mardi, 31 mars 2015

logostopspecfrCoup sur coup, notre Gouvernement affiche la couleur. Après avoir présenté son contre projet ultralibéral à l'initiative sur la sécurité alimentaire, le voilà qui se refuse à réguler la spéculation sur un bien essentiel à la vie: l'alimentation! En effet, le Conseil fédéral rejette l'initiative des Jeunes socialistes dans laquelle Uniterre s'est engagée et il se permet même de ne pas proposer d'alternative.

 

La situation est grave car elle illustre la fuite en avant du Conseil fédéral dans la défense d’une économie débridée qui se fait sur le dos des plus faibles; que ce soit en Suisse ou à l’étranger. Il est prêt à tout pour défendre le secteur bancaire et les spéculateurs malgré les scandales à répétition qui ne cessent de ternir l’image de la Suisse. Et si ce n’était que la seule conséquence... rappelons que chaque année, 840 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde. Et la spéculation fait partie du problème, quoi qu’en pense le Conseil fédéral. Si ce n’est pas le seul facteur qui a contribué à la hausse et à la volatilité des prix ces dernières années, il est évident qu’il y contribue largement. Des organisations telles que la FAO, la CNUCED ou même la Banque mondiale ont confirmé que la spéculation jouait un rôle négatif non négligeable concernant l’accès à la nourriture et la sécurisation des activités paysannes. Par exemple, la Cnuced a montré  que - du fait du poids de la spéculation - les prix des matières premières connaissent depuis des années les mêmes évolutions que les marchés financiers. Autrement dit, les prix n’ont plus de rapport avec l’offre et la demande. Les seuls bénéficiaires en sont les intermédiaires du négoce virtuel des matières premières agricoles, les hommes et les femmes assis dans leurs fauteuils rembourrés devant leur écran...

Au vu des conséquences dramatiques -nous avions atteint plus de 1 milliard de victimes de la faim dans le monde à la fin de la crise alimentaire 2007-2008- M. Olivier de Schutter, ancien rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, avait fixé en 2011 au G20 la fin de la spéculation alimentaire comme priorité n°1 pour garantir la sécurité alimentaire: «L’impact de la spéculation financière sur la flambée des prix alimentaires est désormais largement reconnu, et ce phénomène doit être contrôlé au plus vite. Les Etats-Unis ont légiféré sur les produits dérivés il y a près d’un an. Le G20, sous présidence française, pourrait encourager les autres puissances économiques à leur emboîter le pas».

Priorités aux marchés ou à l’alimentation?

Le Conseil fédéral se dévoile lorsqu’il affirme: «la spéculation sur les marchés remplit différentes fonctions utiles et nécessaires, il est par contre à craindre que les marchés agricoles fonctionneraient moins bien si ces restrictions venaient à être appliquées». Nous ne pouvons nous empêcher de poser la question: Le Conseil fédéral roule-t-il pour les marchés ou pour les Humains? Ce qui est sûr, c’est que dans le monde paysan, personne ne profite de la spéculation. Elle crée une instabilité des prix qui rend le travail de planification extrêmement difficile. Le métier de paysan doit conjuguer avec les aléas climatiques, il n’a pas besoin de se rajouter une incertitude supplémentaire provenant d’activités spéculatives. La spéculation actuelle n’a plus rien à voir avec celle d’il y a quelques décennies qui restait complètement marginale dans le secteur des denrées alimentaires; et n’était pas un véritable problème. Les spéculateurs qui ont fui les marchés financiers classiques comme l’immobilier se sont installés dans nos champs et nos assiettes. Si la spéculation remonte à la nuit des temps, un des tournants qui explique son actuelle importance est la libéralisation des marchés au milieu des années 1980. Cette dérégulation se termine en 2000, aux Etats-Unis, avec la loi de modernisation des contrats à terme sur les matières premières (qui ont pourtant longtemps fait partie du paysage des marchés agricoles). C’est à ce moment que se multiplient des produits dérivés de gré à gré qui sont alors exemptés de toute supervision et limitation. C’est la voie libre à de nouveaux investisseurs: banques, fonds de placement, caisses de retraites, hedge funds, fonds indiciels, investisseurs institutionnels... Pour ces nouveaux acteurs, le blé, le soja ou le maïs sont de simples actifs financiers comme l’ont été ceux de l’internet ou de l’immobilier et ils ne se préoccupent aucunement des biens physiques, qui ne passeront de toute façon jamais entre leurs mains. Auparavant, les producteurs et les transformateurs contrôlaient 80% des transactions sur les marchés à terme de marchandises. Aujourd’hui, c’est l’inverse: 80% du marché sont dominés par les spéculateurs financiers.

Pour nous, si les «marchés agricoles» fonctionnaient moins bien grâce aux régulations consécutives à cette initiative, ce serait positif. Ce que nous recherchons, c’est un marché local, régional qui soit rémunérateur pour les paysans et qui garantissent une traçabilité aux consommateurs. De fait, un «marché» qui soit le reflet des réalités quotidiennes des citoyen-ne-s. Assurément, nous n’avons pas la même vision des marchés que le Conseil fédéral. Aujourd’hui l’agroalimentaire est contrôlé par une petite centaine d’entreprises, un véritable hold-up démocratique qui ne peut avoir que le vent en poupe grâce à de telles décisions du Conseil fédéral. Se dédouaner tel qu’il tente de le faire en se vantant de son action humanitaire dans les enceintes internationales ou dans les pays en développement illustre la schizophrénie de nos autorités.

Cynisme de nos autorités

Vouloir se cacher derrière la perte d’emplois pour la Suisse en cas d’acceptation de l’initiative est déplacé. En effet, nombre d’observateurs confirment que cette activité n’apporte pas réellement de plus value dans l’économie réelle. Certes, il y aurait des pertes de rentrées fiscales. Mais devons-nous pour autant contribuer à la faim dans le monde en raison du fait que certains cantons n’ont pas trouvé mieux que se «spécialiser» dans ce genre de «services» douteux? Vouloir surprotéger ce type de métier frise l’immoralité. Dans l’économie, il faut des règles pour que celle-ci soit au bénéfice du plus grand nombre. En refusant de réglementer, le Conseil fédéral autorise des comportements de cow-boy qui ont des conséquences désastreuses dans d’autres régions du monde. A vouloir couvrir ce type d’activités aussi longtemps que possible, notre Gouvernement finit par se brûler les doigts. Il suffit d’observer son silence coupable lorsque notre économie fait ses choux gras avec le régime d’apartheid dans les années 70-90, les achats et les ventes d’armes plus que discutables (par exemple des drones israéliens testés sur Gaza), le secret bancaire, «l’optimisation» fiscale et autres. A chaque fois, nous pouvons nous attendre au retour de balancier. Alors, pourquoi diable ne pas anticiper? Ou disons plutôt suivre la tendance puisque de nombreux pays cherchent justement à réguler ce business de la faim... Ainsi, il ne faudrait pas un si grand courage au Conseil fédéral... juste la volonté politique de suivre celles et ceux qui ont emprunté la voix de la justice. Est-ce trop demander?

Valentina Hemmeler Maïga

 

Site campagne: 

 http://www.spekulationsstopp.ch