mardi, 23 mai 2017

droitsPaysansONU170515 9679wUne semaine de dense mobilisation a commencé à 9h le lundi 15 mai avec une centaine de personnes sur la place des Nations. Les 30 délégué-e-s internationaux de La Via Campesina et ses alliés sont arrivés dans un char tiré par un tracteur d'Uniterre Genève.

Le mecredi et le jeudi soir, deux soirées publiques réunissant des membres d’Uniterre et des délégués internationaux ont traité de « la relocalisation des systèmes alimentaires » et du « droit de promouvoir et protéger les semences paysannes ». Avec des exemples très concrets du terrain, ils ont captivé le public venu en nombre ; entre 80 et 100 personnes lors des deux événements.

Les négociations pour une Déclaration sur les Droits des paysans et autres personnes travaillant en milieu rural ont été âpres. Elles ont duré 4 jours, chaque article ayant suscité des remarques des Etats. La Via Campesina et ses alliés pêcheurs, peuples autochtones et pastoralistes comme les ONG ont contre-argumenté point par point. Le débat fut rude sur la souveraineté alimentaire, les revenus et les semences. Si la Suisse a tenu une attitude plutôt constructive, l’Union européenne continue de s’opposer à de nouveaux droits. Une 5ème et dernière semaine de négociation a donc été agendée pour 2018 afin de lever un maximum de freins ; en effet, malgré les difficultés nous pouvons constater que les Etats ont tout de même progressé dans leurs positions.

Valentina Hemmeler Maïga

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DroitsPaysans2017visuel-webDepuis Cape Town et jusqu’à Genève, en passant par Bruxelles, Delhi ou Buenos Aires, nous sommes tous mobilisés pour nos droits!

Voilà près de 15 ans que La Via Campesina se bat pour une déclaration internationale de l’ONU sur les droits paysans. Celle-ci ne résoudra pas tous les problèmes que rencontrent les personnes travaillant en milieu rural, mais elle a le mérite d’admettre l’existence de violations systématiques des droits paysans et de reconnaître certains droits tels que celui au revenu, aux semences ou à la terre qui ne figurent pas encore en tant que tels dans les instruments juridiques internationaux. La prochaine et probable dernière semaine de négociation se tiendra mi-mai à l’ONU à Genève.

Il serait faux de croire que cette Déclaration est réservée aux paysans souffrant d’expulsions au Brésil ou en Afrique du Sud, à une répression violente au Guatemala ou au Honduras ou à l’accaparement des terres en Indonésie ou en Ethiopie. En Europe aussi, elle nous concerne au plus haut point. C’est pourquoi nous nous sommes engagés depuis 2013 aux côtés de nos collègues pour rendre le contenu de cette déclaration solide!

Droit à une information transparente

A l’article 11 sur le «droit à l’information», la Déclaration rappelle l’importance d’être informés de manière transparente sur tous les sujets qui peuvent d’une manière ou d’une autre influer sur la vie des paysans. Au vu des difficultés que nous rencontrons en Suisse pour obtenir les informations de défense professionnelle sur la formation des prix, le dysfonctionnement du marché ou autres, rappeler ce besoin n’est pas superflu:

1 Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit de rechercher, de recevoir, de produire et de diffuser des informations, y compris des informations concernant les facteurs susceptibles d’influer sur la production, la transformation, la commercialisation et la distribution de leurs produits.

La reconnaissance du droit au revenu

En Europe comme ailleurs, la situation concernant les revenus paysans est dramatique. C’est pourquoi les membres de La Via Campesina Europe se sont fortement mobilisés pour obtenir un article revendiquant ce droit. Dans l’article 16 intitulé «Droits à des revenus et moyens de subsistance décents et aux moyens de production» vous pouvez y trouvez deux alinéas très intéressants:

3 Les États prendront des mesures appropriées pour renforcer et soutenir les marchés locaux, nationaux et régionaux, de manière à les faciliter, et pour assurer aux paysans et aux autres personnes travaillant dans les zones rurales un accès et une participation entiers et équitables à ces marchés afin d’y vendre leurs produits à des prix leur permettant, ainsi qu’à leur famille, de bénéficier d’un niveau de vie adéquat. Les prix devraient être fixés dans le cadre d’un processus équitable et transparent faisant appel à la participation des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et de leurs organisations.

4 Les États ne négligeront aucune mesure pour s’assurer que leurs politiques et programmes concernant le développement rural, l’agriculture, l’environnement, le commerce et l’investissement concourent effectivement à l’élargissement de l’éventail des options en matière de moyens de subsistance locaux et à la transition vers des modes de production agricole respectueux de l’environnement. Les États favoriseront la production agroécologique, biologique et durable, chaque fois que possible, et faciliteront les ventes directes des agriculteurs aux consommateurs.

5 Les États prendront les mesures requises pour accroître la résilience des paysans aux catastrophes naturelles et autres perturbations graves, telles que les dysfonctionnements du marché.

Cet article comme bien d’autres de cette Déclaration, si elle est adoptée l’an prochain aux Nations Unies, nous permettra de rappeler à notre gouvernement qu’il a des devoirs et obligations, reconnus au niveau des instances internationales et qu’il ne saurait se défausser en rejetant la responsabilité sur le «libre marché».

La souveraineté alimentaire fait son chemin

L’article 15, consacré à la «souveraineté alimentaire et au droit à l’alimentation» nous intéresse aussi tout particulièrement en raison de notre propre initiative populaire fédérale. Si globalement cet article mériterait quelques renforcements, l’alinéa 3 est intéressant puisqu’il exige plus de cohérences de la part des États dans leurs politiques publiques:

3 Les États élaboreront, en partenariat avec les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales, des politiques publiques visant à promouvoir et à préserver la souveraineté alimentaire aux niveaux local, national, régional et international, ainsi que des mécanismes destinés à en assurer la cohérence avec les autres politiques: agricoles, économiques, sociales et culturelles et relatives au développement.

La terre et les semences, au coeur des enjeux

Enfin, cette Déclaration a le grand mérite de rappeler des évidences pour les paysans qui ont été marginalisées en raison du rouleau compresseur de la mondialisation: le droit à la terre et aux semences, moyens indispensables à la production agricole! Parmi les nombreux alinéas qui composent ces articles, citons ceux-ci:

6 Les États procéderont à des réformes agraires redistributives pour faciliter un accès large et équitable à la terre et aux autres ressources naturelles utilisées dans les activités et nécessaires à la jouissance de conditions de vie adéquates, en particulier en faveur des jeunes et des sans-terre, et pour promouvoir un développement rural inclusif. Les réformes redistributives devront garantir aux hommes et aux femmes l’égalité d’accès aux terres, aux zones de pêche et aux forêts et limiter la concentration et le contrôle excessifs de la terre eu égard à sa fonction sociale. Dans l’affectation des terres, des zones de pêche et des forêts publiques, la priorité devrait être donnée aux paysans sans terre, aux petits pêcheurs et aux autres travailleurs ruraux.

Bien que la situation concernant le droit à la terre soit moins dramatique en Suisse qu’au Brésil, en Inde ou en Afrique du Sud, rappelons néanmoins que près de 25 % des jeunes qui sortent de nos écoles d’agriculture n’ont pas de terres à disposition. La politique agricole de ces 30 dernières années a poussé à la croissance permanente des structures, laissant peu de places à de nouvelles personnes.

Quant aux semences, les paysans suisses ont réinvesti cette question depuis quelques années. Le fait que 75% du commerce mondial des semences soient aujourd’hui en main de trois grands groupes alimentaires seulement n’y est certainement pas étranger. Ainsi, ici comme ailleurs, nous revendiquons le droit de pouvoir conserver nos propres systèmes de semences paysannes face à l’appétit vorace des multinationales.

2d) Le droit de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre des semences de ferme ou du matériel de multiplication.

3 Les États respecteront, protégeront et mettront en oeuvre le droit aux semences et le consacreront dans leur législation nationale.

5 Les États reconnaîtront aux paysans le droit d’utiliser leurs propres semences ou d’autres semences locales de leur choix, et de décider des cultures et espèces qu’ils souhaitent cultiver.

Valentina Hemmeler Maïga

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