La ferme des Chezeaux cultive des variétés anciennes de céréales. Petit épeautre, amidonnier noir et blés y font aller leurs épis en fin de saison, aux côtés des sarrasins, mélilots, pommes de terre, millets, pois et camélines. Une nouvelle culture s'ajoute en 2014, des variétés d'amarante de Kokopelli, dont l'une est panifiable. Et justement, c'est la farine à pain le principal produit de la ferme. Les grains d'une multitude de céréales sont moulus sur un moulin Astrié. Le résultat est ensuite pétri sur les tables de boulangers à proximité ou chez les consommateurs, entre autres ceux du Panier Bio des 3 Vallons. A l'éventail des farines s'ajoutent miel, viandes de boeuf et de chèvre, fromages de chèvre. A la Ferme Arc-en-ciel de Juriens, au pied du Jura, on cultive donc la diversité. C'est la philosophie de l'entreprise, possible seulement en cultivant également une variété de collaborations à dimension humaine. Rencontre.
L’histoire de tout ça
En 2005, Cédric Chezeaux reprend la ferme de Juriens et en profite pour rénover son logement. Avec sa femme Christine, une réflexion s’engage. Quels matériaux utiliser pour la maison? Des produits non-synthétiques et de qualité, entre autres un crépit isolant à base de chanvre, c’était l’unique réponse à leurs yeux. La rénovation s’est terminée dans un plus long laps de temps, mais ces matériaux nous plaisaient et correspondaient à nos valeurs. Cette décision coïncide avec l’arrivée de leurs enfants. Ils en ont 6 maintenant. Et bien que ce n’était pas l’idée au départ, le couple se lance vers la conversion en biologique.
Une rencontre avec Pierre Rabhi, venu à Lausanne en 2005, est un élément-clé dans leurs réflexions. Les pistes d’actions proposées par cet agriculteur promoteur d’agroécologie - une agriculture sans produits chimiques et contractuelle - concordaient avec leur projet. La cohérence devenait ainsi plus complète. 2007 marque donc leur départ en agriculture biologique.
Puis, ce fut le retrait de la production laitière. Malgré la valorisation de notre lait labellisé «Gruyère AOP bio», nous avons délaissé ce secteur. Dans un moment où le secteur n’allait pas bien, nous avons pris cette décision. Mais je l’aurais fait de toute manière. Ça faisait des années qu’on en parlait. Je vivais de la vente du lait, se rappelle Cédric.
Et doucement, la production laitière passe de bovine à caprine. Puis l’élevage animal devient plus marginal, la ferme se concentrant sur la culture des céréales. L’élevage avait pris le pas sur tout le reste, la ferme dépendait de l’élevage laitier, explique Cédric. On connaît la conversion énergétique de la production animale. On a donc choisi de quitter cette logique pour nous concentrer sur le végétal.
Pétrir des pains de céréales anciennes
Il y a quelques années, j’ai croisé un boulanger qui faisait les mêmes réflexions que moi, raconte Cédric. Las d’un boulot 7 jours sur 7, où on ne fait qu’appliquer des recettes de manière routière, Marc Haller, boulanger d’un four banal à L’Abergement, souhaitait changer de rythme. Il avait déjà semé des variétés anciennes. Cette rencontre est le point de départ d’une collaboration. Nous avons visité une ferme en Côte-d’Or. Nous avons découvert ensemble ces parfums si variés des variétés anciennes. En 2008, nous faisons les premiers essais de variétés anciennes de blés, de petit épeautre et d’amidonnier noir, explique Cédric. Un peu plus tard, Didier Nicolet, paysan de formation, travaillant aussi dans un four banal, sème avec eux des variétés qu’il ne retrouvait pas sur le marché. La gamme de variétés cultivées par les Chezeaux est maintenant une décision inspirée des boulangers. Le travail se planifie et s’effectue de pair.
En 2012, cette collection de 16 variétés couvrait 50 m2. Maintenant, on en compte 30 sur 3000 à 4000 m2. La récolte 2014 de cette collection devrait leur offrir des volumes conséquents de farines pour en tester la qualité, puis amélioreront avec le temps la diversité des 20 ha actuellement cultivés.
D’autres collaborations: transformer le lait de chèvre
Ayant réduit le cheptel à quelques vaches et une cinquantaine de chèvres, les Chezeaux ne font plus la transformation du lait. On ne voulait pas porter toutes les casquettes, mentionne Cédric. Le lait est revendu aux fromagères Cora Jaquet et Madlen Weyermann, qui le transforment dans l’ancienne laiterie du village de Juriens, louée à la Coopérative agricole de Juriens et réaménagée cet hiver aux normes officielles d’hygiène.
