Dans sa séance du 6 septembre 2019, le comité directeur d’Uniterre, réuni à Berne, a longuement débattu des deux initiatives visant à réduire ou supprimer l’usage des produits phytosanitaires de synthèse dans l’agriculture. Ces deux textes, « Initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse » et « Initiative pour une eau potable propre et une alimentation saine », font très largement débat non seulement au sein de l’agriculture, mais également auprès de la société civile, de laquelle elles sont du reste issues.
La première, dite également Future 3.0, demande, dans un délai de 10 ans, l’interdiction de l’utilisation des phytos de synthèse en agriculture mais également pour l’entretien des paysages, espaces verts et espaces publics. Elle demande également à ce que les produits importés – pour l’alimentation humaine et animale – soient exempts de ces substances. (Référence pour le texte complet de l’initiative en fin d’article).
La mise en œuvre d’un tel projet serait exigeante pour l’agriculture. En effet, de nombreuses solutions seraient à trouver et mettre en place pour permettre aux familles paysannes de relever ce défi tout en assurant leurs revenus. Les bons résultats obtenus par les paysan.ne.s en agriculture biologique ne doivent pas nous faire sous-estimer les difficultés auxquelles il faudrait faire face.
Citons par exemple la nécessité de trouver une importante main-d’œuvre, qualifiée, pour le 85% des fermes qui ne sont actuellement pas bio. Citons également la nécessité de faire face à une immanquable baisse de rendement, pouvant aller jusqu’à 30% selon les cultures, un point crucial alors que nous dépendons de l’étranger pour plus d’une calorie sur deux. Evoquons la nécessité vitale d’engager massivement des fonds pour la recherche publique afin de développer des outils, des méthodes de culture et des produits naturels, en vue de protéger les cultures, et de sélectionner – sans recours aux OGM, cela va de soi – des variétés de végétaux qui sauront faire face à la foi aux ravageurs et aux importants changements climatiques qui nous attendent.
Relevons également la question centrale du marché. Si les agriculteurs peuvent fournir un effort supplémentaire en vue d’une production alimentaire plus écologique, ils ne peuvent en aucun cas être les seuls à en supporter les conséquences. En cas d’acceptation du texte, nous devrons exiger des prix équitables, rémunérateurs et garantis, la réduction des marges indécentes réalisées par la grande distribution sur la gamme bio, l’adhésion totale des citoyen.ne.s au mouvement, et une protection adéquate de la production helvétique aux frontières. Il est en outre hors de question d’accepter un quelconque nivellement des prix vers le bas, sous prétexte que le bio deviendrait la méthode standard de production.
Néanmoins, des familles paysannes nombreuses, plus de gens qui travaillent la terre, des structures modestes, à taille humaine, la répartition équitable de la plus-value au sein de chaque filière, l’indépendance vis-à-vis des grands groupes agro-industriels, c’est tout cela que cette initiative peut nous apporter. Et tout cela, ce n’est rien d’autre que la souveraineté alimentaire, pour laquelle nous nous battons de longue date. C’est pourquoi le comité directeur encourage ses membres à accepter le texte « Initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse », et s’engage à se battre bec et ongles pour que sa mise en œuvre ne soit pas une épreuve de plus pour les familles paysannes, mais plutôt le passage vers un nouveau chapitre.
Alors que la plupart des organisations agricoles et citoyennes de ce pays ont mis les deux initiatives sur un pied d’égalité et recommandent soit le 2x Oui, soit le 2x Non, Uniterre a choisi de les traiter séparément. En effet, si leurs buts sont très semblables, les moyens pour y parvenir sont bien différents.
L’initiative pour une eau potable propre et une alimentation saine souhaite conditionner l’obtention des paiements directs à plusieurs nouvelles règles, qui sont le renoncement aux pesticides de synthèse, le renoncement à l’utilisation de l’antibiothérapie prophylactique dans les troupeaux, et la détention d’animaux uniquement si leur fourrage peut être produit à 100% sur la ferme. Contrairement au premier texte, elle ne dit rien quant à la problématique des importations, et ne demande d’efforts qu’aux familles paysannes.
Un même but louable donc, mais un levier bien différent. Il s’agit d’un projet punitif qui désigne les familles paysannes comme seules coupables des pollutions observables dans nos cours d’eau. Dans leur argumentaire, le comité d’initiative a même l’audace d’affirmer que la population suisse paie les paysan.ne.s, via ses impôts et les paiements directs, pour polluer.
Le comité directeur a estimé que ce texte offre une très mauvaise solution au problème en présence. S’il est bien clair que la majorité des exploitations n’auraient d’autre choix que de se soumettre aux nouvelles conditions d’obtention des paiements directs, l’initiative n’interdit de fait pas l’utilisation des produits phyto sur le territoire helvétique. Dans certaines branches de production, telles que la viticulture ou l’arboriculture, il n’est pas incensé de concevoir que des producteurs feraient le choix de poursuivre leur travail avec les substances en question.
Le point le plus grave concerne cependant les importations. En omettant volontairement ce chapitre, l’initiative fait la promotion d’une agriculture suisse bien propre en ordre, sans se soucier de ce qu’il se passe chez nos voisins, ou à l’autre bout du monde. Ne serait-ce pas là la mise en place d’un système à deux vitesses ? Or, Uniterre a toujours fait la promotion d’une alimentation saine, basée sur un système de production familial, paysan, le plus respectueux possible, et cela pour toutes les couches de la population.De ce constat, le Comité directeur a conclu que l’initiative loupe totalement sa cible, raison pour laquelle il encourage les membres d’Uniterre et la population à rejeter ce texte.
La société civile, qu’on le veuille ou non, est entrée de façon bien décidée dans le processus de décision à l’égard de nos méthodes de production. Les familles paysannes sont au-devant d’un choix : décider de ne pas en tenir compte, ou engager avec les consommatrices et consommateurs un dialogue serein et constructif, fait de compréhension mutuelle, de respect et de partenariat. Avec l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse, une demande nous est faite. On peut toujours argumenter sur la forme. Mais sur le fond, nous y voyons une belle opportunité : celle de nous rapprocher de nos clients, pas les grands distributeurs qui nous malmènent depuis bien trop longtemps, mais bien les citoyennes et citoyens de ce pays qui redécouvrent avec enthousiasme le plaisir de se nourrir avec les produits du coin.
Alors on y va, mais tous ensemble !
Vanessa Renfer, secrétaire d’Uniterre