lundi, 17 avril 2017

votationIni FR webComme vous le savez, plusieurs initiatives populaires ont abouti entre 2014 et 2016 sur les tables du Parlement suisse. L'initiative de l'Union Suisse des Paysans « sécurité alimentaire » a officiellement été retirée le 14 mars dernier au profit du contre-projet élaboré par le Conseil des Etats. L'initiative « pour des aliments équitables » des Verts est en cours de traitement par le Conseil national et pourrait potentiellement se diriger vers un contre-projet indirect. Quand à celle d'Uniterre « Pour la souveraineté alimentaire », le Message du Conseil fédéral est sorti mi-février et sera traité par le Parlement en été ou automne 2017. Explications.

 

 

 

Inscrire la sécurité alimentaire, à coups de compromis ?

Pour Uniterre, le choix de retirer l’initiative « sécurité alimentaire » est fâcheux. Si nous pouvions vivre avec le texte initial, même s’il était là essentiellement pour garantir les acquis, le contre-projet est beaucoup plus dangereux. D’une part, il inscrit dans la Constitution les accords commerciaux transfrontaliers avec tous les risques que cela comporte. Bien que ces accords soient couplés à la nécessité du « développement durable », nous ne pouvons que constater que le rapport de force actuel en Suisse ne permettra pas de s’y tenir. Il suffit de voir la volonté quasi dogmatique de certains milieux de conclure un accord de libre-échange avec la Malaisie ruinant de fait toute perspective d’avenir pour les producteurs de colza en Suisse. Autre aspect problématique du contre projet : la lettre c) demande que l’agriculture et le secteur agroalimentaire répondent aux « exigences du marché ». Dans un système régi par deux grands distributeurs qui détiennent plus de 80 % des parts de marché, nous imaginons avec inquiétude ce que peut signifier de répondre à leurs exigences. Nous avons toujours appelé à ce que ce terme soit remplacé par « les besoins de la population » afin que nos systèmes alimentaires bénéficient au plus grand nombre et non aux faiseurs de rois que sont nos grands distributeurs. L’Assemblée générale d’Uniterre se prononcera le 7 avril sur la position de notre organisation sur le contre-projet. La votation est prévue pour septembre ou novembre 2017.

Les aliments équitables pour demain ?

Les Verts ont entamé le processus parlementaire. Pour l’heure, ils ont demandé en commission un rapport complémentaire sur plusieurs questions non abordées dans le Message du Conseil fédéral (octobre 2016). Ce nouveau rapport pourrait être une opportunité pour les Verts, s’ils renoncent à présenter leur texte en votation populaire, ce qui n’est pas encore tranché, d’obtenir un contre-projet indirect visant à modifier une série d’articles dans la législation actuelle en vue de répondre aux mieux aux diverses exigences de leur initiative. Pour les Verts, il s’agit maintenant d’obtenir des garanties solides du Parlement et de l’administration. Les questions qu’ils abordent dans leur texte sont d’une grande importance puisqu’ils proposent de baser le commerce international sur des normes éthiques et d’équité. En ce sens, ils se rapprochent des alinéa 7 et 8 de l’initiative d’Uniterre.

La souveraineté alimentaire sur le grill

Nous avons lu avec attention et avec beaucoup de déception le Message du Conseil fédéral concernant notre initiative. Si le fait que le Conseil fédéral rejette notre initiative sans contre projet ne nous surprend pas, nous sommes outrés des arguments très faibles apportés dans le Message. En substance, le Conseil fédéral estime que notre initiative réduira la capacité d’innovation du secteur agroalimentaire suisse, réduira la compétitivité et coûtera très cher en terme de budget. Or, à aucun moment, notre texte n’évoque des aides financières de l’Etat. Notre initiative exige des conditions cadres plus favorables à une agriculture paysanne indigène et rémunératrice, que l’Etat joue, lorsque cela est nécessaire, son rôle d’arbitre pour que des filières alimentaires socialement durable se mettent en place. Tout au plus, elle pourrait avoir comme conséquence une allocation quelque peu différente des montants actuellement octroyés à l’agriculture, mais aucunement des charges financières supplémentaires.

