vendredi, 16 novembre 2018
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Comment imaginer une souveraineté alimentaire sans souveraineté semencière ? Aujourd’hui, seulement 2 % des légumes cultivés en Suisse proviennent d’une semence cultivée dans le pays. Qui connaît encore le métier paysan de la graine à la casserole? La forme d’agriculture qui s’impose sur l’ensemble de la planète est en train de faire disparaître à grande vitesse les savoirs dont chaque ferme pratiquant l’agriculture paysanne est une expression unique et en constante évolution.

En 2003, la Via Campesina a lancé la campagne « Semences, patrimoine des peuples au service de l’humanité »1, qui a amené différentes organisations paysannes à s’emparer de la problématique de la privatisation des semences, et à alerter l’opinion publique sur le danger d’une perte de contrôle des populations sur leur alimentation. Concrètement, cette campagne a pris différentes formes : lutte pour la liberté d’échanger nos semences, sauvegarde d’expériences locales de sélection paysanne, luttes contre les OGM, ou encore échange de savoirs et de semences dans les foires paysannes. Pour donner une nouvelle dimension à cette campagne, en 2017, le Mouvement des petits agriculteurs (MPA) du Brésil et l’Association des femmes paysannes de Corée (KWPA) ont proposé l’action « Adoptons une semence », pour que toutes les familles paysannes membres de la Via Campesina relèvent le défi d’adopter une semence paysanne.

Les semences ont toujours été au centre des préoccupations de l’Association des femmes paysannes de Corée. L’idée d’adopter une semence a surgi en 2008, en réaction à la hausse d’importation de maïs transgénique. Un mouvement de résistance s’est alors développé en lien avec des organisations urbaines. Le KWPA a fait un grand travail pour répertorier les semences locales, avec leurs caractéristiques et leur historique, et pour promouvoir leur culture, notamment en organisant des cours de cuisine traditionnelle.

A l’invitation du MPA, une première rencontre mondiale « Adoptons une semence » a eu lieu du 29 août au 4 septembre 2018 au nord-est du Brésil, à laquelle a participé une délégation formée d’une représentante par continent.

Lancement de la campagne au Brésil

La délégation a parcouru 1700 kilomètres dans les États de Sergipe et de Bahia, où elle a visité six communautés paysannes organisées par le MPA, leurs parcelles et leurs Maisons de Semences Paysannes. Ces communautés mènent une lutte constante pour la terre, l’eau et la biodiversité dans le Sertão, une grande région semi-aride du Brésil. Avec l’expansion de l’agrobusiness dans la région et la sécheresse qui sévit depuis six ans, alors que l’eau disponible est allouée principalement aux grandes monocultures d’exportation et aux centres urbains, beaucoup de variétés de semences ont été perdues.

C’est donc dans des conditions particulièrement difficiles que ces communautés ont posé les premières pierres de cette action.

Le 30 août a eu lieu à Poço Redondo le lancement de la campagne « Chaque famille adopte une semence » dans l’État de Sergipe, au cours de laquelle, entre théâtre populaire et discours, des familles gardiennes de semences ont remis des variétés de maïs, de haricots ou de pois à de nouvelles familles paysannes.

« Nous savons que nos semences sont un grand trésor, qui signifie autonomie, culture et Souveraineté Alimentaire pour les paysannes et paysans. Par contre, pour l’agroindustrie et le capitalisme, elles ne signifient que profit. C’est pour cela que nous réaffirmons notre engagement avec la défense, la sauvegarde, la multiplication et la conservation des semences paysannes, en cherchant à augmenter la participation de chaque famille dans ce processus. » C’est ainsi que le Mouvement des Petits Agriculteurs invite ses membres à joindre leurs forces à la campagne internationale « adoptons une semence » lancée par la Via Campesina.

