Il y a un an, Uniterre vous présentait un projet agricole dans la région de Hébron au sud de la Cisjordanie, en territoire palestinien occupé. Il s'agit pour les paysans de la région de retrouver une certaine autonomie dans la mise en valeur de leurs raisins. Raed Abu Youssef, Khalil Abu Rayan et Nemin Shatrit, tous trois membres de la coopérative viticole Al Sanabel, étaient de passage en Suisse.
C’est au domaine viticole de «La Vigne Blanche» de Sarah Meylan à Cologny (Genève) qu’une dizaine de vigneron-ne-s genevois et leurs collègues palestiniens ont échangé avec passion sur les méthodes de pressage ou de filtrage du raisin comme de la situation en Palestine et de la perception que nous en avons ici. La rencontre s’est achevée par un échange de jus de raisin genevois et palestinien et par la promesse d’essayer de trouver quelques appuis pour ce projet prometteur.
Cultiver sous occupation
Raed, qui parle parfaitement le français suite à des études d’agro-mécanicien à Montpelier en France, rappelle ce que signifie être paysan sous une occupation civile et militaire. La région autour d’Hébron est fortement asphyxiée par les nombreuses colonies illégales israéliennes, par les barrages routiers, les routes réservées aux colons, la présence militaire massive et les couvre-feux. Un des problèmes centraux des paysans est l’application par Israël d’une ancienne loi ottomane: celle-ci consiste à confisquer la terre qui n’est pas cultivée pendant 3 ans d’affilés. Ainsi, que ce soit par les colons ou l’armée, tout est mis en place pour empêcher les paysans de travailler leurs terres dans des zones stratégiques. Dès que les trois ans sont passés, ils confisquent la terre et l’attribue aux colons. C’est pourquoi la coopérative Al Sanabel se bat pour que les paysans de la région puissent coûte que coûte accéder à leur terre et la travailler puis obtenir, par le truchement de la coopérative, un meilleur prix que celui du marché. Chaque année, depuis le début des années 2000 et la seconde Intifada, des observateurs internationaux sont présents dans les zones de récoltes, notamment les oliveraies, pour permettre de conserver une activité agricole. Depuis 15 ans, plus de 1’500 internationaux se sont relayés dans la région.
Un marché en constante évolution
Pendant de nombreuses années, les Palestiniens avaient pour habitude de vendre près de 60% de leur récolte en Israël ou dans les colonies voisines où des «usines» produisaient du vin industriel. Mais depuis 1994, à la suite des accords d’Oslo tout est devenu plus compliqué car le «protocole économique de Paris» réglant les échanges économiques entre Israël et les territoires occupés a été signé. Dans une relation occupé-occupant, c’est bien Israël qui décide de ce qu’elle veut bien faire entrer comme produits agricoles palestiniens sur son territoire tout en inondant sans limite les territoires occupés de produits agricoles israéliens en tout genre. Israël exporte ainsi du raisin à 50 cents le kilo en Palestine alors qu’il est vendu en Israël à 2 euros le kilo faisant ainsi une rude concurrence à la production locale puisque les coûts de production se situent aux alentours de 70 cents. Selon Raed, les exportations dans cette région ont augmenté car l’Europe est moins intéressée par le raisin israélien trop chargé en pesticides. Il finit ainsi sur le marché palestinien.
Exode et réduction de la production
Dans les années 1990 à 2000, en raison de la situation économique et politique désastreuses, de nombreux jeunes sont partis travailler en Israël ou dans les colonies et ont abandonné les champs. Raed estime qu’environ 15’000 palestiniens travaillent dans les colonies agricoles et industrielles et que 100’000 travaillent en Israël dont 20’000 sont clandestins. Si des travailleurs asiatiques ont pris la place des Palestiniens dans l’agriculture israélienne, ces derniers restent très «prisés» dans le secteur du bâtiment. La production viticole est en conséquence passée de 70’000 tonnes à 35’000 tonnes en quelques années et des terres ont été confisquées.
Agir pour rester
Au vu de cette évolution, Raed a voulu agir et permettre aux paysans palestiniens de valoriser sur place leurs produits. Cela faisait suite à la perte de la moitié de la récolte en 2006 en raison du blocus imposé par Israël. Prenant son bâton de pèlerin, il a présenté son projet de coopérative viticole en France, en Belgique et en Suisse et a rencontré des oreilles attentives. La coopérative regroupe à ce jour 365 adhérents (30% des producteurs de la région) et 600 hectares de vignes. Ayant construit un bâtiment, installé une cuve, une presse, un filtre, un pasteurisateur et une embouteilleuse, ils ont pu prendre la décision en 2010 de ne plus vendre une grappe aux colons qui achetaient le raisin à 60 ou 65 cents le kilo. Heureusement, la coopérative a su jouer son rôle et permis d’augmenter le prix du raisin de table comme du jus de raisin filtré qu’elle vend dans des expositions-ventes, des hôtels, des mairies ou à des particuliers. Les adhérents amènent la matière première et la coopérative se charge de la commercialisation. Quelque fois, les producteurs reprennent du jus pour faire de la confiture de raisins très appréciée en Palestine. Si les adhérents tirent un meilleur prix de la vente, ils ne «profitent» pas des éventuels bénéfices de la coopérative. Ceux-ci sont réinvestis dans le développement de l’entreprise et dans des projets sociaux à destination des écoles ou des équipes sportives de la région. Lors de la guerre de l’été 2014 à Gaza, la coopérative a répondu à un appel d’aide humanitaire et a réuni 60 tonnes de fruits et légumes qu’elle a acheminés vers Gaza en camion.
Un marché porteur
A ce jour, ils produisent 15’000 bouteilles de jus de raisin et fin novembre il ne leur en restait plus que 1’500 en stock. Mais leur objectif est bien plus ambitieux. Ils souhaitent produire annuellement 250’000 bouteilles car le marché et les producteurs sont preneurs. La preuve, après être tombée à 35’000 tonnes, la production est remontée à 50’000 tonnes et les coopératives de la région estiment qu’elle montera à 100’000 tonnes d’ici à 2020. Mais pour parvenir à valoriser ces produits, il y a nécessité d’investir dans du matériel que Raed peut se procurer sur place sans grandes difficultés. La coopérative a déjà réuni la moitié des fonds pour atteindre l’objectif. Il reste encore environ 250’000 euros à trouver. Les vigneron-ne-s genevois ont promis de prendre contact avec leurs communes respectives pour essayer de réunir la somme nécessaire à l’achat de l’un ou l’autre équipement.
Valentina Hemmeler Maïga
Pour soutenir la coopérative Al Sanabel
Tout don est le bienvenu:
Collectif Urgence Palestine
Rue des Savoises 15, 1205 Genève
CCP 17-766771-3
Mention «Sanabel»
(il est possible de faire un parrainage mensuel de 10, 20 ou 50 fs ou de verser un don unique).