Les paysans, innovateurs nés

Imaginer un seul instant que notre initiative pourrait réduire la capacité d’innovation est une insulte au savoir-faire paysan, à sa capacité d’inventer en permanence de nouveaux systèmes agricoles, de nouvelles techniques, de nouveaux rapports commerciaux entre partenaires. La vision du Conseil fédéral est simpliste : seule l’industrie agro-alimentaire est porteuse d’innovation, les paysans, eux, ne sont bons qu’à produire des denrées avec lesquelles l’industrie innove. Pourtant, si nous prenons les semences paysannes, versus les semences industrielles, qui a le plus innové dans le secteur ? Les industries se sont limitées à développer des semences certes performantes à court terme, mais qui ne le sont que si elles sont aidées à grand renfort d’intrants en tout genre et dont la liste des variétés cultivées se réduit inexorablement, laissant entrevoir un danger d’appauvrissement de l’agro-biodiversité entrainant des risques accrus de maladies. Les producteurs de semences paysannes cherchent à travailler avec certaines variétés qui ont fait leur preuve, souvent avec l’appui de la recherche publique, ils les adaptent aux changements climatiques actuels, ils se préoccupent de dimensions qui vont au-delà de la simple performance en terme de rendement. En se questionnant par exemple sur leur valeur nutritive ou sur la réduction des intolérances alimentaires. Des points si essentiels à une société qui aujourd’hui souffre dans son corps d’une alimentation industrialisée qui n’a fait qu’accroitre les maladies et les coûts de santé y afférents.

Des structures diversifiées, socle de l’agriculture paysanne

Le Conseil fédéral cherche également à cantonner notre initiative dans la promotion de la « petite paysannerie », de l’agriculture à « petite échelle », alors que ces termes ne sont jamais utilisés dans notre texte, et ceci de manière parfaitement consciente de notre part. Nous parlons d’agriculture paysanne : une agriculture qui est en phase avec son environnement économique, écologique et social. Une agriculture qui est rémunératrice, créatrice d’emplois sur les fermes et en amont et en aval en promouvant des filières alimentaires de proximité favorisant les métiers si précieux de l’artisanat. Au sein d’Uniterre, nous avons des petites, des moyennes et des grandes fermes qui constituent la base de nos membres. C’est bien à cette diversité que nous souhaitons un avenir à long terme. Le Conseil fédéral nous accuse de vouloir orienter la politique agricole vers de petites fermes alors qu’il n’en est rien ; nous voulons donner des chances égales à toutes les formes de structures, pour autant que celles-ci se développent autour d’un projet rémunérateur pour tous les acteurs, respectueux de l’environnement, des liens sociaux et de la santé des consommateurs. S’il y a bien quelqu’un qui a cherché à orienter la politique agricole, c’est le Conseil fédéral. Il a pratiqué le dogme du « croître ou disparaître » depuis 30 ans avec les conséquences que nous constatons aujourd’hui : des exploitations agricoles de plus en plus spécialisées, à la merci de la volatilité des prix, en déséquilibre et en précarité constante sur tous les plans et qui, en raison de leur taille, seront difficilement transmissibles à la génération future.

Une vision d’avenir

Gouverner, c’est prévoir comme le dit le dicton. Notre initiative est certes en rupture avec la politique actuelle qui vise à baser la compétitivité sur la seule notion « du prix le plus bas », fixé sur la base des 10 % de denrées alimentaires qui franchissent les frontières. Notre initiative est résolument visionnaire puisqu’elle se projette justement au-delà de la génération actuelle et pose clairement les enjeux agricoles et alimentaires du futur. Lorsque le Conseil fédéral estime que notre initiative est contraire à la politique actuelle qui vise à miser sur le progrès technique et à une baisse constante des emplois, nous répondons par l’affirmative. Parce que nous sommes justement persuadés que les paysans - si nous leur en donnons les moyens via un cadre légal plus approprié et éthique - seront en mesure de développer avec leurs partenaires, des filières dynamiques, rémunératrices, créatrices d’emplois et répondant dès à présent aux aspirations à une meilleure alimentation pour demain.

A nous, tous ensemble, de porter ce projet novateur auprès des citoyennes et citoyens de ce pays.

Valentina Hemmeler Maïga