mardi, 20 décembre 2016

vanessa3web

A Enges, sur les hauts de Cressier, la place devant la ferme de Vanessa Renfer et d'Etienne Richard est souvent bien occupée. Des camionnettes, des voitures, un fourgon, un tracteur. Cet encombrement est plutôt bon signe. La ferme bouge, vit et évolue, mais dans quel sens ? Nous allons le découvrir au fil de cette interview de Vanessa Renfer, paysanne et représentante de la section neuchâteloise au comité d'Uniterre.

Vanessa, au comité d’Uniterre on parle beaucoup de paysannerie mais peu de paysanne. Qui es-tu, quel est ton parcours de vie ?

Je suis devenue paysanne par amour pour Etienne. Je suis maman de quatre enfants - Aurélien, Fiona, Thalia et Isaline - qui ont entre 3 et 11 ans. J’ai 38 ans et je suis salariée de notre ferme depuis une dizaine d’années maintenant.

Mon enfance était celle d’une citadine. Je suis lausannoise d’origine, donc à priori, bien loin de l’agriculture. Cependant, durant mon adolescence, j’ai eu la chance de faire quatre stages sur des fermes du Gros-de-Vaud, grâce à l’organisation Horizon ferme. J’ai adoré cette période. J’idéalisais sans doute un peu trop la vie agricole, car la réalité aujourd’hui est un peu différente (rire). Mais je ne regrette rien. Je suis heureuse de ma vie.

Une fois ma maturité fédérale en poche, je me suis d’abord orientée vers la formation d’ingénieur agronome dispensée à Zollikofen. J’ai fait le stage obligatoire d’une année sur une ferme. Mais je ne me voyais pas apprendre l’agriculture entre 4 murs, assise sur des bancs d’école. Je me suis donc réorientée vers le monde des soins et du médical, bien différent de celui de l’agriculture, mais intéressant tout de même. J’ai suivi une formation d’infirmière à l’école de Chantepierre, puis celle de sage-femme. Ces études m’ont plu. Je les ai terminées en 2005. A cette époque j’avais déjà rencontré Etienne, paysan ici à Enges. Il avait déjà repris l’exploitation familiale. Je l’ai donc suivi et nous nous sommes installés, tous les deux.

Tu es salariée de la ferme ? Peux-tu nous en dire plus ?

Je suis venue ici directement après mes études. Je n’ai donc jamais exercé ma profession de sage-femme et nous ne sommes pas mariés. Il était donc important pour moi que je sois rémunérée pour le travail que je fournissais à l’entreprise. Je n’aurais jamais pu imaginer travailler sans avoir un salaire. Cela m’a permis de cotiser aux diverses assurances sociales, d’avoir un statut, une indépendance financière et surtout cela m’a motivé à prendre des responsabilités sur la ferme. C’était important pour Etienne et moi.

Vanessa4webC’est un débat important pour toi le statut de la paysanne ?

Oui absolument. Même si je n’ai pas de diplôme de paysanne, je suis très active au sein de l’association des Paysannes et des femmes rurales neuchâteloise. Je suis secrétaire du comité central. Cette association est importante pour moi. N’étant pas du monde agricole, elle m’a permis de rencontrer plein de femmes de la région et de découvrir qu’il y avait autant de situations économiques et sociales qu’il y avait de paysannes. Chacune de nous vit dans des réalités différentes. Beaucoup pratiquent une activité lucrative et souvent salariée hors de la ferme, mais très peu d’entre elles ont mon statut. C’est étonnant. Pour moi qui viens de l’extérieur, c’était difficile à comprendre.

Nous sommes environ 900 membres. Toutes ne sont pas paysannes mais toutes se sentent profondément femmes rurales, dans ce qu’il y a de plus noble dans ce terme.

Quelles sont les activités de l’association ?

Le gros de nos activités fait la promotion d’une certaine vision de la ruralité, de ce qu’elle représente en terme d’alimentation, d’accueil, de culture, de savoir-être, de savoir-faire et de formation. Nous sommes organisées en groupes régionaux. Chacun organise différentes activités locales tout au long de l’année. Du théâtre à l’édition de livres de recettes en passant par l’organisation de cours et la tenue de stands à diverses manifestations. Nous menons également un débat permanent sur le statut de la Paysanne. Nous sommes en contact régulier avec notre organisation nationale et les diverses organisations de défense professionnelle. Les activités diverses donnent envie à de nombreuses femmes - paysannes ou non - d’adhérer. Cette diversité est une véritable richesse.

