mardi, 24 janvier 2017

revolutionSilencieuse« Belle graine, belle terre, belle récolte »

La famille Chezeaux, à Juriens dans le canton de Vaud, est suivie pendant une année par Lila Ribi, réalisatrice, dans un nouveau défi qui va avoir de forts impacts sur la ferme et la famille. Cédric et Christine sont les parents de 6 enfants et ils ont fait le choix de renoncer à un beau troupeau de vaches laitières constitué patiemment par le père, pour s'orienter vers la production de céréales anciennes.

Au fil des mois, la cinéaste les suit dans leurs rêves, leurs doutes, leurs questionnements « lourds en non-dits et en sensations » selon les mots de Christine. Un film qui porte bien son nom : « Révolution silencieuse ».

Cédric s’est posé de nombreuses questions sur les incohérences des systèmes agricoles actuels qu’il perçoit comme destructeurs, même si on n’en voit pas encore les effets. Il considère que les écoles d’agriculture l’ont gardé dans l’ignorance. C’est en dégustant des pains façonnés avec de la farine issue de variétés anciennes qu’il a été séduit et a souhaité en faire son activité économique.

Après le départ des vaches, il leur reste un troupeau de 60 chèvres dont le lait est valorisé en fromage sur la ferme et leurs grandes cultures. Mais cette nouvelle activité sans la paie mensuelle du lait et pour laquelle il faut attendre le paiement après récolte comporte des risques certains pour la survie économique de la famille. Autre incertitude : il y a peu de personnes et de ressources dans leur environnement pour leur fournir des conseils techniques pour accompagner la production de variétés anciennes. Enfin il a fallu encourager son entourage de le suivre. Il est en contact avec des boulangers qui acceptent de l’accompagner dans les premiers essais. Ensemble, suite au coup de coeur sur le nom d’une variété, sur l’aspect visuel des graines ou par tâtonnements, ils choisissent certaines variétés qu’ils décident de semer en famille sur des petites parcelles d’essais. Christine, thérapeute « en bols chantants planétaires », saisit cette occasion pour transmettre aux graines des énergies visant à renforcer leur fertilité grâce au bol « Cérès ».

Les variétés anciennes, une richesse retrouvée

Cédric se questionne également sur la teneur en gluten des variétés actuelles de blé qui sont semées à large échelle. Les variétés commercialisées actuellement ont un « gluten mécanique » qui permet à la pâte de gonfler, ce qui est très utile à l’industrie, mais qui est nettement moins assimilable par notre système digestif ce qui peut participer à l’augmentation du taux d’intolérance auprès des consommateurs. Un de ses enfants souffre d’ailleurs de symptômes et ils connaissent beaucoup de personnes autour d’eux qui témoignent de cette problématique. Les variétés anciennes quant à elles ont des avantages gustatifs et diététiques. Leur teneur en micronutriments leur donne un bien meilleur équilibre nutritionnel.

Regards sur ce projet

Si Cédric semble assumer son choix d’orientation, la famille est un peu plus perplexe, ou pour le moins insécurisée. Christine, son épouse, craint pour les finances familiales et se questionne sur le regard que les gens du village peuvent porter sur eux comme c’est souvent le cas vis-à-vis de pionniers. Comment sont-ils perçus par leur entourage avec leurs projets atypiques, leur production biologique et le fait que Christine fait l’école à la maison pour ses 4 plus jeunes enfants ? Le papa, quant à lui, a vu son troupeau de vaches s’en aller avec un pincement au coeur bien qu’il accepte les choix de son fils et reste très présent sur la ferme pour donner de nombreux coups de main. C’est le cas notamment lorsque Cédric s’engage dans la périlleuse construction d’un trieur à céréales manuel qu’il mécanise « fait maison » en expliquant patiemment tous les rouages de la machine sur un cahier devant les yeux émerveillés de son fils cadet.

Au fil des rencontres, Cédric affirme quelques unes de ses convictions : la nécessité que le bio reste accessible à toutes les couches sociales de la population et « que ces produits ne soient pas confinés aux seules assiettes des bourgeois mais se retrouvent également dans les cantines scolaires ».

Temps brumeux

Malgré toute sa volonté, Cédric traverse une période de doutes profonds quand certaines variétés de ses céréales sont atteintes de la carie du blé, que la période de récolte s’approche alors que la météo s’est bloquée sur « pluies abondantes ». Aucune fenêtre de beau temps ne semble apparaître alors que les cultures sont à point. Les réserves financières se font de plus en plus rares pour s’acquitter des factures de la ferme et de la famille. Avec philosophie, il analyse ses états d’âmes et ses rares phases d’énervement en disant qu’il faut savoir garder une certaine distance et être en mesure de s’extraire de son projet. Globalement, l’année s’est bien passée ! De nombreuses choses sont réjouissantes qui compensent les quelques problèmes rencontrés. Cela a-t-il suffit à ce que Dame nature se calme ? En tous les cas, la moissonneuse est prête à se lancer. Cédric s’adresse aux boulangers : « je veux vous proposer une farine qui vous convient le mieux, il faut que nous nous laissions guider par l’intuition, c’est souvent au final celle-ci qui permet de faire les bons choix ».

Un savoir-faire sublimé

Un immense sourire et un regard presque enfantin, pétillant, revient éclairer le visage de Cédric lorsqu’ils entament ensemble la valorisation des différentes farines avec le savoir-faire de ses amis boulangers qui pétrissent la pâte devant lui et enfournent les pains dans le four à bois. Mission accomplie ! Il reste à convaincre des collègues paysans à se lancer dans l’aventure pour que le lien entre le travail du paysan, le savoir-faire des boulangers et le plaisir de l’assiette soit à nouveau présent. Alors que nous écrivons ces lignes, plusieurs agriculteurs ont rejoint ce projet : soit en semant des graines pour les Chezeaux (huit agriculteurs pour 30 ha), soit en développant leur propre démarche en semant eux-mêmes et faisant leurs propres farines (cinq installations en quelques années).

Valentina Hemmeler Maïga
article paru dans le Journal d’Uniterre de janvier 2017 (pdf)

« Révolution silencieuse », un film de Lila Ribi, 92 min, à découvrir dès sa sortie officielle le 25 janvier dans les salles obscures ! (dates sur le site internet d’Uniterre ou sur www.revolution-silencieuse.ch)