Madlen, qui avait réalisé son stage de formation de CFC d’agricultrice chez nous, et Cora, deux agricultrices sans terre, sont venues vers nous l’an passé, nous demandant si nous voyions une place pour elles dans notre ferme, se rappellent Cédric et Christine. Le couple ouvre ainsi les portes de l’entreprise et imagine une collaboration d’abord à travers la transformation du lait. Les deux jeunes femmes produisent 5 jours par semaine un fromage de chèvre mi-dur au lait cru affiné au moins 60 jours en cave ainsi qu’un fromage à griller style Halumi d’après une recette cypriote. Elles gèrent ensuite la vente. Rajouter des personnes extérieures à une ferme n’est pas tout simple, témoigne Madlen. Il faut trouver un fonctionnement qui parle à tout le monde, créer des espaces d’échange sur les divers travaux, définir la place que devraient avoir ces nouvelles personnes, préciser ce qui est géré de façon commune.
Cette collaboration a évolué, continuera d’évoluer et s’ajoutera à la diversité qui entoure notre ferme. Nous apprenons à nous connaître, nous prenons nos repères, expliquent les Chezeaux. Cora et Madlen cultivent maintenant 1 lopin de terre en fraises, ½ ha de maïs à polenta et éventuellement, imaginent planter quelques variétés de petits fruits.
Et la collaboration se poursuit, le lait de chèvre est en demande. Un autre jour par semaine, il est transformé par une fromagère de la Vallée de Joux, une précieuse partenaire qui soutient Cédric et Christine depuis de nombreuses années dans cette aventure biologique. Finalement, le lait du dernier jour de la semaine est transformé en fromages frais par la mère de Cédric. C’est extrêmement gratifiant de voir notre travail ainsi reconnu et apprécié. Nous en ressentons une grande satisfaction, souligne Cédric.
Collaborer à travers la vente
Depuis 4 ans maintenant, aux côtés de 3 autres producteurs, la ferme est liée au Panier Bio des 3 Vallons, initiative d’agriculture contractuelle de proximité créée en 2011, dans le Jura vaudois, entre Cossonay et Orbe. Le couple accueille donc Christian Bovigny, paysan sans terre, qui gère 1 serre de 600 m2 en maraîchage et depuis peu, un 2e tunnel. Christian cultive aussi à Moiry en pleine terre, chez un autre paysan collaborateur. Cette participation au Panier Bio des 3 Vallons permet en contrepartie la présentation des produits de la ferme des Chezeaux à d’autres clients.
De plus, quatre fois par an, la vente de produits transformés est élargie et des commandes complémentaires en ligne s’ajoutent. Nous y vendons nos cabris, précise Christine Chezeaux. Nos clients sont contents de voir s’étendre l’offre, et heureusement, savent attendre quand nous n’arrivons pas à fournir la demande de viande séchée et de saucisses. Ils comprennent, restent intéressés, sensibles et motivés à acheter nos produits.
D’autres exemples
Dans le cadre des rencontres Grundvig-Agroécologie à Gaillac (ndlr: projet européen pour lequel Uniterre reçoit un financement pour la participation de paysans), nous avions rencontré un producteur d’ovins ayant également ouvert les portes de leur ferme à des paysans sans terre. L’aventure est passionnante, de l’avis de Cédric, et doit être bénéfique pour les deux parties. La bonne entente dépend de la définition initiale des règles de collaboration. C’est sur cette base qu’on peut construire. Bien sûr, le cadre ne doit pas être strict au départ, conseille Cédric.
Partenariat familial
Infirmière spécialisée en médecines douces - entre autres l’aromathérapie, la fabrication de pommades, l’utilisation de fleurs de Bach et bientôt la réflexologie - Christine Chezeaux joue un rôle capital dans l’entreprise. Son travail de comptabilité et de lien avec la clientèle, mais surtout celui lié à chaque volet de la vie familiale, en fait une partenaire essentielle, base des activités de la ferme. Le père de Cédric apporte également sa touche. Les mélilots et sarrasins semés sont pour ses abeilles. Notre rythme de vie a bien chargé, nous avons une grande famille et devons prendre les bonnes décisions efficacement, explique Cédric.
Penser autrement
En tant que paysan, on est persuadé que ce qu’on produit ne peut qu’être bon. Mais ce n’est peut-être pas le cas. La betterave à sucre sert à la production de boissons trop sucrées. Les blés des mueslis pourraient contenir des fongicides. L’agriculteur peut «empoisonner» finalement. Quel choix faut-il faire? On peut ne pas y croire, ou changer, suggère Cédric. Certains agriculteurs sont performants dans le système traditionnel, poursuit-il. Ils ont besoin des mécanismes commerciaux pour survivre et sont formés dans ce moule. Peut-être voudraient-ils autre chose? Mais le paysan n’a-t-il pas également un autre rôle, celui de cultiver des produits de grande qualité nutritive?
Marie-Eve Cardinal