Y-a-t-il un débat politique au sein de l’association ?

Pas vraiment, l’organisation ne prend pas position officiellement au niveau cantonal. Elle ne mène pas véritablement et officiellement de débats politiques. Bien entendu, nous avons nos avis, mais cela reste des échanges interpersonnels, non officiels. Par contre au niveau national l’organisation prend position. Souvent les femmes ont une vision assez claire de la santé économique et sociale des fermes. C’est donc important d’échanger pour simplement avoir une bonne vision globale de la situation

Justement, quelle est votre situation ?

Nous avons l’une des dernières fermes laitières du village. Ici beaucoup ont arrêté ces dernières années à cause du prix du lait. Nous on continue mais avec moins de passion. Pour nous en sortir il faudrait investir et cela nous le refusons. Le marché est trop précaire. Nous livrons nos 120’000 kg de lait à Prolait, pour la filière industrielle. Malgré une altitude relativement basse (820 m), nous sommes en zone de montagne 1 et 2. Rien n’est plat. Nos terres (37 ha en tout) sont typiques du Jura : légères, sèches et filtrantes. Nos cultures ont tendance à souffrir du sec. A côté des herbages nous cultivons du maïs ensilage, du blé et de l’orge. Nous travaillons encore 30 ares de vignes à Cressier. C’est l’une des activités préférées d’Etienne. Il aime s’y rendre et la soigner.

Avec le prix du lait, comment dégagez-vous vos revenus ?

En terme de revenu, le lait est devenu une activité presque accessoire. Depuis de nombreuses années maintenant nous nous sommes spécialisés dans l’élevage et la revente de poulets vivants. Nous les recevons du couvoir de Belp, âgés de 1 jour et nous les revendons en vente directe à des particuliers, à l’âge adulte, c’est à dire à 26 jours.

Pourquoi les particuliers ne les achètent-ils pas directement au couvoir ?

Durant les 26 premiers jours de croissance, les poussins sont sensibles à la température, aux maladies etc. De nombreux particuliers ne souhaitent pas prendre le risque de les élever, ils préfèrent les engraisser. Donc nous faisons cela pour eux. C’est une activité qui est appréciée mais cela demande un suivi de tous les instants et une bonne relation client. Ces derniers sont très divers et proviennent de différents horizons. Cela va du citadin qui souhaite deux poulets pour son jardin à des éleveurs qui en commandent par lots de 300.

Nous élevons 17 lots par année, ce qui représente plusieurs milliers de poulets commercialisés. Dans cette activité, nous nous complétons bien avec Etienne. Je fais la relation client, je réponds aux nombreux mails, téléphones et je dispense des conseils d’élevage, essentiellement axés sur la nutrition et les conditions de détention. Etienne s’occupe de l’élevage et des livraisons. Il aime ce contact direct.

Puisque nous parlons d’engraissement, qu’en est-il des abattoirs sur le canton ?

Nous avons de la chance. Nous avons encore des abattoirs pour la volaille dans le canton. Ils sont ouverts aux particuliers. C’est une chance pour nous. Pourvu qu’ils puissent se maintenir.

Comment avez-vous développé votre clientèle ?

Au début cela n’a pas été simple. Nous mettons des petites annonces régulièrement dans l’Agri et dans Terre&Nature. On compte également sur le bouche à oreille et la réputation de notre travail. A coté de la race de poulet à chair Ross, nous proposons à nos clients des poulets de race Brun Bio. Ils ont une croissance plus lente, sont plus résistants mais la saveur de leur chair est recherchée. Nous nous sommes diversifiés pour répondre aux demandes.

Les vendez-vous sous contrat ?

Non, pas directement. Nous les vendons à la pièce. De nombreux clients reviennent régulièrement. Mais le contrat pourrait être une piste à explorer. Il faudrait voir sous quelle forme. Cela permettrait peut-être de planifier différemment notre élevage.

En arrivant, j’ai remarqué sur la boîte à lettre une référence à une brasserie, y a-t-il un lien avec la ferme ?

Oui, depuis maintenant quelques temps, nous louons un local à la Brasserie des 3 lacs. C’est un copain qui s’est lancé dans la fabrication de bière à façon et à la demande des clients. C’est une personne passionnée qui fait d’excellents produits originaux comme la « 3 céréales » qui contient du maïs et du blé en plus de l’orge. On aime ce genre de collaboration originale. Cela fait venir du monde à la ferme, c’est important quand on fait de la vente directe. En plus cela nous permet de déguster les nouveautés en primeur (rire).

vanessa6webComment es-tu arrivée à Uniterre?

