mardi, 30 août 2016

monsantoTribunal-logo2Lancé le 3 décembre 2015 à Paris, le Tribunal Monsanto aura pour mission d'évaluer les faits qui sont reprochés à la multinationale ainsi que de juger les dommages causés. Il sera organisé à La Haye, du 14 au 16 octobre 2016. Les initiateurs du Tribunal Monsanto, dont StopOGM et La Via Campesina font partie, lancent un appel à la société civile pour qu'ils participent au financement de cette opération.

+interviews de Marie-Monique Robin et Olivier de Schutter

 

 

 L’entreprise américaine Monsanto est perçue de manière croissante comme le symbole d’une agriculture industrielle et chimique qui pollue, accélère la perte de biodiversité et contribue de manière massive au réchauffement climatique. Depuis le début du XXème siècle, elle a commercialisé des produits hautement toxiques qui ont durablement contaminé l’environnement et rendu malades ou causé la mort de milliers de personnes dans le monde: les PCB qui affectent la fertilité humaine et animale; le 2,4,5 T, l’un des composants de l’agent orange contenant de la dioxine qui fut déversé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam et continue de provoquer malformations congénitales et cancers; le lasso, un herbicide aujourd’hui interdit en Europe; ou le roundup, l’herbicide le plus utilisé au monde, qui est à l’origine de l’un des plus grands scandales sanitaires et environnementaux de l’histoire moderne. Ce désherbant très toxique est associé aux monocultures transgéniques, principalement de soja, maïs et colza, destinées à l’alimentation animale ou à la production d’agro-carburants. Le modèle agroindustriel promu par Monsanto est à l’origine de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre mondiales dues à l’activité humaine; il est aussi largement responsable de l’épuisement des sols et des ressources en eau, de l’extinction de la biodiversité et de la marginalisation de millions de petits paysans. Il menace la souveraineté alimentaire des peuples par le jeu des brevets sur les semences et de la privatisation du vivant.

La multinationale a pu occulter les dommages humains et écologiques causés par ses produits et maintenir ses activités dévastatrices grâce à une stratégie systématique: lobbying auprès des agences de réglementation et des autorités gouvernementales, mensonges et corruption, financement d’études scientifiques frauduleuses, pression sur les scientifiques indépendants, manipulation des organes de presse, etc.

Monsanto est l’incarnation de l’impunité des entreprises transnationales et de leurs dirigeants qui contribuent au dérèglement du climat et de la biosphère et menacent la sûreté de la planète.

Organisé à La Haye, du 12 au 16 octobre 2016, le Tribunal Monsanto aura pour mission d’évaluer les faits qui lui sont reprochés et de juger les dommages causés par la multinationale. La Tribunal prendra appui sur les Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits de l’Homme adoptés au sein de l’ONU en 2011. Le Tribunal examinera aussi s’il s’impose de réformer le droit pénal international notamment an amendant le Statut de Rome, créant la Cour pénale internationale en vigueur depuis 2002, pour que soit reconnu le crime d’écocide et que la responsabilité pénale des personnes physiques coupables de ce crime puisse être engagée. Conscients des enjeux planétaires que représente la reconnaissance du crime d’écocide, qui seul permettra de garantir le droit des humains à un environnement sain mais aussi celui de la nature à être protégée, les initiateurs du Tribunal Monsanto lancent un appel à la société civile, à tous les citoyens et citoyennes du monde, pour qu’ils participent au financement de cette opération exemplaire, à travers la plus vaste plateforme de crowdfunding international jamais réalisée à ce jour. La défense de la sûreté de la planète et des conditions mêmes de la vie est l’affaire de tous et seul un sursaut collectif des forces vives permettra de stopper la machine de destruction en marche!

 

Aidez à organiser le Tribunal Monsanto
http://www.monsanto-tribunalf.org

 

 

Tribunal: stop à l’impunité!

 

deSchutter-webOlivier de Schutter est professeur à l’Université de Louvain et ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation. Il est à présent membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies et co-préside IPES-Food, un panel indépendant d’experts sur les systèmes alimentaires durables.

  

Qu’est-ce qui vous a amené à rejoindre le Tribunal Monsanto?

