L’Interprofession du Gruyère a fêté le 6 juillet 2021 ses 20 ans en grande pompe. L’occasion pour Uniterre de revenir sur les débuts de cette Interprofession et de rétablir quelques vérités.
Interview croisée de Max Fragnière – ancien président de la section Fribourg d’Uniterre, ancien membre de l’IPG et Gaston Nicolier – président d’Uniterre à l’époque de la création de l’IPG.
Nous avons trouvé dans les archives du journal d’Uniterre, anciennement appelé l’Union des Producteurs Suisses (UPS) les PV des 1ères discussions sur le Gruyère en 1992. Pouvez-vous nous en dire plus. Pourquoi ces discussions ?
MF&GN : Cremo a annoncé vouloir industrialiser la production de Gruyère et construire une première centrale dans le canton de Fribourg, qui puisse transformer 15 millions de kg de lait en Gruyère sur une année. Pour nous, c’était une grosse erreur : la fabrication du fromage tel que le Gruyère devait rester artisanale, autant pour garantir une qualité gustative et éviter une « standardisation du goût », que pour garder la main sur la gestion des quantités et donc sur un prix rémunérateur aux producteurs.
L’Union (pour désigner l’UPS tout au long de l’article) s’y oppose fermement et lance une pétition qui récoltera 10 000 signatures en 20 jours.
Et pendant ce temps, l’Union Centrale des Producteurs de Lait (UCPL) qui est l’ancienne Fédération des Producteurs Suisses de Lait (FPSL) donnait son accord (mais pour 5 millions de kg) et allait ainsi à l’encontre des nombreuses personnes et institutions qui s’y opposaient. Au sein de la Fédération des Sociétés Laitières Fribourgeoises (FSLF), ancêtre de la Fédération des Sociétés Fribourgeoises de Laiterie (FSFL), les avis étaient partagés mais le soutien l’a finalement emporté.
Que s’est-il passé ensuite ?
MF: 2 choses : la 1ère, pour contrer cela, il nous a fallu rapidement mettre en place une charte du Gruyère afin de limiter la production du Gruyère aux fromageries artisanales. Nous avons pour cela rencontré Philippe Bardet un 8 décembre, je n’ai plus l’année exacte en tête, autour de 1990. Philippe Bardet était alors membre de la Fédération des Sociétés d’Agriculture de la Suisse Romande (FSASR), qui est l’équivalent aujourd’hui de la Fenaco suisse romande. La charte sera créée et signée le 2 juillet 1992 et Philippe Bardet deviendra le secrétaire de la Commission de cette charte.
La 2ème chose : nous avons fait recours à l’OFAG contre la décision de l’UCPL d’approuver la fabrication des ateliers de production du Gruyère de Cremo. L’OFAG nous a répondu que ce recours n’était pas recevable. Nous avons alors fait recours auprès du Tribunal Fédéral - même réponse : demande irrecevable. Résultat : Cremo a pu mettre en place une structure pour la production du Gruyère.
GN: j’ai du coup proposé d’aller occuper les ateliers du Gruyère de la Cremo. Je déplorais le manque de pouvoir des paysans au sein de l’UCPL. Il y avait déjà une surproduction et on craignait que celle-ci ne se détériore encore. Alors que la condition sine qua none pour maîtriser les prix, c’était la gestion des quantités de production.
Il y avait alors une charte du Gruyère. Quelle a été l’étape suivante ?
GN: Suite à des échanges avec des fromagers français qui avaient développé des fromages avec Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), l’idée est venue de développer aussi une AOC pour le Gruyère. La Charte du Gruyère a eu comme tâche principale d’élaborer ce dossier pour l’AOC, et pour cela, définir quelles étaient les étapes de production d’un Gruyère AOC.
MF&GN: La coordination nécessaire pour respecter les méthodes de production propre au Gruyère nécessitait une organisation particulière et en 1995, l’Union a fait les démarches pour la création d’une interprofession. Sa structure idéale : 4 producteurs, 4 fromagers, 4 affineurs et 1 président indépendant ainsi que l’assurance que chaque groupe ait ses propres délégués. Son travail : que les trois groupes s’entendent sur les prix, les marges et les quantités de chacun.
D’ailleurs, l’équipe de l’époque avait proposé que ce soit Fernand Cuche qui soit directeur mais Fernand Cuche n’a pas accepté.
Et Cremo dans tout ça ?
GN: Cremo a malgré tout démarré sa production de Gruyère. Du coup, notre priorité était que Cremo ne puisse pas avoir l’AOC, celle-ci devait être réservée aux fromageries artisanales villageoises.
Suite des événements
L’assemblée constitutive de l’IPG a eu lieu le 2 juin 1997 à Gruyères. Son 1er directeur fut Philippe Bardet, toujours en fonction aujourd’hui. Et Le 1er président, Pierre Dubois, ancien conseiller d’état neuchâtelois. Le président actuel de l’IPG est Oswald Kessler.
Le 22 janvier 1998, la demande d’AOC pour le Gruyère a été remise à l’OFAG. L’AOC Gruyère sera instaurée le 6 juillet 2001 puis remplacée par l’Appellation d’Origine Protégée (AOP) en 2011.
Aujourd’hui, Cremo continue de fabriquer du Gruyère AOP.
Comment vous avez pris le fait que l’IPG fête ses 20 ans sans citer Uniterre, alors à la base de la création de cette Interprofession ?
MF: l’interprofession existe, c’est le plus important. Qu’elle donne satisfaction aux producteurs, qu’elle puisse leur apporter un bon prix du lait, ma foi, c’est l’essentiel. Que l’on n’ait pas participé à la fête des 20 ans, personnellement, je ne suis pas surpris.
GN: pour moi, l’important, c’est qu’on ait pu aboutir à la création de cette Interprofession et qu’on ait pu protéger la fabrication du Gruyère.
NB : certaines informations proviennent également des archives des journaux de l’UPS, Max Fragnière et Gaston Nicolier ne se souvenant pas de tout dans le détail.