mardi, 27 septembre 2016

14064116 1757965007776234 3660795067535761637 nDepuis la divulgation en 2013 des négociations autour du TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement), la Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft (AbL)[i] et le regroupement TTIP unfairhandelbar[ii] jouent un rôle prépondérant dans le mouvement de protestation. En Allemagne, cette opposition aux traités est un des mouvements citoyens actuels les plus puissants. Le 17 septembre 2016, des centaines de milliers de citoyennes et de citoyens ont manifesté dans 7 villes d'Allemagne.

Les paysannes et paysans en Suisse seront les « plus durement touchés » par les conséquences d’une ouverture illimitée au libre marché. Selon une étude[iii] de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL), le prix du blé chuterait de 44 %, celui de la viande de porc de 42 %, de la viande de boeuf de 27 % et de la volaille de 29 %. Toutefois, ces pertes de la valeur ajoutée seraient partiellement compensées par des fourrages moins chers. En agriculture, la perte de bien-être s’élèverait à 587 millions de francs. Avec 53’232 exploitations agricoles en Suisse, la perte moyenne s’élèverait donc à 11’027 francs par année et par exploitation agricole. Pourtant, les représentants de l’industrie fromagère et laitière, l’Union Suisse des Paysans ainsi que Bio Suisse espèrent des effets positifs sur les exportations en cas d’une adhésion de la Suisse au TTIP, tout en affichant un optimisme prudent.

janssen-820f59298876a2ecInterview avec Georg Janssen (directeur général de l’AbL)

En tant que représentant des intérêts paysans, pourquoi pensez-vous que nous devrions lutter contre TTIP et CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) ?

Georg Janssen : Du point de vue paysan, ces accords de libre-échange soulèvent la question du pouvoir, de qui décidera à l’avenir de nos ressources fondamentales : la société civile ou les multinationales de l’agrobusiness. TTIP et CETA prévoient l’élimination progressive des droits de douane, cela signifie par exemple l’arrivée de lait et de viande supplémentaire sur un marché européen déjà noyé par les surplus. S’ensuivrait forcément un écroulement massif des prix. Les paysannes et paysans deviendraient des fournisseurs de matières premières remplaçables par n’importe quel autre producteur dans le monde. Par ailleurs, la pression sur les petites exploitations augmenterait partout.

En Europe, nous suivons traditionnellement le « principe de précaution » et il nous faut le défendre, sinon, nous risquons une normalisation des standards de production, par exemple, l’ouverture aux manipulations génétiques (OGM) dans nos champs et nos étables, comme l’exigent les négociateurs états-uniens.

Quelles réussites votre mouvement a-t-il connues en Allemagne et en Europe ?

Georg Janssen : Il y a trois ans, lors de la fondation du mouvement, notre objectif minimal était d’informer le grand public sur TTIP et CETA. Il est inadmissible qu’on veuille conclure des accords d’une telle importance derrière des portes closes et dans le plus grand secret, loin des regards de la société civile. Grâce à une campagne d’information de grande envergure en Europe et notamment en Allemagne, nous avons réussi à mettre TTIP et CETA à l’ordre du jour politique. Des centaines de milliers de personnes vont manifester pour un commerce mondial équitable et pour un arrêt de TTIP et CETA. Les principes fédérateurs à la base de ce mouvement de protestation, sont la démocratie au lieu de la puissance des multinationales, et la lutte pour une Europe des régions.

Quelle est l’influence du mouvement sur les revendications d’AbL ? Concernant la perception du public et le flux d’informations vers les paysannes et les paysans (à l’interne d’AbL et dans tout le secteur agricole) ?

Georg Janssen : Depuis trois ans, l’AbL organise des rencontres informatives dans les régions rurales en coopération avec d’autres organisations critiques. Lors de manifestations et d’actions en lien avec l’actuelle crise laitière catastrophique, le sujet des accords de libre-échange est régulièrement abordé. L’AbL demande une offensive de qualité, au lieu du dumping à l’exportation de produits agricoles. La position claire de l’AbL contre ces accords de libre-échange nous différencie nettement de l’attitude versatile des organisations paysannes européennes (COPA) et de l’influence massive exercée par l’agroindustrie pour obtenir des accords favorables aux groupes industriels. Dans un sondage réalisé en 2016 par le plus grand magazine d’Allemagne, plus de 70 % des collègues agricoles soutenaient notre position.

Quelles sont les chances de renverser le TTIP ? Et que se passera-t-il s’il est adopté ?

Georg Janssen : Notre mouvement met en garde contre le risque de faire comme si le TTIP était mort, comme le font certains politiciens de renom en ce moment, juste pour casser la dynamique du mouvement protestataire et faire avancer les accords CETA. Au plus tard après les élections présidentielles des États-Unis, TTIP sera de nouveau à l’ordre du jour. C’est pourquoi il est si important qu’on évite une mise en vigueur à titre provisoire des accords CETA qui, par leur politique favorable à l’industrie, préparent le terrain aux accords TTIP. Ne lâchons pas la pression !

Propos recueillis par Mathias Stalder
traduction : Stefanie Schenk

[i] Traduction : communauté de travail pour l’agriculture paysanne

[ii] Jeu de mots avec unfair = injuste et unverhandelbar = non négociable

[iii] L’étude « Auswirkungen einer breiten Marköffnung auf die schweizerische Land- und Ernährungswirtschaft » à l’attention de la CISA (Communauté d’intérêts pour le secteur agroalimentaire), avec ses 222 pages, est disponible sur le site www.igas-cisa.ch (en allemand, résumés et communiqués également en français). Parmi les membres de la CISA, on trouve aussi IP Suisse, Bio Suisse, Suisseporcs et Vache Mère Suisse.

Informations complémentaires : www.ttip-unfairhandelbar.de

Uniterre et l’Initiative pour la souveraineté alimentaire
mobilisent avec une large alliance pour une grande manifestation contre TTIP/TiSA & CO.
le samedi, 8 octobre 2016 à 15h sur la Place fédérale à Berne.

articles en lien:

Qu’est-ce que le TTIP ? - Qu’est-ce que le TiSA?

> ces articles en pdf - journal d’Uniterre septembre 2016