Un contre-projet en embuscade pour notre propre initiative
Le 29 novembre dernier, la plénière du Conseil des États a adopté le contre-projet à l'initiative « sécurité alimentaire » de l'Union Suisse des Paysans. Il serait faux de croire que cette décision ne concerne que l'initiative mentionnée. À de multiples reprises, les Sénateurs ont précisé que ce contre-projet n'est pas seulement une réponse à l'initiative de l'USP, mais bien une stratégie visant à se positionner très clairement pour mieux combattre les initiatives des Verts « Pour des aliments équitables » et celle d'Uniterre « Pour la souveraineté alimentaire ». C'est maintenant au tour du Conseil national d'étudier ce contre-projet pour qu'il soit soumis au vote avec l'initiative de l'USP (si celle-ci n'est pas retirée).
Nous émettons plusieurs critiques sur le contenu du contre-projet. Si celui-ci se veut, comme le disent les Sénateurs, une réponse partielle à notre initiative, nous constatons qu’il n’aborde absolument pas certains points cruciaux de notre texte et restons sur notre faim : « semences et OGM », « nombres d’actifs dans l’agriculture et diversité des structures », « gestion des quantités et transparence dans les relations commerciales », « prix équitables et salaires justes ».
Sur le texte lui-même, nous pointons un certain nombre de dangers qui ont été renforcés par la teneur du débat du Conseil des États.
À la lettre b, le contre-projet précise la nécessité « d’utiliser les ressources naturelles de manière efficiente ». Or cette formulation est constamment utilisée par l’agro-industrie pour faire passer des solutions technologiques telles que les OGM.
À la lettre c, la notion « de répondre aux exigences du marché » peut être interprétée de diverses manières. La réalité actuelle du marché suisse c’est 54’000 producteurs face à 2 grands distributeurs qui détiennent 85 % du marché des denrées alimentaires... C’est pourquoi nous avons intégré dans notre texte d’initiative la nécessité de « répondre aux besoins de la population » et non « du marché ». La formulation du contre-projet est d’autant plus dangereuse que M. Schneider Ammann et certains Sénateurs s’en réjouissent tout particulièrement en affirmant que c’est un signal pour que les paysans comprennent que le revenu doit provenir du marché et que la Confédération ne doit plus être un acteur.
Enfin, à la lettre d, le contre-projet aborde les relations transfrontalières qu’il souhaite être marquées du sceau de la durabilité. Mais selon l’argumentaire de la commission du Conseil des États, cette durabilité se résume surtout à produire à l’étranger certaines denrées pour soulager l’écosystème agricole de notre pays. Aucun mot sur la nécessité d’avoir des normes équivalentes entre produits importés et indigènes et au droit à une certaine protection à la frontière. Seul est évoqué le voeu pieux que la Confédération s’engage davantage dans les instances internationales en faveur d’un développement durable planétaire. Mais au vu des tensions déjà existantes entre l’Office fédéral de l’agriculture et le Seco sur le commerce international, nous sommes en droit d’en douter. Rappelons à ce propos l’empressement du Seco à signer un accord de libre-échange avec la Malaisie qui inclurait l’importation d’huile de palme sans protection douanière en faisant fi des conditions sociales et environnementales désastreuses en Malaisie. De surcroit, les Sénateurs n’ont pas caché leur satisfaction de voir ainsi une grande nouveauté inscrite dans la Constitution : la nécessité du commerce transfrontalier.
Pour toutes ces raisons, Uniterre estime que ce contre-projet n’est pas en mesure d’assurer un véritable changement de cap de notre système alimentaire nous permettant enfin de sortir de l’ornière et de repartir sur des bases saines pour affronter les défis du futur.
Valentina Hemmeler Maïga