samedi, 29 mai 2021
#

Mon plus grand regret vis-à-vis des votations du 13 juin, est que les deux initiatives "phytos" soient votées en même temps ! Personne ne s'en aperçoit, mais c'est une catastrophe ! Les camps du 2xoui et du 2xnon, le savent très bien, mais espèrent tous deux profiter de l'amalgame. C'est totalement irresponsable ! On peut déjà dire que c'est cette confusion qui aura donné la victoire au gagnant, et la défaite au perdant, quelle que soit l’issue du scrutin.

Il faut savoir qu'il s'agit de deux projets indépendants qui n'ont pas été déposés en même temps, mais dont il a été décidé au niveau fédéral qu'ils seraient votés le même jour. Certains estiment qu'il s'agit d'une stratégie politique fumeuse pour les couler toutes les deux. C'est une hypothèse assez … raisonnable. Bien malheureusement, une grande partie de la population n'a lu de ces initiatives que le titre et a l'impression de deux textes complémentaires. Il s'agit plutôt d'initiatives qui se superposent dans leurs intentions mais qui varient grandement dans les mesures qu'elles proposent. Accepter l'une ou l'autre pourrait avoir, dans les grandes lignes, les mêmes effets sur la diminution des substances toxiques dans la nature, l'eau et les sols.

Cela revient à dire quelque chose de très important, mais dont il me semble que très peu sont conscients : en les acceptants les deux conjointement, on ne va pas doubler leurs effets. Dans les deux cas, il n’y aura plus ou moins de pesticides. En revanche, on va doubler les contraintes qui seront ensuite imposées aux agriculteurs ! Plus grave : leurs différences font qu’elles n’ont pas beaucoup de sens à être acceptées ensemble. L’une veut interdire, l’autre veut « encourager à ne pas ». Mais encourager à ne pas faire quelque chose qui est interdit : ça n’a aucun sens ni aucun intérêt. De là, si on se dit favorable à la limitation des produits phytosanitaires, je crois sincèrement qu’on devrait en réalité se demander quelle est la meilleure, et ne pas voter les deux !

C'est stratégiquement problématique, bien entendu : les initiants savent qu'en se tirant dans les pattes, ils servent les intérêts du 2xNON. Pendant ce temps, les défenseurs du 2xNON cultivent l'ambiguïté en présentant des arguments qui ne visent que l'une pour dire qu'il faut les rejeter les deux. Le glissement du pluriel au singulier est même une marque de fabrique. On voit souvent "si l'initiative est acceptée, bla bla bla" mais laquelle ?

Il faut bien comprendre que c’est un pari risqué pour les deux camps : en cristallisant l’idée que ces initiatives sont mêlées et en refusant – comme l’a fait Guy Parmelin sur Infrarouge – de désigner la « moins mauvaise », les agriculteurs du 2xNON risquent bien de se retrouver avec la totale ! De même, le 2xOUI risque bien de n’avoir rien du tout alors qu’il aurait pu montrer un visage moins « extrême » que ce qu’on lui prête.

Si vous avez déjà trouvé ce texte déjà trop long. Je vous propose de réfléchir à cette idée, et de relire les textes en ayant cela en tête. Pour ceux qui souhaitent poursuivre, je vais vous donner mon avis. Encore une fois, sans vous dire si vous devez être pour ou contre une diminution des pesticides, mais de quelle manière il serait préférable de le faire, si on veut/doit le faire.

Je ne vais pas faire durer le suspense, je pense qu'il y a en a clairement une qui est meilleure que l'autre, c'est d'ailleurs celle qui est soutenue par plusieurs organisations paysannes dont BioSuisse : "Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse".

Dans les grandes lignes, cette initiative propose que d'ici 10 ans, il ne soit plus possible d'utiliser de pesticides de synthèse dans tous domaines (agriculture, jardinage, entretien du paysage et des parcs urbains, stades de foot, etc). Il serait toujours possible d'utiliser les pesticides aujourd'hui autorisés en Bio, à savoir ceux qui existent sous forme naturelle et qui, pour la plupart, se dégradent assez bien dans les sols. Elle prévoit aussi que les denrées alimentaires ne puissent plus être importées si elles ont été produites avec des produits de synthèse. L'idée étant que les producteurs suisses ne soient pas désavantagés par rapport à leurs concurrents étrangers.

En face, l'initiative "eau potable propre" veut encourager l'abandon des mêmes pesticides de synthèse en proposant que seuls les agriculteurs qui y renoncent ne reçoivent de paiements directs de la part de la Confédération. Il faudra aussi qu'ils renoncent à l'utilisation des antibiotiques à titre préventif et devront produire la nourriture destinée à leurs animaux sur leur propre exploitation.

La première initiative vise donc un problème précis, traite tous les acteurs qui seront concernés de la même manière (pas de stigmatisation de l'agriculture) et envisage des solutions vis-à-vis de la compétitivité avec l'étranger.

La seconde a un titre qui porte sur l'eau, mais ses intentions vont dans plusieurs directions (pesticides, fourrage, antibiotiques). Elle ne prévoit rien pour palier au problème de la compétitivité avec l'étranger et vise les agriculteurs uniquement.