De nombreuses actions en justice ont été lancées contre Monsanto, par exemple par des agriculteurs dont la santé a été affectée par l’usage de leurs produits ou par des populations dont l’environnement a été contaminé par ses activités. Mais d’autres problèmes demeurent totalement impunis, par exemple les atteintes à la liberté d’expression ou à la liberté de la recherche académique des scientifiques qui travaillent sur les OGM. De plus, et surtout, des actions en justice ponctuelle n’ont qu’un effet finalement limité: pour quelques individus qui obtiennent justice au bout d’un long et coûteux combat judiciaire, combien demeurent sans recours aucun pour les atteintes à leurs droits? Le Tribunal Monsanto est une manière d’en appeler aux autorités pour que cesse toute impunité.

 

Votre souhait? 

Il s’agit, à travers le Tribunal International Monsanto, d’atteindre deux objectifs. D’abord, il s’agit d’identifier les atteintes aux droits de l’Homme qui peuvent résulter des activités d’une grande entreprise semencière et agrochimique comme celle-ci, ce qui peut servir d’exemple et conduire à interroger un certain modèle de développement agricole. Ensuite, il s’agit de montrer l’intérêt qu’il y aurait à ériger l’écocide en crime de droit international, afin -pourquoi pas- qu’un jour il rejoigne les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre parmi les comportements jugés à ce point intolérables qu’ils méritent une condamnation pénale.

 

_____

 

Marie-MoniqueRobin-webMarie-Monique Robin, est journaliste, réalisatrice et écrivaine. Elle a réalisé de nombreux documentaires tournés en Amérique latine, Afrique, Europe et Asie et couronnés par une trentaine de prix internationaux dont le très connu «le monde selon Monsanto».

 

Pourquoi vous êtes-vous lancée dans une telle aventure? 

Depuis la sortie en 2008 de mon film et livre «Le monde selon Monsanto», je n’ai cessé de suivre les pratiques de la firme américaine qui continue de polluer l’environnement, - l’eau, l’air, les sols et les aliments- avec ses produits hautement toxiques en toute impunité. Parmi ces produits, il y a le roundup, que l’OMS vient de classer «cancérigène probable pour les humains» et dont la nocivité a été démontrée par des dizaines d’études indépendantes. Aujourd’hui, les personnes qui souffrent de maladies graves à cause du roundup se comptent par dizaines de milliers dans le monde, notamment en Amérique du Sud. Il est temps que la firme rende des comptes, même de manière symbolique. Le Tribunal permettra aux victimes de se faire entendre, car pour elles il est très difficile d’intenter un procès contre une multinationale aussi puissante. Comme on l’a vu récemment avec Paul François, le céréalier intoxiqué par le Lasso, un autre herbicide de Monsanto, c’est vraiment David contre Goliath! Dans mon film et livre «Notre poison quotidien», j’ai raconté le combat exemplaire de cet agriculteur qui a finalement gagné son procès contre la multinationale, en première instance et en appel.

 

Votre attente? 

Monsanto n’est bien sûr pas la seule firme qui menace la sûreté de la planète et de ses habitants. C’est pourquoi ce procès - qui sera un vrai procès avec de vrais juges et de vrais avocats- devra servir d’exemple. Il devra contribuer aussi à l’émergence d’une nouvelle figure pénale, dont on a besoin de toute urgence: le crime d’écocide, qui seul permettra notamment de poursuivre au pénal les dirigeants des entreprises coupables d’activités menaçant les droits humains. Le crime d’écocide inclut aussi le crime contre le climat. Si nous voulons vraiment stopper le dérèglement climatique, il faut repenser de fond en comble le modèle agricole, en promouvant l’agro-écologie, comme l’a démontré Olivier de Schutter, l’ancien rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, dans le rapport qu’il a remis à l’ONU en 2012. C’était aussi la conclusion du rapport de l’IAASTD de 2008, rédigé à la demande de la Banque mondiale par 400 scientifiques internationaux, et codirigé par Hans Herren.

 

Propos recueillis par Valentina Hemmeler Maïga
publié dans le Journal d’Uniterre - décembre 2015