« La stratégie est que chaque famille assume l’engagement d’adopter une nouvelle semence de son choix » ajoute l’appel du MPA. « Celle qui éveille en nous le plus d’intérêt, pour notre identité, pour notre territoire, comme affirmation de notre mode de vie paysan. La famille doit devenir la gardienne de cette semence, garantissant sa propagation. Après l’adoption, la famille doit organiser la reproduction et la distribution de cette semence. L’idée est de créer un grand réseau de semences paysannes, de récupérer celles qui se font rares et d’en augmenter la production. (…) Comme résultat de cette campagne, nous aurons des milliers de familles renforçant la biodiversité, sauvegardant des variétés menacées, garantissant notre souveraineté et capacité productive. C’est une action directe pour empêcher que les multinationales s’approprient des semences paysannes, détruisant ainsi notre autonomie et la biodiversité. Sans les semences paysannes, l’agriculture paysanne est otage des multinationales. (…) Les semences sont l’un des maillons de l’agriculture paysanne et de la production d’aliments sains. Nous n’atteindrons la Souveraineté Alimentaire que si les semences paysannes sont à nouveau sous la protection des paysannes et paysans. »

Le MPA de Sergipe a fixé comme objectif que 200 nouvelles familles paysannes par an adoptent une semence. Dans l’Etat de Bahia, qui a lancé sa campagne au mois de février, l’objectif est de 500 familles par année. En juillet, elles étaient déjà plus de 250 à avoir pris cet engagement. Dans chaque micro région, déterminée par une unité climatique et l’organisation autour d’une même Maison des semences paysannes, il est préconisé que chaque variété soit reproduite par au moins trois familles. Les variétés les plus rares sont de plus suivies de près non seulement par les Maisons de semences communautaires, mais aussi par la Maison « mère », située dans l’Unité de production paysanne gérée par le MPA régional.

Et ici ?

Cette action, pour prendre tout son sens, doit s’étendre à toutes les régions du monde, lancer une dynamique de souveraineté semencière dans chaque région. Que chaque région redevienne capable de produire ses semences, et de se passer de l’agroindustrie.

Une population ne peut pas choisir son alimentation si elle dépend de la production de semences planifiée en d’autres lieux. Il devrait être possible tant pour les paysans que pour les jardiniers amateurs de semer des semences sélectionnées et multipliées localement, dans une dynamique participative. Choisir le goût de nos aliments. Choisir la manière de les produire, de les transformer, de les distribuer. La souveraineté alimentaire n’implique pas seulement une production locale, mais une conception de la nourriture comme bien commun d’une population. Et un bien n’est commun que si l’ensemble du groupe concerné s’en soucie.

Il y a quelques jours, le 16 octobre dernier, dans différentes régions du monde, des organisations paysannes membres de la Via Campesina ont organisé des activités autour de la campagne « Adoptons une semence». J’invite les membres et sympathisantes d’Uniterre à réfléchir à la manière de se joindre à cette campagne, dont la force est de proposer un engagement sur le long terme, permettant de réunir dans une pratique commune et complémentaire toutes les paysannes de la Via Campesina à travers le monde.

La production de semences paysannes a de tout temps été, d’une façon ou d’une autre, planifiée collectivement, comme dans les Maisons des semences paysannes qui se multiplient actuellement en France. Dans certaines de ces dernières, la mise en commun de la production de semence permet de couvrir jusqu’à 80% de leurs besoins. Nous ferions bien d’en prendre de la graine !

Concrètement, je propose des séances d’information et de discussion sur la campagne « Adoptons une semence » dans chaque section d’Uniterre. A terme, construire notre souveraineté alimentaire ne pourra pas faire l’impasse sur les semences, et l’une des briques de cette construction pourrait être de mettre en place une Maison des Semences paysannes dans chaque région, outil commun des paysannes d’Uniterre, et point de rencontre avec les autres initiatives locales de sauvegarde de la biodiversité.

Joël Mützenberg, membre d'Uniterre

1. Lire à ce sujet la brochure Nos semences, notre futur.

viacampesina.org/fr/les-semences-notre-futur/


Plus d'informations sur l'action "adopte une semence"

https://viacampesina.org/fr/16-octobre-la-via-camp...