Selon moi, "eau propre" a deux défauts majeurs :

- Elle s'attaque à la question totalement connexe de la production de fourrage sur les exploitations, alors que, même si c'est un thème que l'on peut discuter, cela n'a pas grand-chose à voir avec les pesticides et l'eau. En gros, la plupart des agriculteurs produisent du foin ou du silo d'herbe sur leur ferme. Mais leurs animaux ont également besoin de nourriture concentrée plus riche (farine de céréales, maïs, etc) ou contenant des protéines (soja, luzerne, etc). Or ce sont là des cultures qui ne sont pas à la portée de tous : seules les exploitations de basse altitude peuvent espérer produire du maïs grain par exemple. Et produire de la protéine végétale est quelque chose de très difficile dans notre pays (on ne couvre pas les besoins indigènes). Il est donc devenu totalement banal en agriculture (bio ou non) d'acheter une partie du fourrage concentré. Bien entendu, dès lors qu'il y a un marché, il y a jeu de la concurrence, pression sur les prix et... importations. Une partie significative du fourrage concentré utilisé en Suisse provient de l'étranger. Et c'est probablement pour cette raison que l'initiative les prend pour cible. C’est une thématique qui soulève beaucoup de questions, mais qui, à mon avis, n’est que très indirectement liée aux pesticides.

- L'initiative "eau propre" emploie le levier des paiements directs pour encourager les agriculteurs à renoncer "librement" aux pesticides de synthèse. Vous ne le savez peut-être pas, mais la quasi-totalité des agriculteurs touchent de l'argent de la Confédération en échange de prestations écologiques : le fait d'entretenir le paysage, d'avoir des prairies qui favorisent la biodiversité, le fait de ne pas faucher trop tôt, et bien d'autres. Le système a connu plusieurs réformes, mais il est très important de comprendre à quoi il sert. La Suisse est un pays qui produit beaucoup de biens industriels à forte valeur ajoutée (horlogerie, machines-outils, produits pharmaceutiques, etc). Pour vendre ses produits, elle doit pouvoir accéder à des marchés étrangers. Or, elle se retrouve fatalement face à des pays dont l'économie est davantage basée sur des produits primaires. En bref, si vous voulez vendre une montre à un pays qui n'en produit pas, vous devez accepter, en échange, de vendre chez vous ses produits agricoles qui sont généralement moins chers que les vôtres : les agriculteurs suisses ne peuvent pas survivre à cette concurrence. La plupart des pays européens en ont fait les frais en s'ouvrant à la mondialisation : leur industrie et leur production primaire ont été délocalisées et l'agriculture n'y est plus possible que dans des super-exploitations industrielles. L'agriculture paysanne et familiale ont pratiquement disparu.

La Suisse, qui voyait en l'agriculture une part de son identité a décidé de subventionner ses paysans pour qu'ils puissent régater. Les paiements directs, c'est donc l'outil qui permet de vendre de la pharma et des montres sans sacrifier notre agriculture. Et c'est à cela que ça sert avant tout ! Même si des réformes parlent aujourd'hui de prestations écologiques et si des réglages fins permettent de piloter la politique agricole, il ne faut pas oublier que le nerf de la guerre se situe dans une stratégie économique vis-à-vis de l'étranger. Or c'est justement cela que je reproche à l'initiative "eau propre" : faire comme si les paiements directs étaient un levier sur lequel on pouvait appuyer à loisir en mode « on/off » pour faire pression sur les agriculteurs qui sont déjà sous pression. Non, ce levier est déjà utilisé et a déjà une fonction vitale pour les agriculteurs ! Je pense que les initiants ne comprennent pas bien ces ramifications. Autre problème : en laissant le choix aux exploitants de renoncer aux paiements directs pour continuer à utiliser des produits de synthèse, cette initiative pourrait engager une agriculture à deux vitesses et introduire sur notre sol les fameuses super-exploitations qu'on voit en Europe. On se retrouverait ainsi avec des agriculteurs qui ne répondraient à plus aucune des mesures d'incitation écologiques et qui pourraient utiliser des pesticides de synthèse avec moins de retenue qu’aujourd’hui !

Encore une fois, je ne suis pas là pour vous dire quoi voter, mais si vous êtes favorables à une diminution des pesticides de synthèse, n'oubliez pas que 2xOUI n'est pas la seule approche. 1x OUI et 1xNON est un compromis tout à fait raisonnable qui ménage les agriculteurs et atteint sensiblement les mêmes effets. Si vous êtes défavorables, pensez-y également : mettre un peu d’eau dans votre vin lorsque vous parlez à vos amis pourrait sauver les meubles !

Il y a bien sûr aussi des choses à dire à l’égard de « Suisse libre », mais je les traiterai une autre fois ! Voilà pour les considérations générales. J'aimerais encore aborder quelques arguments généraux puis je viendrai au sujet qui vous intéresse, celui des abeilles dans tout cela !


Guillaume Kaufmann, La Chaux-de-Fonds

_

Au sein d'Uniterre, nous avons lors de différents échanges, discussions et consultations internes recueillis un certain nombre de réflexions que nous aimerions rendre accessibles à nos membres et sympathisants pour nourrir le débat afin qu'il permette à notre mouvement d'encourager la transition plus que jamais nécessaire vers une agriculture paysanne valorisée et durable sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux.