vendredi, 01 juillet 2016

milchgipfel27Mai-2Nous étions entre nous, sur le Gurten, en ce 27 mai 2016 à 9 heures du matin. Des hauts représentants de la production, la transformation et la commercialisation, triés sur le volet. Après tout, il fallait trouver des solutions à la crise et, donc, éviter les complications liées aux stupides questions des organisations de base. Le temps propice à la fenaison aidant, seule une poignée d'activistes infatigables s'est retrouvée pour protester.

 

 

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Au sommet du lait, on s’est accordé à considérer la crise laitière comme un événement d’une certaine ampleur et une menace pour de nombreuses exploitations. Tous les opérateurs du marché, c’est-à-dire leurs représentants les plus haut placés, ont eu l’occasion de prouver leur maîtrise de l’art oratoire en répétant leurs points de vue ordinaires avec éloquence. Des positionnements stratégiques et des voies prometteuses, du marketing et des conquêtes de nouveaux marchés ont fusé de toutes parts. Le Marché, cette autorité suprême et irréfutable, cette logique indiscutable avec ses règles et ses lois, et sa toute-puissance sur le commerce qui en découle - voici le fil rouge de toutes leurs allocutions. Sans exception, tous les intervenants ont souligné leur volonté de faire tout leur possible pour contribuer au fonctionnement du Marché pour le bien de tous. Des appels ont été lancés pour présenter un front uni, en insistant sur la nécessité de la coopération pour faire face à la crise.

D’une allocution à l’autre, je ressentais un malaise grandissant. Notre marché est basé sur la concurrence. Le profit est l’objectif et le sens de l’activité économique. De nombreux paysans, forcés de s’agrandir, deviennent des concurrents, c’est inhérent au système du marché, inéluctable. Nul besoin de malveillance. Le principe du « tous contre tous » est la loi et le quotidien de l’économie du marché. Que viennent donc faire ces appels d’unité, de solidarité et de partenariat ? Des décennies durant, on nous a inculqué de penser et d’agir comme des entrepreneurs. Les structures coopératives ont été remplacées par des formules et des méthodes fondées sur le gain d’efficacité.

Toutefois, dans le contexte de cette crise laitière profonde et persistante, souligner le côté brutal de cette économie basée sur le profit et le succès individuel n’aurait été ni stratégique ni prometteur. Par contre, dire qu’on tire sur la même corde et dans la même direction, ça fait meilleure impression. Et puis, lorsque l’on croît dans le Marché et son pouvoir salvateur, on peut ignorer en toute candeur les hauts et les bas, les fossés et les sommets.

Moi, j’entends bien le message, mais la foi me manque  Du moins, je ne suis pas le seul dans mon incrédulité. Mani Matter n’était pas seulement occupé à écrire des chansons excellentes, il réfléchissait également au fonctionnement de l’État et de la société. Dans son ouvrage « Cambridge Notizen », il notait l’importance primordiale de démocratiser l’économie. Il disait notamment que l’agriculture devrait bénéficier d’une garantie d’écoulement, que la production devrait être régulée et à planifiée. Dans ce même ouvrage, il raconte l’histoire d’une fille de la ville qui rend visite à un paysan. Lorsqu’il l’invita à aller voir si les poules avaient pondu des oeufs, elle ne put s’empêcher de rire. Elle secoua la tête et dit : « Il croit encore aux poules, celui-là ! »

Jakob Alt
traduction : Stefanie Schenk

Photos: Mathias Stalder