez-vous ces difficultés ? Est-ce que vous obtenez des soutiens de quelque part ?

Notre principale stratégie, c’est de regrouper nos forces. Il y a 20 ans, le syndicat paysan de notre région a fondé le Centre pour l’agriculture alternative (CAV). Ce qui a commencé avec le soutien de quelques villages ou familles s’est développé pour devenir une grande organisation qui oeuvre dans cinq municipalités. Dans notre région, le CAV est la seule institution qui soutient vraiment les petites structures agricoles.

Lorsqu’une famille n’a pas assez d’eau pour la production, le CAV construit des bassins de rétention des eaux de pluie, protège les sources d’eau et fournit des conseils techniques aux familles. Le CAV applique les principes de l’agroécologie. Ainsi, nous remplaçons les engrais chimiques par du fumier de volaille. La production de notre région s’est diversifiée. En ce moment, nous faisons des efforts pour conserver nos semences traditionnelles et pour certifier la production biologique.

 Le CAV a encouragé la formation d’associations dans chaque municipalité. C’est ce que nous avons fait pour discuter de nos problèmes spécifiques. Maintenant, nous sommes organisés, structurés. En tant qu’association, le dialogue avec l’administration est plus facile, aujourd’hui, nous pouvons leur communiquer nos besoins et nos exigences. L’association a notamment permis de faire des progrès pour la commercialisation. Chaque année, le CAV mène des études de marché dans toutes les municipalités. Cela nous permet de comprendre lesquels de nos produits sont vendus à l’extérieur. Nous avons instauré une planification minimale de la production et depuis quelques années, plusieurs familles livrent aux supermarchés. Ma famille s’est spécialisée dans la farine de manioc et les carottes. Les prix sont plus bas, mais la reprise est garantie.

Depuis le début de l’année, notre association a reçu le soutien du CAV pour réaliser un projet d’horticulture biologique dans notre village. Nous avons reçu du matériel pour construire une petite serre, ce qui nous permet de produire durant la saison des pluies. Dans le cadre de ce projet, nous avons également pu acheter deux motoculteurs. Ils allègent le travail pour la préparation des buttes et par conséquent, nous pouvons intensifier la production de légumes. Maintenant, ma famille prévoit de produire des oignons en plus des carottes.

À ton avis, quel est le statut de la paysanne dans le milieu agricole et dans la société en général ?

Notre statut s’est beaucoup amélioré. Bien sûr, nous sommes encore loin d’atteindre une situation idéale, mais du mois, je suis respectée en tant que femme et paysanne. Autrefois, ce n’était pas le cas. Si je compare ma vie à celle de ma mère, c’est deux mondes différents. Ma mère n’avait pas le droit d’aller au marché, ni en tant que productrice, ni en tant que consommatrice. Le marché, c’était une affaire d’hommes. Aujourd’hui, nous sommes égaux. Il y a autant de paysannes que de paysans qui vendent leurs produits. Au niveau physique, les femmes sont évidemment plus limitées et nous manquons de possibilités pour alléger le travail, par exemple lorsqu’on charge ou décharge la fourgonnette. En quelque sorte, ça nous rend dépendantes des hommes.

Que faut-il faire pour offrir à l’agriculture paysanne une perspective à plus long terme ? Par où faut-il commencer à ton avis ?

Grâce aux travaux du CAV, le développement de l’agriculture paysanne a fait un bond. Les perspectives de notre région sont très positives. Mais il est clair que le CAV n’arrivera jamais à atteindre toutes les familles paysannes. Il faut d’autres institutions, d’autres initiatives. Un autre point important, c’est que les familles paysannes doivent siéger elles-mêmes dans ces organismes. Le travail de l’association va dans la bonne direction, bien qu’on avance encore de façon un peu hésitante. Si je compare la situation des jeunes avec celle d’il y a dix ans, les chances et les attraits pour un avenir dans l’agriculture sont bien plus importants. Aujourd’hui, nous avons des routes, donc, les enfants des villages qui n’ont pas d’école peuvent emprunter le bus scolaire, aller à l’école en ville et rentrer le soir. Avant, quand nous avions 8 ans, nous devions déménager chez des parents en ville pour pouvoir aller à l’école. Le lien avec la campagne s’est brisé très tôt. Maintenant, il y a une école agricole dans notre municipalité qui permet d’obtenir une formation professionnelle reconnue. Avant, il fallait se rendre dans une ville distante d’environ 300 km. Par ailleurs, notre niveau de vie a augmenté, il n’y a presque plus de différence entre la ville et la campagne. Petit à petit, l’agriculture cesse d’être un destin malheureux et devient une profession intéressante.

 

Le Centre pour l’agriculture alternative CAV a été fondé en 1994 par le syndicat paysan local. Le CAV est une organisation non gouvernementale et son siège est à Turmalina dans la vallée de Jequitinhonha. Cette vallée fait partie de la savane brésilienne qui est marquée par une longue période de sécheresse de 5 à 9 mois. Le CAV vise à développer des pratiques alternatives et durables pour cultiver les terres et utiliser l’eau ainsi qu’à encourager la coopération et l’autonomie des paysannes et paysans avec de petites exploitations. Depuis plus de 10 ans, le CAV est un partenaire local de l’organisation  suisse E-Changer/Comundo, active dans la coopération au développement personnelle. Depuis deux ans, la Bernoise Judith Reusser travaille sur place et soutient le CAV dans le développement d’un programme de monitoring

contact judith-cav(at)outlook.com