Claude, en tant que producteur de lait d'industrie, comment perçois-tu cette décision de l'IP lait ?
Nous annoncer 10 jours avant à quelle sauce nous serons mangés n'est pas admissible. Le contrat doit être annuel comme le précise la loi ; avec une quantité globale, un seul prix, un pourcentage de A et B. Tout ce qui n'est pas du lait A devrait être facultatif. Il ne doit pas y avoir deux prix d'ailleurs, ou alors il faut une qualité A et une qualité B.
Mais à ce que je sache, mes vaches ne produisent qu’une même qualité de lait donc je dois avoir un prix pour cette qualité, sinon c’est un attrape nigaud. J’estime que la Confédération ne devrait pas octroyer la force obligatoire à un tel contrat, il n’est pas mûr. Il nous faut une quantité et un prix valables un an et s’il y a un prix B alors une qualité B correspondante.
En ce qui concerne la segmentation ?
Je n’y ai jamais été favorable car c’est une forme de subventionnement de l’industrie pour qu’elle puisse exporter des produits. Ce n’est pas aux producteurs de subventionner les transformateurs pour l’exportation. Je pourrais comprendre qu’en fin d’année nous devions nous adapter quelque peu en terme de quantités, en accord avec les acteurs du secteur, comme cela se fait je crois dans la filière du Gruyère et que nous soyions prévenus suffisamment à l’avance des modifications.
Selon moi il n’y a pas de crise laitière, car la crise n’est subie que par les producteurs. C’est nous qui sommes en crise, pas le reste de la filière, vu les résultats que les autres acteurs publient chaque année : toujours positifs et en croissance. Tout ce que nous touchons en paiements directs part au final à l’industrie.
Comment penses-tu possible de recréer plus de transparence dans le marché laitier ?
Il faut un patron. FPSL a été court-circuitée, puis l’IP Lait à son tour. FPSL pourrait le faire, mais il faudrait qu’elle soit forte. Elle ne doit être représentée que par des producteurs (c’est son nom d’ailleurs) et avoir un message très fort sur la quantité globale. Si on mélange les bidons et qu’on fait des « affaires entre copains » ça ne marche jamais. Un des collèges doit être 100 % paysan. Chaque collège doit représenter sa propre base sans être noyauté par un autre acteur. Il faut de la clarté ; cela peut provoquer un certain affrontement, mais au moins cela avance. La situation est telle que l’appui de la Confédération est devenu nécessaire et urgent... Ou alors elle a fixé une sorte de curseur sur un nombre minimal de producteurs à partir duquel elle se décide à intervenir ? Dans le cas contraire je ne m’explique pas sa passivité actuelle. De plus, elle n’applique jamais la loi jusqu’au bout. Par exemple, le jour où l’article 43 de la loi sur l’agriculture sera appliqué, nous aurons fait un grand pas vers plus de transparence. Le prix indicatif doit aussi être appliqué ; le prix du marché ne doit pas se situer à près de 10 cts en dessous du prix indicatif !
La grande faiblesse des paysans, c est leur difficulté à bloquer la production. Il faut livrer pour avoir des liquidités financières pour faire tourner la ferme. Une des grandes erreurs de la libéralisation des quotas, à laquelle j’étais personnellement favorable car l’ancien système était trop figé et ne tenait pas compte des réalités, c’est les contrats directs « utilisateurs-producteurs », car ces derniers n’ont pas de force de négociation face aux acheteurs.
Cela m’amène à dire qu’il faudrait un seul acheteur de lait pour le paysan. S’il n’y a qu’un acteur qui centralise le lait, l’industrie n’a qu’un interlocuteur et cela faciliterait grandement la tâche. Il faut aussi supprimer ces multitudes de contrats qui sont différents d’un acheteur à l’autre (segmentation, prix à la teneur, taxe à l’éloignement, à la sous-production, etc.).
Il faudrait un seul contrat entre les producteurs et l’organisme acheteur. En ce sens, la proposition de BIG M (voir journal Uniterre novembre 2016) est un bon début de discussion. Il suggère de mettre en place un organisme central d’achat du lait, de limiter les importations de fourrages grossiers et propose un compromis visant à n’obliger que les producteurs qui se situent au-dessus de 120’000 litres annuels à une gestion des quantités. C’est une manière de respecter les petites fermes qui sont suffisamment embêtées par l’administration et l’industrie ; c’est une dimension sociale positive. En tout cas, je pourrais vivre avec une telle proposition, surtout la variante A visant à regrouper tous les producteurs.
La quantité de référence est bien sûr un point délicat. Mais il ne faut pas être borné. Cette quantité pourrait être basée sur une moyenne des 2-3 dernières années avec éventuellement une marge de manoeuvre pour des négociations particulières, au cas par cas. L’agriculture est faite de cas particuliers, on est la dernière race qui représente la diversité et j’y tiens. Il faudrait penser à tenir compte de la surface fourragère à disposition, c’est un aspect important pour éviter une trop forte intensification et une production hors-sol. Dans le même sens, les formes de locations de surfaces qui se trouvent à des dizaines de kilomètres du centre de la ferme sont discutables ; il faut revenir à un certain bon sens paysan.
Propos recueillis par Valentina Hemmeler Maïga
articles parus dans le Journal d’Uniterre - décembre 2016
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