Les statistiques ne rendent pas le monde meilleur.
Winston Churchill aurait dit : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai falsifiées moi-même ». Nous aimons tous citer des statistiques, des comparaisons ou des études pour prouver nos affirmations ou corroborer nos thèses.
En 2007, l’Office fédéral de la statistique a reproché à Agroscope, l’institut de recherche agricole de la confédération, de ne pas bien faire son travail. Agroscope devait développer une nouvelle méthode pour calculer la situation des revenus agricoles. Avant, on utilisait des exploitations « de référence » pour calculer le revenu moyen des paysannes et des paysans. Maintenant, on commence à se baser sur des échantillons aléatoires représentatifs, ce qui brosse un tableau très différent. Nous disposons des résultats de 2014 et - ô surprise ! - le revenu par travailleur est beaucoup plus bas que celui calculé jusqu’à présent. En fait, il se situe actuellement à 42’000 francs, soit 21 % inférieur à celui calculé avec l’ancienne méthode.
(BernerZeitung, 17.8.2016, traduction) « Les explications fournies sont les suivantes : Si les revenus sont généralement un peu plus bas, c’est essentiellement à cause des changements méthodologiques et comptables. Par contre, le deuxième facteur serait bien plus grave : le revenu du travail est partagé par un plus grand nombre d’unités de main d’oeuvre familiale occupée à plein temps, soit par 1,43 unité au lieu de 1,22 unité. Logiquement, cela diminue fortement le revenu par unité de main d’oeuvre. » Les revenus extra-agricoles ne sont pas pris en compte dans ce calcul. Ce qui est correct.
On s’attendrait presque à des excuses pour ces nombreuses années de calculs injustes. Mais au contraire, certains scientifiques et économistes s’attaquent frontalement à l’agriculture en parlant efficience et rentabilité. Ils réclament haut et fort une remise en cause des paiements directs aux exploitations non rentables. Afin de détourner l’attention des erreurs d’Agroscope, Markus Lips (responsable de l’unité Économie d’entreprise chez Agroscope) tient des propos spectaculaires cités par plusieurs journaux, dont la Berner Zeitung (traduction) : « Ces nouveaux chiffres soulèvent des questions difficiles. Comment peut-on soutenir les agriculteurs, afin qu’ils puissent améliorer leur efficience ? Ou : Est-il moralement justifiable que l’État maintienne en vie des exploitations qui ne rapportent quasiment rien ? »
Quelle est la signification du mot « efficience » dans la bouche d’un économiste ? C’est vite vu : les petites exploitations doivent enfin disparaître, afin que les grandes puissent devenir plus grandes, c’est-à-dire plus efficientes. La taille serait synonyme d’efficience, ce qui est scientifiquement intenable. Le choix des mots est également intéressant : « moralement justifiable » ! La plupart des économistes n’utilisent le mot « moral » qu’à défaut d’arguments. Et que signifie le verbe « rapporter » dans ce contexte ? Que rapporte une exploitation avec un revenu élevé et que rapporte une ferme avec un petit revenu ? Le revenu n’est pas le seul standard pour une agriculture durable, même s’il est important. Une fois de plus, on tente de nous diviser pour mieux régner. Mais il ne faut pas se laisser berner, ni par des statistiques, ni par des paroles. Il vaut mieux essayer de comprendre le pourquoi de cette attaque : je suppose qu’il s’agit d’un coup tactique des forces néolibérales contre l’agriculture paysanne et pour les accords de libre-échange (TISA, CETA, TIPP, etc.)
D’ailleurs : selon le rapport sur la répartition de la richesse en Suisse (2014), le revenu brut moyen des ménages suisses s’élève à 9’565 francs par mois. Ça aussi, c’est une valeur purement statistique, la plupart des personnes en Suisse ne peuvent que rêver d’un tel revenu !
Ulrike Minkner
Vice-présidente d’Uniterre