Etienne est membre depuis longtemps. Il a participé aux blocages de COOP et MIGROS et a suivi les procès. Je ne me suis engagée à Uniterre qu’en 2009, en pleine révolte paysanne. J’ai rencontré Aline Franel lors d’une conférence. C’était une période incroyable. On défilait dans les rues, la campagne s’était réveillée. Je me souviens, je discutais de la problématique laitière sur des forums internet de « jeunes mamans ». J’expliquais ce qui se passait. On nous soutenait partout. Mes enfants, aussi jeunes soient-ils, s’en souviennent encore. Suite à cette période je suis entrée au comité neuchâtelois.

Aujourd’hui, où est passée cette colère ?

La colère paysanne est toujours présente dans les campagnes, dans les tripes de chacun de nous, mais elle n’a plus l’espace pour s’exprimer. Il manque le mouvement, l’étincelle. On n’a pas réussi à la maintenir après 2009 au sein d’Uniterre. Il y a bien eu le SAM, mais des tensions internes l’ont sclérosé. Avec le recul, je pense que SAM aurait dû rester un mouvement, sans vraiment de structure. Une sorte de veille paysanne qui réagirait en fonction de l’actualité. C’était sa force et sa crédibilité. Uniterre pourrait s’en inspirer.

Justement comment allumer la flamme ?

Suite à ces périodes fastes pour Uniterre, une bonne partie des leaders de l’époque se sont mis en retrait et Uniterre s’est lancé dans ce gros projet qu’est l’initiative pour la souveraineté alimentaire. A Neuchâtel nous étions opposés car nous pensions qu’il était trop loin des réalités paysannes, que nos membres n’allaient pas être motivés à la porter. Finalement nous nous sommes ralliés à la décision de l’assemblée générale et nous nous sommes lancés, avec un certain succès, dans la récolte de signatures. Ce projet a abouti, et avec du recul nous ne pouvons qu’en être fiers. Même si il n’a pas été largement soutenu par notre base, cela a permis à Uniterre d’avoir une autre place sur l’échiquier national des organisations paysannes, de développer un réseau national dans différents milieux et de défendre haut et fort le projet de la souveraineté alimentaire. C’est fantastique ce que l’on a réussi à faire, mais à quel prix !

Cet hiver, c’est le bon moment pour essayer de rallumer la flamme dans les campagnes. L’initiative a été déposée et il n’y a pas encore de date pour la votation populaire. Cela laisse du temps pour repartir au combat.

Quelles sont tes propositions ?

Je pense qu’il faut que nous retrouvions cette capacité à réagir immédiatement et médiatiquement à l’actualité. L’exemple du porc était flagrant cet automne. Aucune Chambre n’a réagi et Uniterre non plus. Les organisations agricoles n’ont pas pris position. Elles se détachent de la réalité des familles paysannes. Uniterre doit retrouver un leadership médiatique. La voix des paysannes et des paysans doit à nouveau se faire entendre, partout et tout le temps. C’est important, aussi pour la campagne de votation.

Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, le partage de l’actualité est instantané. On doit l’utiliser, informer. Il y a un fossé grandissant entre ce que les gens perçoivent de l’agriculture et la réalité du terrain. Toutes les couches de la population ont leurs problèmes et il devient difficile de se faire entendre avec les nôtre, alors qu’il y aurait tellement à dire.

Je pense que des actions positives ont aussi leur place dans l’agenda d’Uniterre. Faire des grandes ventes, des conférences, etc permettraient de recréer des activités au sein des sections.

Je suis aussi adepte des actions « coup de poing » car elles provoquent des ondes de choc qui bousculent les positions et font réfléchir tout un chacun. Parfois, d’un « joyeux bordel » émergent des solutions, par nécessité, pour sortir de la crise.

Dans l’état actuel de la paysannerie, toutes les formes de mobilisation sont à tenter. Uniterre n’a rien à perdre et doit essayer des choses. Car si ce n’est pas Uniterre, cela ne sera personne d’autre. Les paysannes et les paysans attendent que la mèche se rallume. Et le moment venu, ils seront là.

Propos recueillis par Nicolas Bezençon

publié dans le Journal d’Uniterre - novembre 2016

Pour en savoir plus : paysannes-neuchateloises.ch